Réforme fiscale au Portugal : comment la fin des avantages affecte les retraités étrangers

Actualités
  • couple de retraites sur la plage
    Frank Gaertner / Shutterstock.com
Écris par Asaël Häzaq le 11 octobre, 2023
Jusqu'où aller pour attirer les capitaux étrangers ? Après avoir accordé de juteux avantages fiscaux aux expatriés retraités, le Portugal, empêtré dans une crise immobilière qui n'en finit pas, rétropédale.

Fin des avantages fiscaux pour les retraités étrangers

Même les bonnes choses ont une fin. C'est en substance ce que rappelle le Premier ministre portugais Antonio Costa. Encore faudrait-il définir les bénéficiaires de ces « bonnes choses ». Pour le Premier ministre, la réponse est toute trouvée : les retraités étrangers. Il l'évoque lundi dernier dans un entretien accordé à la chaîne de télévision CNN Portugal. Selon lui, si elle a pu se justifier par le passé, l'exonération fiscale dont bénéficient les retraités étrangers n'a aujourd'hui plus de sens. D'où la décision d'abandonner un système qui, d'après lui, « reviendrait à prolonger une mesure d'injustice fiscale qui n'est pas justifiée […] et serait une façon détournée de continuer à faire monter les prix du marché du logement ».

Retour en 2008-2009. Emportée par la crise des subprimes, la zone euro vacille. Le Portugal, dont le modèle économique souffre depuis plus de 10 ans (à peine +1,1 % de PIB en moyenne entre 2001 et 2007) est particulièrement vulnérable. Les caisses sont vides et la dette flambe : 76,6 % en 2009, avec un déficit public représentant 11,4 % du PIB ; un PIB qui peine à atteindre 0,2 % au 4e trimestre 2009. C'est dans ce contexte que le gouvernement de l'époque met en place une exonération fiscale de 10 ans pour les retraités étrangers. Il s'agit d'un des privilèges accordés par le statut de résident non habituel (RNH), statut concernant les actifs et les retraités créé en 2009 (la mesure devient effective en 2012).

L'objectif est clair : attirer les capitaux étrangers. Les retraités étrangers s'installant en Espagne ne payaient pas d'impôts sur le revenu. De nombreux étrangers ont répondu à l'appel, notamment des Français, des Italiens et des Britanniques. Le Conseil consulaire français fait état de 30 000 à 40 000 retraités français installés au Portugal.

Avantages fiscaux, crise immobilière ?

Le Portugal avait déjà commencé à revoir sa copie. En 2020, la loi supprime l'exonération totale et opte pour un taux d'imposition à 10 %. La formule reste toutefois très avantageuse pour les retraités étrangers, le Portugal faisant partie des pays d'Europe où le taux d'imposition est le plus élevé : 31,5% en 2022, soit le 2e taux le plus élevé après Malte (chiffres : OCDE).

Pourquoi revenir sur une mesure qui a porté ses fruits ? Des milliers de retraités étrangers ont immigré au Portugal et ont contribué à relancer l'économie. C'est surtout vrai dans les régions où ils se sont installés en majorité, Lisbonne et les stations balnéaires de l'Algarve en tête. Mais le revers de la médaille est lourd à payer. Gentrification, explosion des prix, crise immobilière… D'après une étude de la Fondation portugaise Francisco Manuel dos Santos, le coût du logement a bondi de 78 % au Portugal entre 2012 et 2021. En comparaison, il n'a augmenté que de 35 % dans l'Union européenne (UE).

Un Golden visa moins avantageux 

L'affaire n'est pas sans rappeler celle du Golden visa. Lui aussi a été mis en place pour attirer des capitaux étrangers et sortir l'État de la crise. Lui aussi est accusé de précipiter le pays dans une crise du logement sans fond. Le gouvernement s'attaque aussi au Golden visa. La nouvelle loi, qui attend la signature du Parlement et du gouvernement avant d'être publiée, supprime l'acquisition de la résidence par l'investissement. Jusqu'alors, il était possible de l'obtenir avec un investissement de 280 000 euros ou plus. Néanmoins, il reste toujours possible pour ceux ayant déjà investi, de renouveler leur autorisation.

Plus concrètement, la loi redéfinit les méthodes d'obtention de la résidence par investissement. 5 méthodes sont désormais retenues : la création d'au moins 10 emplois, ou plus ; l'investissement d'au moins 500 000 euros dans des programmes de recherche scientifique publics ou privés ; l'investissement d'au moins 250 000 euros dans la production artistique ou la préservation du patrimoine, l'investissement d'au moins 500 000 euros dans des organismes reconnus par l'État, ou encore, l'investissement d'au moins 500 000 euros dans une entreprise dont le siège social se trouve au Portugal et qui créera au moins 5 emplois permanents.

Investir, oui, mais pour la culture. La réforme entre dans le cadre de la loi sur le logement validée par le Parlement le 19 juillet. Mais que signifie cette réforme ? En février, le Portugal annonçait la fin des Golden visa. Cette suppression est toujours d'actualité : non à l'acquisition de la résidence par l'investissement immobilier (ce que permettait le Golden visa classique), mais oui aux investissements pour soutenir la culture et la production artistique. C'est ce que propose la réforme.

Fin des avantages fiscaux, plus d'équilibre

Ces réformes parviendront-elles à calmer la grogne des habitants ? Samedi 30 septembre, des milliers de riverains ont manifesté pour réclamer une action ferme du gouvernement contre la crise du logement et la gentrification. Dans les cortèges, ils ne cachent pas leur exaspération. Ils témoignent d'une crise encore plus forte dans les grandes villes. Certains parlent d'une capitale transformée en « ville pour étrangers », qui exclut ses habitants. « Trop cher » de vivre à Lisbonne. D'autres parlent de leur loyer multiplié par 20 et de leur incapacité à y faire. Ils sont contraints de quitter leur logement, leur vie, et dénoncent un marché déséquilibré. La richesse des retraités étrangers et autres nomades numériques fait exploser tous les prix et rend la vie impossible.

Message entendu, assure Antonio Costa. La fin des avantages fiscaux pour les retraités étrangers en 2024 est justement censée éteindre la flambée immobilière. D'autres profils sont concernés par la fin des avantages fiscaux, comme les actifs travaillant dans les secteurs « à forte valeur ajoutée » (médecins, architectes…). Les habitants, qui attendaient un geste fort du gouvernement, attendent à présent des résultats concrets.