Les expatriés : un atout indispensable pour la croissance mondiale

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Publié le 2024-01-22 à 14:00 par Asaël Häzaq
On les a crus balayés par la Covid, puis par le travail à distance. On tablait sur une fin de l'expatriation accélérée par les récents bouleversements internationaux. Has been, les expats ? C'était sans compter sur les pénuries de main-d'œuvre, qui poussent les États à dérouler le tapis rouge aux travailleurs étrangers. Même les plus conservateurs d'entre eux leur ouvrent la porte. Décryptage.

L'industrie, grand pourvoyeur d'emplois pour les expatriés

En novembre 2023, William Russel, expert en assurance pour les expatriés, publie une étude sur la contribution des expatriés aux économies locales. Une contribution directe, via l'emploi et le paiement de taxes, mais aussi indirecte, à travers les hauts niveaux d'études. Le rapport recense les pays auxquels les étrangers apportent le plus. S'appuyant notamment sur les données de l'OCDE, l'étude analyse 4 critères : taux d'emploi des expatriés, taux de chômage, part des expatriés ayant suivi des études supérieures, et le rapport entre les revenus apportés par les étrangers et ceux des natifs.

Dans un contexte de tensions toujours fortes, les secteurs manquant le plus de main-d'œuvre sont ceux recrutant le plus de travailleurs étrangers. L'industrie arrive en tête du classement, avec plus de 105 millions de travailleurs expatriés. Le commerce de détail et de gros arrive juste derrière (plus de 100 millions d'expatriés). Bien que 3e, le secteur de la santé et du social recrute « seulement » un peu plus de 56 millions de travailleurs étrangers. Les autres secteurs en pénurie, comme l'agriculture, la construction, l'éducation, les transports, l'hôtellerie et la restauration, la finance ou encore l'électricité emploient entre 54 et 5 millions de travailleurs étrangers.

Trois États ressortent néanmoins du classement général : la Nouvelle-Zélande, la Pologne, et le Royaume-Uni.

Nouvelle-Zélande : l'économie ouverte qui attire les expats

Première sur le podium, la Nouvelle-Zélande et son modèle économique attire les expatriés. Ils contribuent massivement à l'économie du pays, avec un taux d'emploi de 80,8 % pour un taux de chômage d'à peine 3,2 %. 53,1 % des étrangers ont poursuivi leurs études dans le supérieur. Le taux d'emploi des étrangers est même supérieur à celui des natifs (77,2%). L'économie néo-zélandaise est dite « ouverte ». Résultat d'une histoire et d'une politique qualifiée « d'accueillante » envers les étrangers, mais aussi d'une stabilité politique et économique. En décembre 2022, le ministère néo-zélandais de l'Immigration a lancé un paquet de nouvelles mesures pour contrer la forte pénurie de main-d'œuvre et attirer les travailleurs étrangers. La Nouvelle-Zélande vise particulièrement les professionnels qualifiés et très qualifiés. Elle veut non seulement les attirer, mais surtout les faire rester durablement sur le territoire. Le ministère poursuit une politique entreprise dès la réouverture des frontières.

Comme d'autres États, l'économie néo-zélandaise sort de son confinement fragilisé. Pour relancer l'immigration, le ministre de l'Immigration Michael Wood parle notamment de « 94 000 postes [approuvés] pour l'international [et] plus de 40 000 visas vacances-travail [délivrés] » fin 2022. Les quotas sont revus à la hausse, les relations avec les pays voisins sont renforcées. En mars 2023, plusieurs emplois sont ajoutés à la liste verte pour accéder à la résidence. En novembre, la durée du « visa de travail d'employeur accrédité » est étendue de 3 ans à 5 ans. Le visa permet d'immigrer dans le pays dès l'obtention d'une offre d'embauche, et même d'étudier durant 3 mois. D'autres mesures sont prises pour favoriser l'immigration qualifiée. Des métiers sous vive tension, comme le secteur infirmier, bénéficient de facilitations supplémentaires. D'autres secteurs sont frappés par les pénuries, comme les nouvelles technologies et l'ingénierie.

Pologne : un changement de cap favorable aux expats ?

La Pologne et le Royaume-Uni sont les deux autres États dans lesquels les expatriés contribuent le plus (respectivement 2e et 3e). Les résultats peuvent surprendre, car ces deux États se sont fait justement connaître pour leurs mesures restrictives en matière d'immigration. Mais d'après l'étude de William Russel, le taux d'emploi des étrangers en Pologne est de 80,4 %. Soit, à peine 0,4 point de moins que la Nouvelle-Zélande. Le taux de chômage est en revanche plus élevé (5,1 %). Mais la Pologne se rattrape avec un pourcentage d'expatriés hauts diplômés supérieur à celui de la Nouvelle-Zélande (59,6 %).

Avec 970 000 permis accordés, la Pologne est le pays européen qui délivre le plus de permis de résidence en 2021. C'est bien plus que l'Espagne (372 000) et que la France (285 000). Mais ces permis délivrés sont essentiellement destinés aux travailleurs saisonniers. Début 2023, le pays passe la barre de 1 million de travailleurs étrangers. Des secteurs frappés par les pénuries de main-d'œuvre, comme la construction ou le transport, encouragent la venue d'expatriés, mais sur le long terme. L'exécutif ne se montre pas aussi enthousiaste. Priorité aux Polonais. La droite populiste nationaliste au pouvoir, menée à l'époque par le Premier ministre Mateusz Morawiecki fait entendre sa voix, notamment concernant la politique migratoire européenne. Sa défaite aux élections d'octobre 2023 au profit des centristes pro-européens représentés par Donald Tusk marque une rupture.

Royaume-Uni : l'art du « et en même temps »

Le gouvernement britannique n'en finit plus de marteler son discours : oui au durcissement de la politique d'immigration. Le 4 décembre, le ministre de l'Intérieur James Cleverly annonce une augmentation du plancher des ressources annuelles pour s'installer au Royaume-Uni. Auparavant fixé à 26 200 livres sterling (environ 30 552 euros), il passera à plus de 38 700 livres. Ce n'est pas la première hausse annoncée par le gouvernement. En juillet, le gouvernement Sunak avait acté une hausse de l'IHS (Immigration Health Surcharge), surtaxe annuelle autorisant les étrangers à accéder aux soins de santé. Elle passera de 624 livres sterling à 1035 livres sterling par an. À son lancement en 2015, l'IHS n'était que de 200 livres sterling annuels.

D'autres mesures de limitation de l'immigration légale ont été lancées. James Cleverly rappelle l'objectif du Premier ministre Sunak : « […] réduire les arrivées annuelles d'au moins 300 000 ». Pressé par les conservateurs, le gouvernement Sunak veut faire oublier les derniers chiffres de l'Office national des statistiques (ONS), qui recensait une migration nette 745 000 en 2022. Un record qui suscite le débat, alors que les conservateurs pro-Brexit avaient justement misé sur une baisse des migrations. Mais en parallèle, Sunak déroule le tapis rouge aux hauts diplômés. Les chiffres du rapport Russel le confirment : avec 68,4 % d'étrangers ayant étudié dans le supérieur, le Royaume-Uni dépasse la Pologne et la Nouvelle-Zélande. Le taux d'emploi des expatriés est estimé à 75,5 %, pour un taux de chômage de 4,4 %.

De forts taux d'emploi pour les expatriés

Les autres pays profitant le plus de l'expertise des expatriés sont Israël (4e), l'Australie (5e), la Hongrie (6e), la République tchèque (7e), le Portugal (8e), le Luxembourg et l'Irlande (9e). En isolant le travail, l'étude révèle un autre classement. La Nouvelle-Zélande et la Pologne conservent leur rang (1er et 2e), mais la Hongrie supplante le Royaume-Uni, avec un taux d'emploi des expatriés de 80,3 %. C'est à peine moins que la Pologne (80,4%) et la Nouvelle-Zélande (80,8%). Le Royaume-Uni est 8e, avec 75,5 % : ce taux est quasi similaire à celui des natifs (75,4%).

La République tchèque, Israël, l'Islande et le Portugal se classent devant le Royaume-Uni, avec des taux d'emploi d'expatriés variant de 79,8 % (République tchèque) à 76,9 % (Portugal). L'étude note des écarts parfois significatifs entre les taux d'emploi des expatriés et des natifs. En Israël (classé 5e), il est de 64,1 % pour les natifs et de 77,9 % pour les étrangers. Résultats similaires au Portugal, où le taux d'emploi des étrangers (76,9%) dépasse celui des natifs (69,5%). Propulsé notamment par son visa nomade numérique, le Portugal est une destination phare des expatriés.

En revanche, l'étude n'observe globalement pas d'écart significatif entre les taux de chômage chez les natifs et les expatriés. Le classement reste sensiblement le même, avec la première place toujours occupée par la Nouvelle-Zélande. La République tchèque est 2e, la Hongrie, 3e. Le Royaume-Uni est 4e, devant Israël, la Pologne, l'Australie, le Mexique, et les États-Unis. Le Luxembourg termine 10e. Le rapport relève cependant 4 pays où les étrangers sont significativement plus touchés par le chômage que les natifs (au moins un point d'écart) : le Royaume-Uni, la Pologne, le Mexique et le Luxembourg. A contrario, le phénomène s'inverse en Nouvelle-Zélande et en Hongrie.

Attirer les talents étrangers : la bataille des États

Autres changements notables côté enseignement supérieur. Le Canada entre dans le classement et décroche la première place, avec 69,7 % des expatriés ayant un niveau d'études supérieures. Le Royaume-Uni arrive 2e (68,4%) devant l'Australie (59,7%). La Pologne, Israël, l'Irlande, la Nouvelle-Zélande, le Luxembourg, l'Estonie (qui entre dans le classement à la 9e place) et les États-Unis complètent le top 10. Hormis les États-Unis, tous ces pays ont un point commun : les expatriés ont un niveau significativement plus élevé que celui des natifs. L'écart varie en moyenne de 10 points, mais peut dépasser les 20 points. En Pologne, par exemple, 32,7 % des natifs ont étudié dans l'enseignement supérieur, contre 59,6 % des étrangers. Au Canada, l'écart varie de 55,8 % pour les natifs à 69,7 % pour les étrangers. Aux États-Unis, les natifs ont une légère avance sur les expats (51,2 % contre 45,1%).

Attirer les talents étrangers reste un enjeu crucial pour les États. Qu'ils aient ou non acté un durcissement de leur politique migratoire, ils encouragent l'immigration des hauts diplômés. Même constat pour les investisseurs et autres créateurs d'entreprise. Car ces profils sont autant de hauts revenus bénéfiques pour les économies locales. Le Portugal l'a bien compris, même s'il a annoncé la fin du Golden visa, et des exonérations fiscales pour les retraités étrangers. L'étude William Russel classe le pays 1er concernant le rapport entre les revenus apportés par les étrangers et ceux des natifs. Avec un ratio de 1,17, les expatriés au Portugal contribuent davantage que les natifs. La Suisse et le Royaume-Uni sont 2e ex aequo, avec un ratio de 1,01 en faveur des expatriés. Dans les autres États, ce sont les natifs qui contribuent plus que les expats : Irlande, Australie, République tchèque, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Danemark et Lituanie.