Pourquoi l'expatriation n'attire plus les Français

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  • foule de gens a La Rochelle en France
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Écris par Asaël Häzaq le 21 mai, 2024
Frileux à l'idée de faire le grand voyage, les Français ? C'est ce que laissent entrevoir les dernières études sur l'expatriation. Alors que la mobilité internationale se relance, propulsée par les pénuries de main-d'œuvre et l'approche de plus en plus globale de nombreuses entreprises, les Français seraient plus enclins à rester chez eux.

Des Français moins intéressés par l'expatriation ?

À peine 8 % des Français recherchent activement un emploi à l'étranger. C'est ce que révèle la 4e édition de Decoding Globat Talent, grande étude sur la mobilité internationale, publiée en avril 2024 par Boston Consulting Group (BCG), The Network, et The Stepstone Group (spécialistes du recrutement en ligne. L'étude a compilé les réponses de 150 735 travailleurs répartis dans 188 pays. Tous les continents sont représentés. En France, près de 4000 travailleurs ont répondu à l'enquête.

Le faible pourcentage de Français enclins à s'expatrier contraste avec celui du reste des répondants : 23 % d'entre eux recherchent activement un emploi à l'étranger. Le chiffre augmente sensiblement depuis 2020 (+2 points).

Les experts soulignent néanmoins qu'il existe des variations entre les étudiants, les jeunes diplômés et jeunes actifs, et les travailleurs plus âgés. Sans surprise, la mobilité internationale est plus grande chez les jeunes. Les moins de 35 ans sont plus mobiles. Ce sont eux, les « nouveaux expatriés », nomades numériques ou salariés n'hésitant pas à chercher du travail à l'étranger. Passé 35 ans, les projets d'expatriation sont moins nombreux. La tranche d'âge coïncide avec une envie plus forte de fonder un foyer, de se poser, de « prendre ses responsabilités ». Contrairement aux idées reçues, le projet « mariage, maison à crédit et enfants » reste toujours populaire.

Certaines valeurs considérées comme traditionnelles demeurent. Elles reviennent même sur le premier plan depuis la crise sanitaire. Ainsi, la « valeur famille » est toujours très forte. Nombre de Français résidant ou non à l'étranger restent traumatisés par les confinements et leurs conséquences. Éloignement d'avec la famille, solitude… Certains ont manqué des naissances. D'autres n'ont pas pu dire Adieu à leurs proches. Le contexte international difficile ajoute à la frilosité des Français.

Travailler en France plutôt qu'à l'étranger

Pourquoi partir quand le travail attend sur le pas de la porte ? Si la dernière enquête de l'organisme d'État France Travail révèle une baisse de 8,5 % des projets de recrutements en 2024 (avec près de 2,8 millions de projets de recrutement attendus), les entreprises sont toujours en demande de talents locaux. Certaines régions françaises croulent sous les offres d'emploi. L'Île-de-France, l'Auvergne-Rhône-Alpes, la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) sont les 5 régions qui envisagent le plus de recruter cette année. L'Île-de-France concentre le plus grand nombre de projets de recrutement (489 900). La région PACA ferme le top 5, avec 247 600 projets.

Ces 5 régions recherchent notamment des ingénieurs, cadres et techniciens en informatique, des professionnels du spectacle et des artistes, des employés de restaurant, d'hôtellerie, des agriculteurs, personnels de santé et éducateurs spécialisés. Les autres régions ne sont pas en reste, avec de fortes pénuries dans les transports, l'industrie ou la santé. Le boom du travail à distance incite également les Français à rester à domicile. Pourquoi s'expatrier lorsqu'on peut travailler pour l'étranger depuis chez soi ?

En clair : le travail est là. C'était d'ailleurs le message martelé par les politiques soutenant la réforme de l'immigration. Un message qui a suscité la polémique, en opposant travailleurs locaux et étrangers. La France finira-t-elle par faire comme le Royaume-Uni et sa lutte acharnée pour abaisser le solde migratoire ? Se dirigera-t-elle vers un visa à points, comme au Canada ? Un Canada toujours très populaire… auprès des ressortissants français.

Problème de la langue

Si les Français s'expatrient moins, ils s'expatrient « malin ». Ils immigrent volontiers dans un pays francophone, le Canada en tête, mais semblent regarder avec plus de circonspection les autres pays, y compris les pays anglophones. « Tout le monde parle anglais », aime-t-on dire. On oublie de préciser qu'il existe moult « anglais » avec autant de variations, et qu'en fait, tout le monde ne parle pas anglais.

On ne compte plus les études classant les Français parmi les pays les plus mauvais en anglais. Le temps passe, les scores des Français s'améliorent plus ou moins. Les Français seraient nuls en anglais, et tout aussi mauvais pour apprendre d'autres langues étrangères. À noter que les Britanniques ne seraient pas en reste. Mais on insiste : il existe bien entendu des Britanniques et des Français à l'aise dans une autre langue que la leur.

Le « problème français » avec les langues étrangères serait surtout une affaire de complexe. Par peur de mal dire, ceux qui renoncent à l'expatriation préfèrent éviter de voyager. Ils auraient surtout peur d'être complètement largués. On sait comme la France peine encore à valoriser les expériences difficiles. L'échec reste vécu comme un drame honteux. Certes, personne n'appelle l'échec. Mais pour certains observateurs, la culture française privilégierait davantage les parcours de vie « en ligne droite » : scolarité, diplôme, emploi cohérent avec le diplôme, famille. Les zigzags entre deux pays et les expatriations écourtées s'apparenteraient à des accidents dramatiques de parcours. Néanmoins, la donne change avec les jeunes candidats à l'expatriation, qui cherchent davantage à donner un sens à leur vie. Pour eux, l'expatriation est bien plus qu'un moyen de faire carrière à l'étranger. C'est une expérience de vie utile, quel que soit son résultat.

Expatriation : la France parvient-elle à attirer les talents étrangers ?

Si les Français sont moins attirés par l'expatriation, qu'en est-il des étrangers ? La France veut rattraper son retard sur le Canada, les États-Unis, l'Allemagne ou l'Australie, et attirer plus de professionnels étrangers. Le pays s'est donné les moyens de son ambition, avec la French Tech, qui déroule le tapis rouge aux talents étrangers, et davantage de moyens mis dans l'information et l'accueil des ressortissants étrangers.

Mais d'après l'étude Decoding Global Talent, la France se laisse encore distancer par ses concurrents. Classé 6e dans la première étude (en 2014), le pays n'a cessé de descendre dans le classement : 7e en 2018, 9e en 2020. La France conserve sa 9e position en 2023, mais est plus proche de la sortie que du haut du podium. À contrario, l'Australie, le Canada et les États-Unis caracolent en tête depuis 2014, talonnés par l'Allemagne et le Royaume-Uni. En 2023, l'Australie gagne le titre de meilleure destination pour les expatriés, devant les États-Unis et le Canada. Canada qui était classé 1er en 2020 (devant les États-Unis et l'Australie). En 2018 et 2014, les États-Unis faisaient la course en tête. Les villes françaises perdent encore plus de points. Paris ne figure pas dans le Top 10 des meilleures villes pour les expatriés. Elle arrive 13e, loin derrière Londres (1ère), Amsterdam (2e) et Dubaï (3e).

Mais d'un autre côté, la France gagne des points côté qualité de vie. 61 % des répondants à l'enquête estiment que la France offre une bonne qualité de vie. Le pays fait ici jeu égal avec l'Australie et le Japon (6e au classement). Le Canada fait légèrement mieux (63 % apprécient sa qualité de vie), mais la France dépasse les États-Unis de 5 points. Elle se démarque aussi côté qualité des offres d'emploi, et parvient à séduire 59 % des répondants. Un chiffre encourageant, mais inférieur aux pays stars de l'expatriation : les expatriés lui préfèrent la Suisse (66 %), l'Australie et le Japon (68 %), le Royaume-Uni (71 %), le Canada (73 %), Singapour (74 %) et les États-Unis (77 %).

Expatriation en France : peut mieux faire

Comment expliquer ces résultats en demi-teinte ? Les répondants désignent plusieurs coupables : les procédures de visa et la bureaucratie, le manque d'inclusivité et d'ouverture d'esprit culturel, le manque d'opportunités d'acquérir la citoyenneté… La réforme de l'immigration, votée dans la douleur et serrant un peu plus la vis pour les ressortissants étrangers, n'aide pas la France à redorer son image. La montée en puissance des discours ambigus, voire hostiles sur l'immigration, brouille le message de la French Tech.

Qu'ils soient professionnels qualifiés ou non, avec de hauts diplômes ou non, « cols bleus » ou « cols blancs », jeunes ou vieux, les étrangers préfèrent s'expatrier en Australie, aux États-Unis et au Canada. Ces 3 pays restent en tête chez toutes les catégories de travailleurs interrogés. L'Allemagne fait une percée en 3e position pour les expatriés seniors (devant le Royaume-Uni, 4e, et le Canada, 5e). La France occupe les derniers rangs du top 10 : elle se classe 8e destination d'expatriation chez les jeunes et les professionnels peu diplômés, et 9e chez les hauts diplômés, les travailleurs qualifiés et non qualifiés, et les seniors. Elle est même dernière chez les professionnels du digital… Un comble, pour un pays qui ambitionne de devenir un nouvel acteur incontournable du digital et des métiers innovants.