Je suis arrivée en Guyane en Octobre 2015 après un long séjour au Moyen Orient. Ayant suivi plusieurs cursus universitaires, j'ai répondu à une annonce dans l'enseignement tout en espérant travailler avec les cultures amérindiennes (une autre de mes spécialités ). Malheureusement, l'inspectrice qui m'a attribué un poste ne connaissait pas son territoire et j'ai été envoyée " sur le fleuve " comme on dit là-bas, en territoire Bushinengue... Les Bushi ou Bushinengue sont les descendants des esclaves enfuis du Surinam pendant la guerre d'indépendance de ce dernier dans les années 70 / 75. Première déception mais très symptomatique de la relation entre les gens qui vivent sur le littoral (très occidentalisé, très "français " ) et les peuples de l'intérieur ( près de 40 000 rien que sur le Haut Maroni et qui vivent pour la plupart sans eau et sans électricité ... ). Les personnes du littoral ne connaissent pas les populations de l'intérieur et ils ne se rendent que rarement dans les terres d'où des incompréhensions culturelles et institutionnelles.
Pour ma part, j'ai vécu dans plusieurs villages dit " isolés " car dépourvus de routes, supermarchés et autres lieux de loisirs et de consommation. Chaque village a sa propre identité et même s'il existe des liens linguistiques entre les populations de Grand Santi, Papaichton et Maripasoula, les cultures sont différentes et variées. De plus, il faut savoir que dans ces villages, très peu de locaux parlent français, ce qui réduit considérablement les contacts et l'intégration ( à moins d'apprendre rapidement une langue locale mais peu de métros le font à vrai dire.... ).
Si le retour à la nature peut en attirer certains, il en rebute beaucoup et rapidement car au quotidien cela peut s'avérer très difficile surtout si l'on est citadin dans l'âme ! Par conséquent, je déconseille fortement la Guyane aux vrais citadins et les fleuves en particulier car vous ne tiendrez pas une semaine ! Vivre en forêt demande une grande capacité d'adaptation ( il faut s'adapter rapidement à une autre culture, à d'autres sociaux ), une logistique imparable ( je vous conseille fortement de faire votre ravitaillement sur le littoral et envoyer vos vivres par pirogues via des piroguiers français de préférence ...), une capacité à assumer la solitude (imposée ou non ) car l'on dispose de beaucoup de temps libre qu'il faut occuper (par la lecture, la pêche, les amis, le sport éventuellement )... Enfin, le fleuve peut aussi être "violent " (tout comme le littoral d'ailleurs ) car la misère conduit à la violence, aux vols ( nombreux ), aux agressions etc ... Sur ce point, je vous incite à être vigilants et ne jamais laisser chez vous d'objets de valeur car les vacances scolaires sont propices à de nombreux vols. Si vous êtes une femme, soyez doublement vigilantes et dans votre comportement et dans vos relations car les codes sociaux étant différents, vous risqueriez de vous exposer à des risques inutiles. Je pourrais citer de nombreuses histoires macabres et tristes à ce sujet mais je ne le ferai pas ... Je me contenterai simplement de vous conseiller la prudence, toujours et partout et pour de multiples raisons !
Mon portrait de ce territoire peut sembler fortement négatif .... et bien que mon expérience n'ait pas été très bonne ( j'ai été cambriolée 3 fois en trois mois, on m'a volé mes deux ordis dans un pseudo accident de pirogue etc ... ) je garde un bon souvenir de la Guyane car il y a quand même des points positifs à vivre là-bas. Tout d'abord, l'on y fait de belles rencontres car la Guyane est très cosmopolite. Le climat est très agréable même si l'on souffre au début des fortes chaleurs ! Si vous êtes allergiques, sachez que les moustiques sont très présents sur le littoral mais quasiment absents le long des fleuves ... De même, la saison des pluies est très marquée sur le littoral ( il peut pleuvoir des jours entiers ) alors qu'elle est modérée en forêt ( il pleut essentiellement la nuit et par averses courtes en journée ). Si vous aimez la photo et les randonnées, l'intérieur des terres sera votre paradis. Mais attention là aussi, la prudence est de mise car l'on peut faire parfois de mauvaises rencontres ( animalières mais aussi les orpailleurs illégaux ) donc je vous invite à effectuer vos sorties accompagnés de personnes locales ou vivant déjà sur place ... Sur le plan relationnel, j'ai particulièrement aimé mon expérience à Gran Santi car j'ai trouvé les gens beaucoup plus soudés et solidaires que dans les autres villages du fleuve. J'ignore si cela est dû aux nombreuses difficultés du quotidien ( problèmes d'approvisionnement réguliers en eau et électricité !! ) mais l'ambiance y est bcp plus sympathique qu'ailleurs. Enfin, mon récit ne serait pas complet si je ne parlais pas du héros de ce territoire, à savoir le fleuve lui-même ! Personnellement, j'adore ce fleuve et j'ai aimé le sillonner de long en large, de mon village à d'autres villages, ou jusqu'à St Laurent du Maroni plusieurs fois par année pour le ravitaillement ... Il est à la fois beau, dangereux ( les rapides ), envoûtant ( les couchers de soleil ), reposant ( en fin de journée ) et source de vie (éviter les poissons carnassiers car ils sont porteurs de mercure ) !... Voyager sur le fleuve est un vrai bonheur mais encore faut-il savoir bien choisir son piroguier car votre vie en dépend ! Dans l'ensemble, je déconseillerais les pirogues-taxis au départ d'Albina au Surinam car les piroguiers sont souvent ivres ou "shootés" d'où de nombreux accidents .... Mieux vaut payer quelques euros de plus et arriver sains et saufs.
Pour ceux et celles qui souhaiteraient se rendre en territoires amérindiens, je voudrais donner quelques conseils .... Quel que soit le village où vous irez, ne vous attendez pas à un accueil très chaleureux car les indiens n'apprécient guère la visite des touristes en général et ils sont assez discrets par nature également ! Dans chaque village, vous devrez vous présenter au chef (appelé Gran Man ) ou au Capitaine et demander la permission de vous installer sur leurs terres. Il est très important que vous respectiez cela...... Vous serez plutôt ignorés qu'autre chose mais là aussi cela s'explique par l'histoire et les relations antérieures avec les institutions et les colons. Dans tous les cas, et si vous en avez la possibilité, évitez de vous rendre dans ces territoires sans y être invités ou accompagnés. Le village d'Antecume Pata est particulièrement protégé par son ancien maire, Mr Cognat ( qui est une figure mythique en Guyane ) mais en revanche le village de Twenké est particulièrement accueillant. Afin de faciliter le contact avec ces populations, je vous inviterais aussi à venir avec quelques cadeaux ( du pain, du chocolat pour les enfants etc ... éviter l'alcool svp !! ) car souvent il n' y a rien dans les villages. N'hésitez pas à prendre contact avec les artisans sur place car ils font des pièces magnifiques ( ciels de case, poterie, bijoux etc ...) et en leur achetant directement leur production, vous les aiderez aussi financièrement.
Je pourrais raconter de nombreuses anecdotes sur la Guyane mais cela prendrait un livre ... J'espère que mon récit sera utile dans tous les cas et si vous avez des questions, n'hésitez pas à me contacter et je vous répondrai dans les meilleurs délais !
Bien cordialement et bonne installation si vous franchissez le pas !
Fabienne