Flexibilité au travail : quelle importance pour les expatriés ?

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Publié le 2023-11-28 à 14:00 par Asaël Häzaq
Quelle organisation du travail pour demain ? Entre le 100 % présentiel et le 100 % à distance, d'autres formes du travail coexistent et gagnent du terrain depuis les confinements. Les travailleurs sont nombreux à plaider pour davantage de flexibilité, mais une flexibilité qui les protège. Qu'en est-il en matière d'expatriation ? Que disent les législations, et comment faire respecter ses droits ?

Crise économique, flexibilité et expatriation

D'aucuns croyaient que les réorganisations du travail précipitées par le contexte de crise sanitaire perdureraient. Les confinements ont en effet obligé les entreprises à changer leur mode de fonctionnement. Plus de présentiel, mais du 100 % télétravail. Si ce mode de travail existait auparavant, il est propulsé par le contexte exceptionnel, et séduit un grand nombre de travailleurs dans le monde. Car le télétravail offre davantage de flexibilité. Le salarié réorganise, et son rapport au travail, et son organisation. Les déconfinements n'ont pas mis fin au télétravail.

Mais il n'y a pas eu non plus la révolution attendue. Car en 2020-2021, certains tablaient sur la mort du bureau. Le télétravail permettait aussi de faire baisser les coûts. Plus de bureau, plus de loyer à payer, plus de charges, plus d'entretiens. Des avantages sur le papier qui, selon les partisans du retour dans l'entreprise, ne compensent pas les risques et/ou pertes. De nombreux managers se plaignent d'un manque d'engagement de leurs collaborateurs, d'une baisse de productivité, d'une difficulté à organiser le travail.

La révolution est cependant bien en marche. Les travailleurs seraient les premiers à demander davantage de flexibilité pour mieux organiser leurs journées (selon les secteurs d'activité). Côté expatriation, de nouvelles organisations du travail se construisent, propulsées par le travail à distance et le nomadisme numérique. Cette forme de travail n'est pas seulement réservée aux expatriés travaillant à leur compte, mais concerne également les salariés, sous réserve qu'ils trouvent une entreprise le proposant. C'est justement le conseil des agences de recrutement aux entreprises : préciser si l'offre d'emploi est 100 % en présentiel, à distance, ou hybride. Pour elles, recruter des talents étrangers passera par davantage de flexibilité au travail.

Travail flexible dans le monde : que disent les lois ?

Royaume-Uni

En juillet, le gouvernement britannique annonce une nouvelle loi flexibilité pour favoriser et faciliter les démarches des salariés souhaitant un travail flexible. Le salarié pourra, par exemple, demander à modifier ses heures de travail ou son modèle de travail (passer à temps partiel, compresser sa semaine sur 4 jours, travailler en partie ou 100 % à distance…). La loi permettra aux salariés d'en faire la demande sans besoin de se justifier, contrairement à la pratique actuelle. Mais l'employeur ne sera pas dans l'obligation d'accepter automatiquement la demande de son salarié. Une discussion s'engagera pour vérifier s'il est possible de répondre ou non à la demande du salarié. D'après Kevin Hollinrake, ministre des Entreprises, la réforme profitera à des millions de travailleurs britanniques.

Selon l'Index « Flex-Jobs 2023 » de Timewise, spécialiste du travail flexible, 9 personnes sur 10 cherchent un emploi flexible au Royaume-Uni. Mais les offres ne suivent pas (à peine 3 offres de travail flexible sur 10). En progrès lent depuis 2015 (10 % en 2015), l'offre de travail flexible s'est accélérée en 2020, 2021 et 2022, passant de 15 % en 2019 à 17 % en 2020, 24 % en 2021 et 30 % en 2022. Mais l'offre n'a augmenté que d'un point en 2023. Autre limite : les postes à temps partiel sont souvent moins bien rémunérés que les postes en télétravail. Le travail flexible est davantage représenté dans les secteurs du social (45%), des ressources humaines (39%), des finances (38%) ou du marketing (38%). En revanche, pour des raisons inhérentes à la nature même du métier, on trouve très peu de flexibilité dans les usines (11%) et la construction (10%).

Canada

Pour le gouvernement canadien, la flexibilité contribue à renforcer l'autonomie du travailleur et à améliorer sa qualité de vie ; le travailleur qui fixe lui-même ses horaires est en effet davantage responsable et impliqué dans la vie de l'entreprise. D'après l'Enquête de Statistique Canada sur la population active concernant les horaires flexibles, 30,3 % des salariés de 15 à 69 ans ont pu fixer librement leurs heures de début et de fin de travail en avril 2022. Plus du double (64,7%) considère que la flexibilité est un « facteur d'emploi important ou essentiel ». 58,5 % de la population active travaille 100 % à domicile, ou travaille en hybride (59,8%) soit près de 6 actifs sur 10. Tous ces actifs indiquent choisir librement leurs horaires de travail. Pour Statistiques Canada, cela s'explique par un niveau de flexibilité plus grand réservé à certaines professions.

Comme vu avec l'exemple du Royaume-Uni, la flexibilité s'applique différemment selon les secteurs d'activité, quand elle peut s'appliquer. L'enquête de Statistique Canada révèle que les travailleurs des secteurs de la gestion (52,3%), des sciences naturelles (50,8%), des affaires, de la finance et de l'administration (39,5%) et des arts, sports, loisirs et culture (36%) étaient les plus flexibles. À l'inverse, travailler dans les transports, la fabrication et la santé offre moins de flexibilité (respectivement 16,2 %, 16 % et 15,5%). Le droit canadien permet notamment un « assouplissement des conditions d'emploi pour les employés sous réglementation fédérale ». Les travailleurs en poste depuis 6 mois continus peuvent demander des horaires flexibles. Cette demande peut concerner leur nombre d'heures de travail, leurs horaires, ou leur lieu de travail.

Belgique

En septembre 2022, le Parlement belge entame la réforme du marché du travail. Également appelée « Job Deal », cette réforme entend justement promouvoir la flexibilité. La réforme assouplit les règles d'organisation du travail, pour apporter un meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée. Plus autonomes, les travailleurs sont également plus engagés dans l'entreprise, et plus responsables. La semaine de quatre jours fait partie des mesures phares de la réforme. La loi n'impose pas aux entreprises de se plier à la semaine de 4 jours, mais permet aux employés d'y recourir. Le nombre d'heures restera le même. Un salarié à temps plein peut désormais effectuer 9h de travail par jour (et donc, dépasser la limite des 8 heures/ jour), pour concentrer son travail sur 4 jours.

Le salarié devra déposer une demande écrite à son employeur ; s'il veut faire 10h par jour, il devra obtenir l'accord des partenaires sociaux (une convention collective doit tout d'abord autoriser à effectuer 10h de travail par jour). La réforme autorise également le salarié à temps plein à moduler ses semaines de travail. Par exemple, faire 41 heures une semaine, puis 35 heures l'autre semaine. La loi rappelle cependant le seuil à ne pas dépasser : 45 heures par semaine et 9 heures par jour.

Travail flexible et respect des droits des travailleurs 

D'autres pays ont fait le choix de la flexibilité, comme les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège ou la Nouvelle-Zélande. Aux Pays-Bas, la flexibilité, appelée aussi « flexwerk » a été vue comme une solution pour répondre à la crise économique des années 80. Les Pays-Bas, mais aussi le Danemark, misent sur la « flexisécurité » une opération présentée comme favorable pour les employeurs et les salariés. Ce modèle se vante en effet d'être l'un des plus protecteurs pour les travailleurs. Mais il s'effrite face à la crise de 2008, et, plus récemment, lors de la pandémie de 2020.

Pour les opposants, trop de flexibilité fragilise le marché du travail. Les emplois à temps partiel, en hausse, sont moins bien rémunérés que les autres. Les populations déjà fragilisées le sont encore plus lorsqu'elles tombent dans la spirale de l'emploi à temps partiel. Elles sont aussi moins engagées dans leur entreprise, et plus sujettes au turn-over. Difficile également d'attirer les talents étrangers. Les moins qualifiés risquent eux aussi de tomber dans la spirale des emplois précaires.

Consciente des enjeux de la flexibilité, la ministre du Travail singapourien Gan Siow Huang a annoncé une réforme des modalités du travail flexible. Déclaration faite le 4 octobre, pour une annonce « des grandes lignes » prévue en 2024. Pour la ministre, les modalités du travail flexible ne doivent pas être « rigides » au risque de porter préjudice non seulement aux entreprises, mais aussi aux travailleurs. Le ministère du Travail encourage employeurs et travailleurs à s'accorder. Mais le parlementaire Louis Chua, membre du parti des travailleurs, presse le gouvernement de légiférer sur le travail flexible pour réellement protéger les travailleurs, au lieu de n'émettre que des avis non contraignants.

Expatriation : faire respecter ses droits

Pour les travailleurs locaux comme expatriés, il s'agit de faire respecter ses droits. Sur ce point, les lois restent correctement appliquées dans les États qui organisent la flexibilité du travail. Le problème est de parvenir à faire reconnaître ses droits. Car la course à la flexibilité peut aussi avoir des effets pervers. Au lieu d'améliorer la gestion du temps, et donc, le rapport vie professionnelle/vie privée, elle peut conduire à une confusion. C'est surtout vrai pour les travailleurs hybrides ou 100 % à distance. C'est pour mieux protéger ses salariés que la réforme belge a inscrit le principe du droit à la déconnexion. Une convention collective devra définir les modalités de la déconnexion chez toute entreprise de plus de 20 salariés. Par exemple, ne pas être joignable en dehors de ses heures de travail, que l'on soit en poste à l'entreprise ou à distance.

Mais transformer une organisation du travail prendra du temps. Les États se mettent à peine à l'heure du nomadisme numérique, du travail à distance et du « workation ». Toutes ces formes de travail doivent encore passer l'épreuve des nombreuses crises économiques qui bouleversent les pays. Les travailleurs étrangers sont en première ligne, surtout les moins qualifiés. Charge aux États de trouver la bonne formule pour allier flexibilité au travail et respect des droits des travailleurs.