Le rôle clé des travailleurs étrangers dans les puissances mondiales

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Publié le 2024-05-27 à 10:00 par Asaël Häzaq
Malgré des réformes plus contraignantes dans les puissances mondiales, l'immigration continue d'être un moteur incontournable de la croissance. Telle est la conclusion du dernier rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la question. Décryptage.

Immigration : un facteur de croissance indispensable

Publié le 2 mai, le rapport Perspectives économiques 2024 de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se montre prudent, tout en soulignant un retour de la croissance. Une croissance, certes modeste, mais qui ne faiblit pas : +3,1 % en 2023. Le même chiffre est attendu cette année. L'OCDE envisage une légère augmentation du PIB mondial en 2025 (3,2%). Des chiffres que l'OCDE considère plutôt élevés, au regard du contexte géopolitique.

Le rapport souligne une année 2023 marquée par d'importants « flux d'immigration » dans plusieurs pays de l'OCDE. C'était notamment le cas en Australie, au Canada (les deux États ont depuis pris des mesures pour restreindre le nombre de nouveaux immigrants), aux États-Unis, en Espagne ou au Royaume-Uni. Royaume-Uni qui, malgré le Brexit et un panel de mesures visant à durcir les conditions d'immigration, continue d'attirer les travailleurs étrangers.

L'immigration reste un sujet sensible dans de nombreux États qui entendent serrer la vis tout en reconnaissant ne pas pouvoir se passer des travailleurs étrangers. Dans son rapport, l'OCDE note l'impact direct de ces travailleurs étrangers sur la croissance. En Grande-Bretagne, la main-d'œuvre étrangère a contribué à un peu plus de 1 point de croissance. C'est +1,5 point pour l'Australie, le Canada, l'Espagne et la Suède (malgré un durcissement de la politique suédoise d'immigration). Les chiffres s'envolent à près de 3,5 points de croissance en Irlande, et 3,7 points au Portugal. Ces niveaux dépassent largement ceux observés sur la période 2010-2019. Si l'apport de la main-d'œuvre étrangère est moins fort en France (près de 0,5 point), elle reste un « bienfait », comme l'indiquait le Conseil d'analyse économique (CAE) en 2021. L'organisme, qui dépend de l'exécutif, appelle depuis plusieurs années à un investissement plus franc dans l'immigration qualifiée, pour booster la croissance.

Des travailleurs étrangers pour combler les pénuries de main-d'oeuvre

Ces chiffres sont à croiser avec ceux des importantes pénuries de main-d'oeuvre en 2021-2023. Les États-Unis, le Canada, le Japon et les pays de la zone euro ont été particulièrement touchés par ces pénuries. Aux États-Unis, 1,5 à 2 % des entreprises font part de difficultés à recruter sur cette période. Le chiffre peut paraître faible, mais représente 9 à 12 millions d'emplois non pourvus en 2021-2023. Au plus haut de la crise (fin 2022), près de 2 % des entreprises canadiennes font face à des difficultés de recrutement. Le chiffre s'envole à plus de 2,5 % pour la zone euro. S'il baisse progressivement depuis 2023, il reste à un niveau élevé (environ 1,6%). La baisse est plus franche aux États-Unis (1 %) et surtout au Canada, qui passe sous la barre des 0 %.

En revanche, les entreprises ont toujours du mal à recruter au Japon. Le chiffre ne cesse d'augmenter depuis la crise sanitaire, et dépasse 1,5 % début 2024. Le Japon est face au double défi démographique et migratoire. Mais le pays préfère s'ouvrir lentement à l'immigration (notamment via la réforme de ses permis de travail et la création de nouveaux visas de travail).

Politiques d'immigration : des visions divergentes selon les États

En pleine campagne pour sa réélection, Joe Biden fait le lien entre croissance et immigration. S'exprimant le 1er mai, à l'occasion d'un évènement de collecte de fonds pour sa campagne, il affirme que l'immigration permet le développement économique des États-Unis. Il voit les difficultés de la Chine, de la Russie, de l'Inde et du Japon, Joe Biden comme une conséquence de leur « xénophobie ». Selon lui, « […] Ils ne veulent pas d'immigrés ».

Les propos surprennent, surtout côté japonais, allié fidèle des États-Unis. Début avril, le Premier ministre Kishida était reçu en grande pompe à Washington. Le voici désormais relégué au même niveau que les adversaires des États-Unis. Réaction de Tokyo le 3 mai, qui qualifie de « regrettables », les propos du président américain. Le porte-parole de la Maison-Blanche nuance et rappelle l'alliance historique entre les deux pays. En vain. Le Japon se défend de toute xénophobie, et défend sa politique migratoire.

Faut-il parler de maladresse ? Joe Biden s'était justement employé à renforcer ses liens, non seulement avec le Japon, mais aussi avec l'Inde, pour contrer l'expansion chinoise dans le Pacifique. Les rapports de force restent très importants, dans un contexte de forte instabilité géopolitique. La croissance mondiale fait apparaître de profondes disparités entre les régions du monde.

Les États-Unis affichent une bonne santé économique (+2,5 % de croissance en 2023). L'Inde et ses +6,6% de croissance ont de quoi faire pâlir plus d'une économie européenne. Car la zone euro stagne. Le poids lourd allemand progresse difficilement : à peine +0,2 % prévu cette année. Le pays sort d'une année 2023 sous le signe de la récession (-0,3 % de croissance). C'est justement pour relancer la croissance le pays s'est lancé dans sa réforme de l'immigration. Son défi : attirer, et surtout retenir les talents étrangers.

Quel impact sur les projets d'expatriation ?

Indispensable immigration, donc. Mais quelle politique migratoire adopter ? Si toutes les puissances s'accordent pour privilégier l'immigration économique, leurs méthodes divergent. Les observateurs scrutent avec attention le Canada, terre d'immigration par excellence, connue pour sa politique d'ouverture (bien qu'assujettis à des critères précis, avec le permis à points, par exemple). Quel sera l'impact du plafonnement du nombre de ressortissants étrangers décidés par le ministère de l'Immigration ?

Les regards se tournent aussi vers le Royaume-Uni, qui, selon les vœux de son Premier ministre Sunak, accueille à bras ouvert les riches investisseurs et professionnels étrangers très qualifiés. Mais seulement eux. Ses dernières mesures (prises en avril et mai) compliquent encore un peu plus les projets d'expatriation. Attention néanmoins à ne pas oublier les terres d'émigration. L'Italie, la Croatie, les pays d'Europe de l'Est perdent des habitants et n'attirent pas de professionnels étrangers ; leurs politiques ne vont d'ailleurs pas dans ce sens. Mais le défi démographique de plus en plus pressant pourrait bien pousser les États à une nouvelle réflexion sur leur politique migratoire.