Entrée partielle dans l'espace Schengen, grandes perspectives
S'il convient de parler « d'entrée partielle », c'est parce que l'accord des 27 ne concerne que la levée des contrôles sur les frontières maritimes et aériennes. L'accord ne vise pas (encore ?) les frontières terrestres. C'est tout de même une grande avancée. Depuis leur entrée dans l'UE, la Bulgarie et la Roumanie appliquaient déjà une partie des règles de Schengen. Cette nouvelle expansion de la zone de libre-échange touchera quelque 450 millions d'habitants. En première ligne, les ressortissants roumains et bulgares, mais aussi les expatriés et futurs expatriés.
D'après les données 2021 d'Eurostat, les détenteurs d'un permis de travail sont les plus nombreux à résider en Roumanie (66%), devant les étrangers venant pour la retraite, pour raisons familiales (15%) ou pour les études (12%). Les ressortissants turcs représentent la plus grande communauté d'expatriés (environ 8,7%), devant les Moldaves, les Italiens, les Français, ou encore les Allemands. La Roumanie et la Bulgarie comptent plusieurs communautés de résidents retraités, notamment italiens, français et américains. Toujours d'après les chiffres 2021 d'Eurostat, les expatriés turcs sont aussi les plus nombreux en Bulgarie (près de 15 %), devant les Russes, les Ukrainiens, les Syriens et les Allemands.
Vers une hausse des prix pour les voyageurs ?
Pour les ressortissants européens (la Moldavie n'est pas encore membre, mais est candidate à l'adhésion à l'UE depuis juin 2022), l'entrée partielle de la Roumanie et de la Bulgarie permettra aux expatriés de voyager plus facilement dans la zone de libre-échange. Les retraités expatriés s'attendent à moins de contraintes pour retrouver ou faire venir leur famille résidant dans d'autres pays européens. Les retraités non européens ont des attentes similaires.
Mais assistera-t-on à une flambée des prix ? C'est ce que redoutent certains, pour qui l'entrée dans l'espace Schengen s'accompagnera nécessairement d'une augmentation des prix des billets d'avion, pour s'aligner sur les standards des autres pays européens. Mêmes craintes concernant les logements, la nourriture, et les services, surtout pour les expatriés résidant dans les villes touristiques. Les professionnels du tourisme se veulent rassurants. Aucune crainte à avoir concernant une éventuelle hausse des prix. Du moins, pour l'instant.
Les gouvernements bulgares et roumains s'attendent plutôt à attirer davantage de travailleurs étrangers. Une nécessité, pour ces pays frappés par des vagues d'émigration et des pénuries de main-d'œuvre.
Libre circulation : un atout pour attirer les expatriés
La Roumanie reste marquée par une émigration de grande ampleur et une natalité en baisse. En 2023, le pays compte 19 millions d'habitants. 5 millions se sont expatriés en Europe de l'Ouest, majoritairement en Allemagne, en Italie et en Autriche. Une émigration qui plombe l'économie. D'où le recours aux expatriés. Même constat en Bulgarie, frappée par un exode sans fin des jeunes. Fin 2021, les Nations Unies estiment que le pays ne comptera plus que 5,4 millions d'habitants en 2050, contre un peu moins de 7 millions aujourd'hui.
Comme les Roumains, les Bulgares s'expatrient principalement en Allemagne. Les Pays-Bas arrivent loin derrière, avec la Pologne, l'Autriche et la Belgique. La Bulgarie espère attirer de nouveaux talents étrangers, comme les nomades numériques. Allemands, Français, ou Britanniques sont de plus en plus nombreux à s'établir à Bansko, petite ville et station de ski au sud-ouest du pays. Forte de son succès grandissant, la ville concurrence Sofia et attire familles expatriées et locaux.
Pour la Bulgarie et la Roumanie, l'entrée partielle dans Schengen accroît l'attractivité. Les États veulent capitaliser sur la hausse attendue de la circulation des individus pour attirer les touristes. Le ministère roumain du Tourisme note déjà une augmentation du nombre de touristes : plus d'un million au premier semestre 2023, contre 813 400 en février 2022. Les touristes venaient principalement d'Italie, d'Allemagne et d'Israël.
Retenir les expatriés non européens
L'entrée dans l'espace Schengen permettra-t-elle à la Bulgarie et la Roumanie de retenir leurs travailleurs étrangers ? Depuis 2017, le gouvernement roumain se tourne vers les travailleurs d'Asie du Sud-Est. Le quota de visas pour les travailleurs non européens est ainsi passé de 3000 en 2016 à 50 000 en 2021. En 2021, la proportion de ressortissants népalais et indiens dépasse celle des ressortissants italiens, allemands et français (près de 6 % contre un peu moins de 4%, d'après Eurostat). Les organisations de défense des travailleurs extra-européens relèvent néanmoins un risque plus grand d'abus de la part d'employeurs peu scrupuleux.
Situation similaire en Bulgarie. D'après la Confédération bulgare de l'emploi, à peine 30 % des postes trouvent des candidats locaux répondant aux critères. Pressé par la pénurie de main-d'œuvre et la crise démographique, l'État se tourne vers les travailleurs non européens. En 2023, plus de 23 000 expatriés extra-européens ont obtenu un permis de travail en Bulgarie. Beaucoup viennent d'Ukraine, de Turquie, des États-Unis, du Brésil, ou encore, de Taïwan. Une diversité dont se satisfont les autorités bulgares. Elles comptent sur l'entrée dans l'espace Schengen pour améliorer leur image, et encourager la mobilité professionnelle internationale.
L'entrée dans la zone Schengen facilite le changement de pays. C'est un atout à double tranchant. Les expatriés non européens pourraient être encore plus tentés de partir travailler dans un autre pays européen. Le défi de la Roumanie et la Bulgarie reste, non seulement, d'attirer les expatriés, et surtout de les retenir. L'entrée totale dans Schengen pourrait jouer en faveur des États, mais aussi des étrangers, notamment ceux résidant déjà sur place.