Expatriation : Entre choix personnel et contexte politique mondial

Vie pratique
  • immigration
    Shutterstock.com
Publié le 2023-09-20 à 10:00 par Asaël Häzaq
L'expatriation est aussi une affaire de politique. L'instabilité politique d'un État contraint ou interdit tout voyage. Les lois votées par tel ou tel État peuvent restreindre ou assouplir les règles d'immigration. D'autres mesures, comme les lois environnementales et économiques jouent aussi leur rôle, côté conscience. Peut-on s'expatrier dans n'importe quel pays ? Quels sont les freins susceptibles de remettre en cause un projet d'expatriation ?

Instabilité politique, pays en crise

Tunisie, Bolivie, Niger, Guatemala, Équateur, Égypte, République démocratique du Congo (RDC), Israël, Inde, Thaïlande, Arabie saoudite, Mexique, Maroc, Hong Kong, Chine, France et bien d'autres pays ont été ou sont classés « à risque ponctuel » par d'autres États. La présence de certains noms peut étonner, car ils accueillent régulièrement touristes et expatriés. La France, par exemple, est classée zone à risque par le Canada depuis les dernières émeutes de fin juillet. Le Canada recommande de « faire preuve d'une grande prudence » si l'on envisage d'aller dans le pays. Il classe dans le même groupe la Colombie, l'Arabie saoudite, l'Inde, et un certain nombre d'autres pays.

Chaque État dresse sa liste, régulièrement mise à jour, de zones vertes, où l'on peut voyager sans problème, de zones où la vigilance est requise, où les voyages « non essentiels » sont à proscrire. Les zones rouges, les plus dangereuses, sont celles où toute forme de voyage est à éviter. Les pays en guerre, et/ou subissant une grande instabilité politique, ou encore, coupés du monde, sont classés rouge. On peut dire qu'il y a « consensus » international sur le fait de ne pas se rendre en Afghanistan, en Irak, en Corée du Nord ou, récemment, au Niger pour des raisons de sécurité. Quoique d'autres interrogent ce « consensus ». Ici, on ne parle bien sûr pas des corps de métier, des diplomates et organismes politiques qui interviennent dans ces régions à risque. On parle plutôt de celles et ceux ayant un projet d'immigration en tête, voulant découvrir un autre pays, voyager, travailler à l'étranger.

Peut-on s'expatrier dans une dictature ?

La question en sous-entend d'autres. Est-il moral de voyager dans un État autoritaire ? Est-il dangereux de partir dans une dictature ? Y a-t-il une différence entre un voyage de quelques semaines et une installation de quelques années ? Peut-on envisager de vivre dans un pays instable politiquement, régulièrement en crise ?

Ces questions suscitent le débat, voire le malaise. Car partir dans ces pays en crise peut choquer. Pourquoi ne pas plutôt les boycotter ? Ce serait un moyen efficace de signifier son opposition à la politique du pays. Faux, répondent ceux qui ont voyagé dans des dictatures. Pour eux, le boycott a au contraire un effet contre-productif, puisqu'il enferme le pays en crise sur lui-même. Au contraire, aller à la rencontre des habitants permettrait de briser l'enfermement. Les étrangers devraient tout de même composer avec des restrictions (zones interdites aux étrangers, contrôle des espaces dans lesquels on peut circuler, etc.). Ils rappellent que voyager dans des États autoritaires ne signifie pas que l'on adhère à leur politique.

Expatriation : une responsabilité morale

Mais n'y a-t-il pas une différence entre le court voyage et l'installation ? Là encore, les débats sont vifs. Certains évoquent une « responsabilité morale » du voyageur, qu'il soit là pour une courte ou une longue période. D'autres rappellent que nombre de démocraties ne sont pas à l'abri de dérives, ce qui n'empêche pas les chefs d'État de se recevoir les uns les autres en grande pompe. Même analyse concernant les États plus autoritaires, qui, grâce à l'économie, parviennent à pénétrer les grands marchés démocratiques. Impossible de se passer du géant chinois. L'Arabie saoudite redevient fréquentable (le prince héritier Mohammed ben Salmane a été reçu en juin par le président français Macron). Ces deux pays, tenus d'une main de fer par leurs dirigeants, sont aussi deux puissances économiques qui recherchent des talents étrangers. Surtout l'Arabie saoudite, en concurrence avec les Émirats arabes unis (EAU). Faut-il renoncer à y immigrer à cause de leur politique ?

Cas de conscience

La responsabilité morale pèse-t-elle sur l'expatrié ? Oui pour certains, non pour d'autres. Ceux qui partent rappellent qu'ils n'adhèrent pas à la politique de ces États, mais y vont pour le travail. D'autres soulignent qu'il n'y a aucun problème de sécurité dans ces pays. Le danger serait plutôt pour les journalistes, les opposants, et tous ceux qui critiquent ces régimes. Mais tant que la profession exercée ne va pas à l'encontre de la politique du pays, il n'y aurait rien à craindre, sinon la conscience. C'est ce qui freine les étrangers qui s'abstiennent de se rendre dans un pays à la politique trop éloignée de leurs valeurs. Ils ne parlent pas de boycott, qu'ils jugent également contre-productif, tout juste bon à raviver le nationalisme. Ils évoquent plutôt une réflexion individuelle, non figée, qui évolue au fur et à mesure de leurs expériences. Ils appellent d'ailleurs à ne pas uniquement regarder les régimes les plus autoritaires, mais à voir également tous les autres pays qui prennent un virage politique qu'ils jugent inquiétant.

Climat politique et immigration

La Finlande souhaite accueillir davantage d'étudiants et de travailleurs étrangers, et dans le même temps, prend un virage assumé à droite. C'est le résultat de l'entrée au gouvernement de l'extrême droite, suite aux élections législatives d'avril 2023. La nouvelle coalition gouvernementale annonce un « changement de paradigme ». En clair : un durcissement de la politique d'immigration. Même tonalité en Suède. Le sentiment « anti-immigration » monte en Europe. En Allemagne, l'extrême droite vient à la tête d'une collectivité territoriale pour la première fois dans l'histoire de la fédération. Pays-Bas, Italie, Autriche, Grèce, Espagne, France… L'extrême droite gagne du terrain en Europe.

Le climat politique pourrait-il constituer un frein à l'expatriation ? Parfois, les lois votées restreignent de fait l'expatriation. On parle de ce sentiment « anti-immigration » qui monterait dans plusieurs États du monde. On oublie souvent que derrière cette expression qui n'a pas grand sens (ces États veulent-ils vraiment supprimer l'immigration dans son ensemble, supprimer la possibilité de s'installer dans un pays ?) se cache des visions qui ciblent des types spécifiques de populations. Mais les amalgames sont là. On trouve aussi des pays très ouverts dont certaines pratiques pénalisent des candidats à l'expatriation. Après des années de lutte pour faire reconnaître la discrimination subie par les étudiants africains francophones voulant s'expatrier au Canada, le ministre de l'Immigration Sean Fraser a promis de s'attaquer au problème. Promesse faite en 2021, alors que le ministre reconnaissait un « racisme systémique » ; les refus de candidatures d'étudiants africains francophones ne cessaient de grimper, surtout à Ottawa. En 2023, Ottawa traîne toujours les pieds, et Fraser semble perdre en légitimité. Comment s'expatrier dans un État qui refuse un dossier « logiquement » acceptable ?

Politique du pays et conflit de valeurs

Parfois, les freins sont la conséquence d'un conflit de valeurs ou conflit moral. De plus en plus de voyageurs sont sensibles à l'écologie. L'urgence climatique oblige à faire des choix. L'expatriation n'échappe pas au cas de conscience. Peut-on s'expatrier dans des États dont la politique environnementale reste encore trop superficielle ? En France, l'échec de la COP27 a refroidi plus d'un militant écologiste. L'écologie est une cause politique qui gagne de l'ampleur et peut même aller jusqu'à influer sur les choix d'expatriation. Des voyageurs n'iront que vers les destinations qu'ils estiment les plus avancées sur le plan écologique. La Finlande et son virage migratoire à droite toute est un bon élève côté transition énergétique. Il affiche également l'une des politiques les plus ambitieuses en la matière, avec une volonté d'atteindre la neutralité carbone en 2035. Le Danemark (lui aussi gagné par des idées d'extrême droite), le Costa Rica, la Suisse, l'Ile Maurice ou l'Islande sont d'autres États investis en matière environnementale. A contrario, ça coince encore en Chine, en grande partie à cause de sa dépendance au charbon et de sa politique économique (fortes exportations de biens et services).

Écologie et économie vont de pair, tout comme économie et normes sociales. Aux États-Unis, c'est l'impossible réglementation sur les armes à feu qui freine des candidats à l'expatriation. Le « rêve américain » a un prix qu'ils ne veulent pas payer. Ils refusent d'être taxés de « paranoïaques », mais refusent aussi de vivre dans un pays où il est possible de se promener avec une arme à feu. Pour d'autres, ce sont les droits des hommes et des femmes ou les lois concernant les droits des femmes qui joueront sur le choix du pays d'expatriation.

S'expatrier ou non ?

Toutes ces personnes savent que le pays parfait n'existe pas. La démocratie parfaite non plus. Une bonne politique environnementale peut côtoyer une politique plus discutable concernant l'économie ou l'immigration. D'où le « conflit de valeurs » et les cas de conscience. Il faut alors se demander quelles sont les raisons profondes qui motivent l'expatriation.