L'Allemagne peine à retenir les talents étrangers malgré ses efforts pour les attirer

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Publié le 2023-03-21 à 10:00 par Asaël Häzaq
Début mars, le gouvernement fédéral allemand a présenté son nouveau projet de loi pour attirer les talents internationaux, et surtout, les retenir en Allemagne. Car s'ils apprécient de vivre dans le pays – surtout les étudiants, qui plébiscitent l'Allemagne – ils ne restent pas pour y faire leur vie. Or, l'Allemagne manque cruellement de talents internationaux. Les pénuries de main-d'œuvre et le vieillissement de la population menacent la croissance du pays. Comment expliquer que les étrangers ne s'installent pas durablement en Allemagne ? Quelles mesures l'État propose-t-il pour se rendre plus attractif ?

Pénurie de main-d'œuvre : panique sur le marché du travail allemand

Un vent d'inquiétude souffle sur le gouvernement allemand. Les chiffres tombent les uns après les autres et confirment la morosité ambiante. Selon l'Institut de Recherche pour l'Emploi, qui appartient à l'Agence pour l'Emploi du gouvernement fédéral, il faudrait environ 400 000 immigrants qualifiés par an pour contrer la pénurie de main-d'œuvre. Les secteurs de la santé, la construction et des technologies de l'information sont particulièrement touchés par ces pénuries. Selon les dernières statistiques du gouvernement fédéral, il manquerait 3,6 millions de travailleurs, et il en manquera 7 millions en 2035. Hubertus Heil, le ministre du Travail, reconnaît que la pénurie de main-d'œuvre pourrait devenir « un problème permanent ».

Pourquoi de telles carences ? Le dernier rapport de l'OCDE, qui étudie l'attractivité des différents pays (Indicators of Talent Attractiveness), montre une Allemagne en perte de vitesse. Elle passe de la 12e place en 2019 à la 15e place aujourd'hui (sur les 38 pays de l'OCDE). Les étudiants internationaux aiment l'Allemagne au point de la placer 2e meilleur pays où étudier (derrière les États-Unis). Les travailleurs qualifiés préfèrent la Nouvelle-Zélande, la Suède, la Suisse et l'Australie. Ils considèrent qu'ils y ont davantage de chances de faire carrière et de vivre en famille. L'Allemagne n'arrive qu'en 15e position. Les chefs d'entreprise aussi plébiscitent la Nouvelle-Zélande, la Suède, la Suisse. Ils placent l'Allemagne en 13e position. Le pays gagne une place chez les créateurs de start-up, mais reste loin derrière le Canada et les États-Unis.

Si les étudiants étrangers aiment l'Allemagne, ils n'y restent pas. Les autres talents étrangers préfèrent faire carrière et fonder une famille dans d'autres pays. Le gouvernement fédéral multiplie les initiatives pour gagner en attractivité auprès des talents étrangers, mais reste conscient que le défi est de les retenir. Les étrangers quitteraient l'Allemagne après seulement 3 ou 4 ans.

Talents étrangers en Allemagne : ce qui explique les départs

Alors que l'Allemagne fait tout pour attirer les étrangers qualifiés, elle ne parvient pas à les faire rester durablement sur le territoire. Les premiers intéressés regrettent des conditions d'accueil qui compliquent leur installation au lieu de la faciliter. Une situation qu'ils jugent contre-productive, et qui n'incite pas à rester. Une étude menée par l'Institut de recherche économique appliquée révèle plusieurs causes qui expliqueraient ces départs.

Trop lourde bureaucratie

Oui, l'Allemagne recrute. Mais de l'aveu des expatriés, y poser un pied relève du parcours du combattant. Les règles se succèdent aux règles sans logique claire. Les étrangers ont souvent l'impression de tourner en rond au lieu d'avancer, faute d'avoir les documents nécessaires pour effectuer telle ou telle démarche. Obtenir un rendez-vous pour que son permis de travail relève de l'épreuve de force. Créer un compte en banque, trouver un appartement, s'installer… Tout est compliqué, voire décourageant, pour des expatriés déjà stressés par l'arrivée dans un nouveau pays. La lourdeur de la bureaucratie allemande est souvent pointée du doigt. Le manque de traduction anglaise est tout aussi regretté. Les expatriés comprennent bien qu'ils doivent parler allemand. Ils souhaiteraient néanmoins un meilleur accompagnement dans les premiers instants de leur expatriation, pour remplir leurs documents administratifs. Tout semble fait pour compliquer la tâche de personnes que l'on dit pourtant attendre avec impatience. Certains expatriés concluent : « C'est trop dur de venir en Allemagne. Trop de paperasse. »

L'expiration du permis de séjour

C'est le problème qui revient le plus souvent. Un problème d'apparence simple, surtout en période de pénurie de main-d'œuvre. Les permis arrivant à expiration pourraient tout simplement être prolongés. Pour les étrangers participant à l'étude, tel n'a pas été le cas. Leur permis de séjour dans le cadre d'une formation ou d'un emploi n'a pas été renouvelé. À qui la faute ? Ces candidats n'ont-ils finalement pas fait l'affaire ou le problème est-il d'ordre administratif ? Difficile de trancher. Le fait que nombre d'expatriés soulignent le problème de leur statut juridique paraît néanmoins révélateur, et complète les avis négatifs concernant la lourdeur administrative.

Discrimination

Contrairement au cas du permis de séjour, la discrimination n'apparaît pas dans les principales causes de départ des expatriés. Cela n'enlève bien sûr rien à la gravité du problème. 5 % des sondés expliquent que c'est bien la discrimination qui les a incités à partir. Les 2/3 des travailleurs qualifiés non européens ont même confié avoir subi des discriminations de la part des autorités ou au travail. Une récente étude de l'Institut Fédéral pour les Populations relève que les enfants étrangers ont moins de places en garderie ; idem pour les enfants défavorisés. En 2020, 35 % des enfants allemands ont eu une place en garderie. Ils n'étaient que 24 % chez les enfants non allemands, et 23 % chez les enfants défavorisés. L'étude a été reconduite au début de l'année, pour des résultats similaires. D'autres discriminations sont même constatées à l'école ; le système germanique désavantagerait les enfants n'étant pas nés avec la nationalité allemande. Face à ces résultats, l'Institut Fédéral pour les Populations a pressé le gouvernement fédéral de placer ce problème d'inégalité en tête du sommet sur l'éducation, qui s'est tenu les 14 et 15 mars.

Réunification familiale

Comment construire un projet de vie sans perspective de vie familiale ? Les expatriés regrettent que l'Allemagne n'adopte pas une vision plus large. Pour eux, le discours du Canada est davantage tourné vers la construction d'une vie sur le territoire, de la scolarité au travail, en passant par la famille, les activités et loisirs. En Allemagne, l'accent paraît davantage mis sur la recherche de main-d'œuvre. Mais que dire du logement ou la scolarité ? Comment garantir que les enfants et le conjoint bénéficieront d'un accompagnement ? Comment l'école se prépare-t-elle à accueillir les enfants venant de divers horizons ? Pour les expatriés sur le départ, l'Allemagne devrait se rappeler que « la main-d'œuvre », est constituée de personnes qui ont une vie en dehors des heures de travail.

Manque de considération

En lien direct avec le problème de la réunification familiale, certains expatriés disent ressentir un manque de considération. La pénurie de main-d'œuvre ne devrait pas saper les rapports humains. L'épuisement professionnel n'est pas loin. En 2022, il a touché 37 % des Allemands, mais 42 % des talents étrangers. Certains d'entre eux disent ressentir une pression plus forte. Leur séjour en Allemagne dépend de leurs capacités de travail. Ils se sentent parfois réévalués en permanence, avec l'obligation de toujours faire ses preuves pour avoir le droit de rester, mais sans forcément être félicité pour le travail accompli. La grande flexibilité du travail est aussi pointée du doigt ; elle expliquerait en partie le burn-out.

Manque d'écoute

Dernier élément soulevé par l'étude : le manque de structure d'écoute, d'accueil, de partage. Des expatriés interrogés admettent qu'ils seraient restés en Allemagne s'ils avaient été mieux entourés. Certes, on pourrait dire que les amis se trouvent à l'université, sur le lieu de travail ou dans les clubs de sport et de loisirs. Mais en vérité, nouer des liens solides est plus ardu que prévu, et demande du temps. Les étrangers ne parlent d'ailleurs pas de ces amitiés fortes, ni même des connaissances que l'on peut se faire, mais plutôt de professionnels qui pourraient répondre aux questions spécifiques qu'ils pourraient se poser concernant leur statut. Là, ils pourraient aussi partager leurs inquiétudes, leurs problématiques, leurs attentes.

Le plan de l'Allemagne pour attirer et retenir les talents étrangers

Depuis mars 2020, l'Allemagne a proposé une réforme de l'immigration pour faciliter l'entrée, le travail et le séjour des immigrants. Une première version de la loi a été soumise début mars aux États et associations concernés. Pour Hubertus Heil, l'Allemagne n'a plus de temps à perdre si elle veut attirer les talents internationaux : « Nous avons beaucoup d'offres de travail, nous avons beaucoup de très bons emplois, et nous avons besoin de renforcer cette image à l'étranger. »

Faciliter la venue des immigrants non européens

Si la libre circulation est permise au sein des pays membres de l'Union européenne, lenteurs et procédures à rallonge s'accumulent pour les ressortissants non européens. Les ministres veulent changer cela. Pour eux, il faut faire en sorte que l'on puisse facilement venir en Allemagne et commencer le travail. Les Européens peuvent venir en Allemagne chercher du travail. Les non Européens devraient pouvoir le faire aussi.

Créer une « opportunity card »

L'Allemagne mise beaucoup sur cette nouvelle carte, qui s'obtiendrait avant l'arrivée sur le territoire. Un premier moyen d'accélérer la procédure et de combattre la lourdeur administrative. L'étranger pourrait venir durant un an pour chercher du travail, et effectuer des périodes d'essais de 2 semaines. Il pourrait même venir travailler à mi-temps (20h/semaine).

L'« opportunity card » fonctionnerait sur la base d'un permis à points avec 5 catégories : qualifications, compétences en allemand, expérience professionnelle, connexions avec l'Allemagne (pour ceux qui ont des connaissances vivant déjà sur le territoire) et âge. Hubertus Heil, le ministre du Travail, précise que les candidats étrangers répondant à au moins 3 critères ou plus seront éligibles pour la poursuite des démarches.

Pour l'instant, pas de précisions concernant le système de calcul des points. Heil insiste : il faut mettre en avant l'expérience professionnelle et être plus souple. Le gouvernement pourrait ainsi valider des diplômes qui ne sont pas reconnus aujourd'hui. Il pourrait également valider les candidatures d'étrangers non diplômés, mais ayant 2 ans d'expérience dans un secteur. Enfin, il pourrait aussi embaucher des étrangers non qualifiés, mais souhaitant travailler dans des secteurs sous tension.

Souplesse aussi concernant la maîtrise de la langue. L'« opportunity card » pourrait accepter la candidature d'un postulant qui ne parle pas du tout allemand, mais qui collecterait des points dans d'autres domaines. Actuellement, une telle configuration ne serait pas possible. Mais les associations alertent sur les exigences en allemand. Elles rappellent que la langue n'est pas qu'un simple outil de communication, mais facilite aussi l'intégration. Elle protège également l'expatrié contre d'éventuels abus (par rapport au travail, par exemple).

Changer son image à l'international

Quelle image se fait-on de l'Allemagne ? Le pays est cosmopolite, mais qui le sait ? Francfort, Berlin ou Cologne sont connues pour leur multiculturalisme. C'est d'ailleurs l'une des clés de leur attractivité. Mais le côté international de l'Allemagne ne semble pas assez mis en valeur. C'est la conclusion du gouvernement fédéral, qui veut dynamiser l'image du pays. Le Canada est connu dans le monde pour son multiculturalisme. On le cite d'ailleurs comme un idéal à atteindre, où règneraient le partage, la paix et le bonheur tranquille. L'Australie bénéficie aussi d'une bonne image à l'international. L'Allemagne veut dire et montrer qu'elle est tout aussi ouverte à l'international.

Comprendre les raisons du départ

Toutes ces mesures visent à rendre l'Allemagne plus attractive sur le marché de l'emploi international. Mais comme en témoignent les expatriés partis, venir est une chose, rester en est une autre. Si l'opportunity card est pensée pour faciliter l'entrée des talents étrangers en Allemagne, comment garantir qu'ils ne partiront pas au bout de 3 ou 4 ans ? C'est tout l'objectif de l'accompagnement sur le long terme, qui commencerait par des études plus poussées pour comprendre là où le bât blesse. Le gouvernement fédéral reconnaît déjà la lourdeur administrative. Reste à résoudre les questions de la résidence, et de renforcer la lutte contre les discriminations. L'aide apportée aux expatriés (centres d'aides et de ressources) pourrait également être renforcée, pour faciliter leur vie sur place.

Liens utiles :

Ministère fédéral des Affaires étrangères : travailler et vivre en Allemagne

Portail d'information du gouvernement allemand : immigrer en Allemagne

Make it Germany : site web officiel pour la main-d'œuvre qualifiée