Crise de l'eau en Europe : comprendre les enjeux

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Publié le 2023-11-10 à 14:00 par Asaël Häzaq
Voir l'eau sortir de son robinet sera-t-il bientôt un luxe ? Si de nombreux Européens peuvent encore consommer de l'eau sans trop de soucis, d'autres vivent au rythme des restrictions depuis plusieurs années. La crise de l'eau gagne de l'ampleur en Europe. Comment expliquer cette situation, et quel impact sur le quotidien des expatriés ?

Des nappes phréatiques au plus bas en Europe

Le constat est là : moins d'eau, plus d'habitants, et une agriculture dont les besoins en eau ne diminuent pas, bien au contraire. Ces dernières années, le manque d'eau a concerné 30 % des Européens. La branche agricole et l'élevage ne sont pas les seules à puiser dans les ressources européennes. L'industrie utilise aussi l'eau. Impossible pour ces deux secteurs de se passer de la ressource. Sans eau, pas de fruits et légumes, pas de nourriture pour les hommes. L'eau est également essentielle pour l'industrie. Elle peut être un maillon de la production, ou être utilisée pour l'évacuation des déchets, le lavage des appareils, le refroidissement des machines, le chauffage…

En 2022, l'hydrologue et directeur de l'Institut mondial pour la sécurité de l'eau à l'Université de la Saskatchewan (Canada) Jay Famiglietti et ses collaborateurs tirent une nouvelle fois la sonnette d'alarme. Contrairement aux idées reçues, les courtes périodes de fortes précipitations et les inondations n'approvisionnent pas les nappes phréatiques. Des régions européennes ont connu des épisodes de forte pluie, mais aussi des canicules. Les périodes de sécheresse se font plus nombreuses et, selon l'hydrologue et ses collaborateurs, les ressources en eau douce sont à un niveau particulièrement inquiétant en Europe. Elles se sont même considérablement appauvries entre 2002 et 2022. Selon les chercheurs, l'Europe perd environ 84 gigatonnes d'eau par an depuis le début du 21e siècle.

Crise de l'eau : les causes

On pense bien sûr au réchauffement climatique. Les scientifiques de la Commission européenne estiment que la sécheresse subie en 2022 est la pire de ces 500 dernières années. Certes, un rapport de l'Observatoire européen de la sécheresse (EDO) révèle qu'en août 2022, la sécheresse concernait 28 % des territoires européens, contre 55,8 % l'an dernier. Mais il rappelle aussi que le niveau des nappes phréatiques est excessivement bas. Les épisodes de pluie ne permettent pas de les recharger.

Les chercheurs pointent la surexploitation de l'eau par l'homme. On estime qu'il faut environ 7000 à 10 000 litres d'eau pour un jean, 300 à 600 litres d'eau pour 1kg d'acier, 10 à 25 000 litres d'eau pour une tonne de papier, 35 000 litres d'eau pour une voiture… L'élevage consomme également beaucoup d'eau. On compte environ 15 500 litres pour 1kg de viande bovine ; la viande porcine ne demande « que » 5700 litres en moyenne. Le blé est également gourmand en eau (1500 litres pour un kilo), mais bien moins que le riz (4500 litres pour un kilo). L'homme a aussi son impact. D'après l'Agence de la transition écologique (ADEME), une douche d'à peine 1 à 3 minutes peut consommer 35 à 60 litres d'eau (à raison de 20 litres d'eau par minute, volume sorti par un pommeau de douche ordinaire).

Ces activités industrielles, agricoles ainsi que l'activité des villes demandent toujours plus d'eau. Une eau que l'on va puiser toujours plus en profondeur. Car les sécheresses, les canicules et le manque de précipitation rendent l'eau plus rare. Il faut aller toujours plus en profondeur pour en trouver. Un cercle vicieux, qui aggrave le stress hydrique.

Crise de l'eau : quel impact sur les expatriés en Europe ?

Il faudra apprendre à vivre sur une planète en état de stress hydrique. Les conclusions des scientifiques ne sont pas optimistes. Pour les locaux et les expatriés, cela se traduit par des périodes plus importantes de restriction d'eau et une vigilance de tous les instants. En Allemagne, en Espagne, au Portugal, en France, en Italie ou en Roumanie, le quotidien s'articule autour des approvisionnements en eau. En 2022, Apele Române, l'autorité de gestion de l'eau en Roumanie, encourage les habitants à récolter l'eau de pluie pour tout usage domestique (arrosage des plantes, par exemple). 700 communes sont alors sous restriction, à cause de la sécheresse.

Toujours en 2022, 86 % des Catalans ont dû vivre avec des restrictions d'eau. 2023 n'arrange rien, avec 30 semaines de sécheresse. « Du jamais vu », s'alarment les habitants. La longue sécheresse de 2023 a imposé de nouvelles restrictions, non seulement pour les particuliers, mais aussi pour les industriels et les agriculteurs. Des mesures pour préserver les ressources en eau sont observées dans d'autres régions d'Europe, y compris dans les pays du nord.

Crise de l'eau : zoom sur la France

En France, l'été a été particulièrement difficile dans les régions frappées par des restrictions d'eau. Mais une vigilance est mise en place dès le début de l'année, avec 8 départements placés sous contrôle (Bouches-du-Rhône, Ain, Var, Pyrénées-Orientales, Savoie, Drôme, Ardèche et Yvelines). La Corrèze, le Vaucluse, la Sarthe et les Alpes-Maritimes se sont vite ajoutés à la liste. Le ministère français de la Transition écologique rappelle qu'en 2021, 350 communes françaises ont été approvisionnées par des camions-citernes pour éviter la pénurie d'eau potable. Pour les autorités, il s'agit « d'organiser la sobriété ». À noter une situation encore plus préoccupante à Mayotte, avec une eau potable rationnée qui arrive 1 jour sur 3, voire 1 jour sur 4.

Locaux et expatriés apprennent à vivre avec moins d'eau, et à bien utiliser celle qu'ils ont à disposition. En été, plusieurs arrêtés réglementent l'utilisation de l'eau. Interdiction de remplir son jardin, de nettoyer sa voiture, d'arroser ses plantes… Les conseils s'invitent aussi dans les domiciles. Il faut privilégier les douches courtes plutôt que les bains, et utiliser un pommeau régulateur d'eau. Il faut bien refermer le robinet après utilisation, et le faire réparer s'il fuit. Il faut couper l'eau pendant le brossage des dents et ne prendre que le strict nécessaire pour se rincer la bouche. Des mesures de bon sens, qui ne font pas uniquement du bien à la planète, mais permettent de faire des économies. Si les particuliers sont dans l'ensemble compréhensifs, certains manifestent ostensiblement leur désaccord. Dans le sud du pays, des propriétaires de piscine ont ainsi protesté contre les arrêtés préfectoraux, sans succès. Plusieurs communes ont interdit la construction de piscines, pour préserver les nappes phréatiques.

Quelles solutions ?

En juin dernier, l'EDO alerte une nouvelle fois les dirigeants européens : « plus d'un quart du territoire de [l'Union européenne] connaît actuellement des conditions d'alerte à la sécheresse […] 8% du territoire est déjà en état d'alerte à la sécheresse. » Le Parlement européen promet une « action renforcée » pour « préserver et améliorer les ressources en eau de l'UE ». L'UE agit dans le cadre de la Directive-cadre-eau, plan qui lui permet de protéger les ressources européennes et de lutter contre la pollution des eaux (pesticides, produits chimiques, métaux…). La liste des polluants est régulièrement examinée, car ces derniers affectent, non seulement les eaux de surface, mais aussi les eaux souterraines.

L'UE presse les industriels, les agriculteurs et les éleveurs à changer leurs pratiques et à se tourner vers la sobriété hydrique. Une sobriété qui passe parfois par des sacrifices. La hausse des températures remet en question la culture de certains fruits et légumes en Europe. La permaculture fait de plus en plus parler d'elle, pour sa vision pragmatique et respectueuse de l'environnement. Des agriculteurs pointent néanmoins l'ambivalence d'une Commission européenne qui, d'un côté, demande de faire des efforts, mais de l'autre, continue « de se prendre les pieds » dans ceux des lobbys, notamment ceux de l'industrie agroalimentaire. La crise de l'eau en Europe impose des solutions, et sur le court terme, et à long terme. Les scientifiques ont prévenu. L'augmentation de la population induira de fait une augmentation des besoins en eau. Charge à l'Europe de concilier urgence climatique, défis démographiques et stratégies économiques.