Retour de 80% par rapport aux chiffres prépandémiques
La réouverture des frontières américaines en novembre 2021 a permis aux niveaux d'immigration de revenir progressivement à la normale. Le Département d'État traite actuellement environ 800 000 visas de travail par mois, ce qui représente 80 % des chiffres de 2019. Au plus fort de la pandémie en 2020, seulement quelque 200 000 travailleurs temporaires ont été admis dans le pays.
Malgré l'amélioration de la situation en 2022, les États-Unis se retrouvent actuellement avec un déficit de 1,7 million de migrants en âge de travailler, par rapport au nombre de travailleurs étrangers qu'ils auraient compté, si la pandémie n'avait jamais eu lieu ! C'est ce que révèle une étude réalisée par des universitaires de l'université de Californie à Davis. Quelle en est la cause ?
En fait, le problème existait avant même la pandémie, lorsque l'administration Trump a décrété de nouvelles restrictions à l'immigration. De plus, le gouvernement en place mené par le tandem Biden-Harris, n'a pas encore annulé ces décrets. Il semblerait même que sa politique actuelle soit davantage axée sur le découragement de l'immigration en provenance d'Amérique Centrale, et d'Amérique du Sud, notamment de ce que l'on appelle le Triangle du Nord, région partagée par le Guatemala, le Salvador et le Honduras.
Hausse du nombre de postes vacants dans les secteurs qui dépendent des immigrants
Selon le Bureau Américain des Statistiques, il y a en 2022 entre 9 et 12 millions d'offres d'emploi par mois, ce qui est un chiffre impressionnant. Les secteurs présentant le plus grand nombre de postes vacants coïncident sans surprise, avec ceux qui emploient le plus d'immigrants et de travailleurs étrangers temporaires, notamment l'hôtellerie, la construction et les services. En revanche, les secteurs qui ont toujours été traditionnellement occupés par des citoyens américains, comme la finance et le service public, ne souffrent pas d'une telle pénurie.
Le Département Américain du Travail a révélé qu'en 2018, près de 20 % des travailleurs du secteur de l'hôtellerie étaient des immigrants. Dans l'hôtellerie en particulier, la main-d'œuvre immigrée représentait plus de 30%, alors que celui des services, qui comprend les esthéticiennes, les réparateurs, les livreurs et les agents de soutien aux entreprises, employait également de nombreux immigrants, avec ou sans papiers. De la même manière, selon le Pew Research Center, près de 25 % de tous les postes de service dans l'industrie alimentaire étaient occupés par des immigrants. Quant à l'industrie de la construction, elle affichait un taux d'emploi de travailleurs nés à l'étranger de 25%, selon une enquête de 2018 du US Census Bureau.
Dans beaucoup de pays du monde, les travailleurs du secteur hôtelier ont été réticents à reprendre de l'emploi, après avoir vécu des licenciements et des mises en congé sans solde, au plus fort de la pandémie. Selon le New American Economy Research Fund, les industries précitées ont supprimé des millions d'emplois entre 2020 et 2021. En 2020, les secteurs américains de l'hôtellerie et de la restauration avaient licencié environ 45 % de leurs effectifs, ce qui représente un total de près de 6,5 millions d'emplois.
En revanche, rien qu'en septembre 2022, 83 000 nouveaux emplois ont été créés dans le secteur des loisirs et de l'hôtellerie, 19 000 dans la construction et 46 000 dans les services aux entreprises, selon un rapport sur la situation de l'emploi, du Bureau des Statistiques. Malheureusement, ces postes ne trouvent plus preneurs. À titre d'exemple, à la mi-2022, il y avait 1,4 million d'offres dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration pour seulement 565 000 demandeurs d'emploi. Ainsi, même si ces derniers devaient trouver tous du travail, il y aurait encore près d'un million de postes vacants à pourvoir. Le secteur de la construction est confronté à la même situation. On ne comptait qu'environ 390 000 demandeurs d'emploi dans ce secteur à la mi-2022 pour environ 434 000 postes vacants. La demande est clairement supérieure à l'offre.
C'est une situation particulièrement délicate pour les régions dont l'économie dépend grandement de ces industries portées traditionnellement par les immigrants. La Floride par exemple, dont le tourisme est un pilier économique majeur, a du mal à trouver de la main-d'œuvre. Le magazine Boca Raton rapporte même que certains restaurants de l'État doivent faire appel à des robots serveurs. Un professeur de gestion de l'hôtellerie à la Florida Atlantic University, Peter Ricci, affirme quant à lui, que le secteur doit retravailler son image afin de donner aux jeunes le sentiment qu'il s'agit bien d'un créneau gratifiant, en période postpandémique.
Parallèlement, d'autres analystes affirment que la solution la plus simple consisterait à faciliter l'immigration économique. Si en 2018, un peu plus du quart de l'effectif du secteur de l'hôtellerie et de la restauration en Floride était composé d'immigrants, il ne sera peut-être pas possible au cours des prochaines années, de trouver des travailleurs nés aux États-Unis pour pallier les postes vacants que représenteraient ces 26 %. Dans un article de la Brookings Institution, l'universitaire Dany Bahar et l'analyste politique Pedro Casas-Alatriste affirmaient qu'il était important de considérer les travailleurs sans papiers d'Amérique Centrale et d'Amérique du Sud comme une source de main-d'œuvre précieuse pour l'économie américaine.
Bahar et Casas-Alatriste sont convaincus que, si les États-Unis cessaient les reconduites massives à la frontière et augmentaient les filières permettant à ces immigrants d'obtenir un statut légal, le problème de pénurie de main-d'œuvre du pays serait en grande partie résolu. Bahar souligne par ailleurs, que la plupart des immigrants sans papiers sont jeunes, âgés entre 18 et 39 ans, et n'ont pas de diplôme universitaire. Ces personnes, selon lui, pourraient donc être formées pour des métiers dans l'hôtellerie, la restauration, la construction ou dans tout autre secteur qui aurait du mal à recruter. Beaucoup pourraient même être formés comme chauffeurs de camions et travailleurs portuaires pour aider à résoudre les problèmes actuels de la chaîne d'approvisionnement, toujours selon M. Bahar.
Ce contexte pourrait, en même temps, représenter une excellente opportunité pour d'autres travailleurs étrangers. Par exemple, les étudiants provenant des écoles de gestion hôtelière du monde entier pourraient postuler pour des stages en Floride, au Nevada, en Arizona, au Colorado ou à Hawaï, ces états où l'industrie hôtelière est prépondérante. En raison de la pénurie de main-d'œuvre, ils pourraient ainsi se retrouver avec plus de chances d'être acceptés pour des stages, et se voir même proposer des contrats de travail à long terme sur place.