Comment les pays peuvent-ils attirer des expats ?

Vie pratique
  • les gens marchant dans la rue de New York
    Ryan DeBerardinis / Shutterstock.com
Publié le 2021-11-01 à 10:00 par Asaël Häzaq
Malgré la crise sanitaire, la reprise économique est bien là. Si certains pays sont toujours en grande difficulté, d'autres voient leur conjoncture se rapprocher de la situation d'avant Covid. Pour ces États s'engage une course au recrutement des talents étrangers. Quelles sont les stratégies mises en œuvre pour attirer les expatriés ? Ces derniers sont-ils toujours aussi prompts à partir à l'étranger, ou la Covid-19 a-t-elle eu un impact sur leurs ambitions ? 

Augmenter les salaires pour attirer et retenir les expatriés

C'est peut-être le premier levier auquel pensent les États : augmenter les salaires. Alors que la crise économique frappe tous les secteurs, le pouvoir d'achat et les revendications salariales reviennent au cœur des débats. Les grandes puissances l'ont bien compris, et augmentent les salaires pour attirer les expatriés. La pénurie joue en faveur des travailleurs. Au Québec, on prévoit une hausse des salaires d'environ 2,9 % en 2022. Pour l'Ordre des conseillers en ressources humaines, cette hausse est inédite, et s'explique par la corrélation entre la pénurie de main-d'œuvre et une économie qui résiste bien à la crise sanitaire. Les secteurs de la finance, l'informatique, les nouvelles technologies et la communication enregistrent les plus fortes hausses de salaire (environ 3,3%). Ce sont également les secteurs les plus demandeurs en talents étrangers. Les États se disputent les futurs leaders de demain. Hausse de salaire aussi pour les autres secteurs (santé, administration, arts…), de l'ordre de 2 à 2,7 %. L'augmentation des salaires se fait aussi sentir au Canada, dans des proportions légèrement inférieures.

Même constat aux États-Unis, où la hausse des salaires profite à tous. Les domaines fortement soumis à la conjoncture (restauration, tourisme, entretien, commerce…) sont en position de force. Revendication des démocrates toujours retoquée par les républicains, le salaire minimum à 15$ de l'heure n'est plus une utopie. Les entreprises indiquent n'avoir pas le choix si elles veulent attirer la main-d'œuvre. Les réouvertures des frontières et les pénuries massives accélèrent les prises de décision. En Australie, on offre 1000€ pour les étrangers acceptant de venir travailler dans les régions/secteurs en pénurie. 

Miser sur le savoir-être

L'argent ne suffisant pas toujours à motiver les départs à l'étranger, les États qui recrutent mettent en avant la mobilité. L'on parle ici de mobilité internationale et mobilité interne. S'expatrier, oui, mais pour gagner en compétences et en influence. L'ascenseur social doit fonctionner pour permettre à tous d'accéder aux postes à responsabilité. Les grandes entreprises, mais aussi les start-up l'on bien compris, et valorisent l'humain. L'expatrié est accompagné, intégré à l'entreprise, formé à sa nouvelle culture. Flexibilité, indépendance, écoute et esprit d'équipe sont les maîtres-mots de ces programmes. Au-delà des compétences et du savoir-faire, c'est le savoir-être qui est mis en avant. Suisse, Canada, États-Unis, Australie, France, Allemagne, Portugal, Israël… Tous ces pays qui recrutent recherchent, non seulement des talents étrangers, mais surtout des personnalités. Les métiers de l'innovation, des nouvelles technologies, de la communication, des arts et de la recherche sont particulièrement attentifs à ces critères.

Faciliter les conditions d'accès sur le territoire

En Thaïlande, on joue sur un autre levier : les visas. En septembre dernier, le gouvernement annonce une série de mesures pour attirer les riches investisseurs étrangers ou les étrangers à fort potentiel. Pour eux, l'État déroule le tapis rouge : visa de 10 ans, possibilité de travailler (sous conditions) sans contrat de travail, procédures simplifiées… La Thaïlande se dote désormais d'un nouveau visa : « Thailand Elite ». Sorte de visa touriste, il est spécialement pensé pour les expatriés, investisseurs, nomades numériques, voyageurs fréquents. Fini les atermoiements administratifs et la lourdeur de la procédure. L'étranger titulaire d'un visa Thailand Elite est, comme le nom du visa l'indique, un membre privilégié. C'est, en fait, une adhésion à un programme (Thailand Elite), valable 5, 10, ou 20 ans. L'étranger jouit d'avantages : service VIP à l'aéroport, concierge, prestations médicales, réductions dans des établissements de luxe etc. L'inscription s'effectue en ligne, pour une cotisation d'un peu plus de 15 000€ (variable selon la formule choisie). Avec le Thailand Elite, l'État poursuit un double objectif : attirer toujours plus d'investisseurs et de talents étrangers ; fidéliser les nouveaux venus. Le gouvernement surfe sur la dématérialisation des échanges avec ce nouveau programme ultra-flexible, censé répondre aux attentes des étrangers.

Ce que veulent les expatriés

Que veulent les expatriés ? De la sécurité, du confort, et toujours une part de rêve. La Covid-19 a douché les ambitions de nombre d'entre eux. Les experts notent cependant un paradoxe : les frileux à l'expatriation sont aussi nombreux que les aspirants, et pour les mêmes raisons. Si la crise sanitaire rend l'expatriation plus dangereuse pour certains, elle impulse le départ à l'étranger pour d'autres. Les jeunes et trentenaires des générations Y et Z, nés avec l'essor d'Internet, sont les plus nombreux à maintenir leurs projets de départ. Mais l'argent n'est définitivement plus la priorité, même s'il reste capital. Les aspirants au départ parlent plutôt du cadre de vie, de la volonté d'ailleurs. Le confinement a laissé des traces. Les candidats à l'expatriation recherchent la liberté, l'accomplissement de leurs rêves, un sens à leur existence. Le travail doit faire sens. Les entreprises internationales l'ont bien compris. Avec leurs nouvelles méthodes de recrutement, centrées sur le savoir-être, elles permettent à tous les potentiels et toutes les personnalités de s'exprimer. 

Dans le top 10 des destinations préférées des expatriés, on retrouve, sans surprise, le Canada. Le pays fait office de champion du multiculturalisme, accueillant envers les immigrés, permettant à tous de grimper les échelons de la société. Les étrangers apprécient son cadre de vie, la présence de la nature, l'espace (le Canada est le 2e plus grand pays au monde). Selon la CNBC, plus de 70 % d'entre eux sont satisfaits de la balance cadre de vie/travail, et près de 80 % d'entre eux sont heureux dans la vie en général. 80 % d'expatriés heureux aussi pour l'Australie. La réouverture des frontières est pour eux un nouveau souffle. Beaucoup ont souffert de la séparation brutale d'avec leurs familles. L'Australie entre dans une nouvelle étape, que les expatriés et candidats à l'expatriation espèrent florissante. Taïwan, la Malaisie et le Costa Rica font aussi partie des destinations phares des étrangers. Là encore, le cadre de vie et la culture sont plébiscités. 80 % des expatriés disent être heureux de vivre à Taïwan (85 % en Malaisie, 88 % au Costa Rica). Ces chiffres masquent cependant une réalité plus contrastée. De quels expatriés parle-t-on ? Ceux de Thaïlande rappellent leur existence, face à un gouvernement qui multiplie les appels aux riches étrangers. « Occupez-vous d'abord de nous » crient les étrangers sur place : il n'y a pas que de riches expatriés. Il y a surtout des individus qui travaillent aussi dur que les locaux, qui contribuent à la société, et souhaitent être protégés par le gouvernement. Même cri d'alarme à Singapour, où les expatriés se sentent délaissés par un État qui privilégie les locaux. 

C'est le grand dilemme de l'ère Covid-19. En limitant l'accès à leur territoire ou en négligeant les droits des expatriés, les États prennent le risque de se rendre impopulaires. Et les observateurs de pointer le Royaume-Uni, qui n'accorde des visas que sous la contrainte ; visas temporaires, rendant donc impossible une installation de longue durée sur le territoire. D'autres, plus optimistes, parient sur une régulation du marché mondial de l'emploi dans les années à venir. Mais les expatriés ne raisonnent pas en termes macroéconomiques. Pour eux, l'expatriation est une nouvelle forme d'accomplissement de soi. Si le salaire reste capital, il ne doit pas détrôner d'autres valeurs, tout aussi fortes : aller à la rencontre de l'autre, découvrir une nouvelle culture, se redécouvrir, jouir d'un meilleur cadre de vie.