Pénuries de main-d'œuvre : les États se mobilisent pour attirer les talents étrangers

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Publié le 2023-05-03 à 08:00 par Asaël Häzaq
Le monde recrute. Les pénuries de main-d'œuvre continuent cette année, et poussent les États à multiplier les mesures pour assouplir les règles d'obtention des visas, raccourcir les délais, attirer davantage de talents étrangers. L'urgence est le nouveau mot d'ordre. Car ces pénuries se comptent en points de croissance. Dans un contexte de fortes tensions internationales (guerre en Ukraine, crise énergétique et économique, inflation) et face au vieillissement de la population, les États se doivent de frapper fort, et d'agir vite. Quels impacts sur l'expatriation ?

Pénurie mondiale de main-d'œuvre

Suisse, États-Unis, Corée du Sud, Canada, Afrique du Sud, France, Japon, Allemagne, Australie, Hong Kong, Slovaquie, Singapour, Nouvelle-Zélande, Italie, Brésil, Norvège, Royaume-Uni… La liste des États sous tension est longue. 3/4 des entreprises dans le monde font part de leurs difficultés à embaucher. Avec de fortes disparités selon les régions et les secteurs d'activités. On constate cependant certains domaines sous tension, dans le monde entier. La santé, sursollicitée durant la crise sanitaire, est à bout de souffle. Infirmiers, aides-soignants et médecins manquent. Les pays touchés par le vieillissement de leur population désespèrent de recruter des aides à domicile. Le métier, physique, contraignant et souvent mal rémunéré, attire peu.

Et même lorsque le salaire est plus élevé, les pénuries de main-d'œuvre se font sentir. Les métiers innovants sont en recherche constante de nouveaux talents. Technologies de l'information et de la communication, ingénierie, développement de logiciel analyse data, stratégie marketing, e-commerce… Les États rivalisent pour attirer les talents internationaux. Des pays comme le Canada ou les Émirats arabes unis (EAU) mettent en avant leur vision cosmopolite. Le Canada surfe sur sa bonne image à l'internationale. Les EAU, dont la majorité de la population est immigrée, multiplient les mesures pour faciliter l'entrée et le séjour des talents étrangers. Certes, le coût de son golden visa a triplé en février (de 50 à 150 dirhams des EAU, soit de 14 à 41 dollars). Mais il reste bien sûr plus qu'abordable pour les investisseurs et talents étrangers. Les EAU entendent bien devenir une zone d'influence mondiale, notamment en matière de nouvelles technologies, de finance, d'industrie ou d'énergie. C'est justement dans ces secteurs qu'ils recrutent des talents internationaux.

Et ailleurs ? Quelles nouvelles mesures les États ont-ils mis en place pour favoriser l'accueil des travailleurs étrangers ? Tour d'horizon.

Afrique du Sud : des visas, plus vite, plus simplement

Plus jamais ça. Cyril Ramaphosa, le président de l'Afrique du Sud, promet plus d'efficacité et de rapidité dans le traitement des demandes de visa des travailleurs étrangers. Fin mars, de nombreux travailleurs étrangers ont vu s'envoler leurs rêves de faire carrière en Afrique du Sud. Leurs visas ont été annulés au dernier moment, faute de n'avoir pas pu être traités à temps. À la même période, le ministère sud-africain de l'Intérieur comptait encore 62 692 dossiers en attente de traitement. C'est pour éviter cet engorgement que le président sud-africain a annoncé une révision du système de visa de travail. Au cœur de la mesure : plus de rapidité dans le traitement des dossiers afin de réduire le temps d'attente. Le gouvernement sud-africain veut rendre le visa de travail plus simple à obtenir.

La puissance africaine est elle aussi frappée par une pénurie de main-d'œuvre dans de nombreux secteurs : technologies de l'information, finance, santé, ingénierie, management, marketing, design, médias et arts... En finance, le pays manque d'auditeurs externes, d'analystes financiers et de comptables analytiques et de gestion. Les technologies de l'information recherchent des data analysts, des développeurs de logiciels, des database designers, et des system analysts, ou encore, des marketing analysts. L'Afrique du Sud manque aussi de webdesigners, d'ingénieurs 3D, et d'ingénieurs multimédias. Comme dans de nombreux autres pays, le secteur de la santé ne s'est toujours pas remis de la pandémie. Le pays manque cruellement d'infirmiers.

« Nous [...] établirons un système basé sur des points pour offrir des parcours plus flexibles aux candidats qualifiés, conformément aux meilleures pratiques mondiales. » a annoncé Cyril Ramaphosa le 13 avril, lors de la 5e Conférence pour l'investissement en Afrique du Sud. Car le pays doit faire face à une concurrence serrée. L'Australie, l'Allemagne, les États-Unis ou le Canada sollicitent eux aussi les talents étrangers. L'exode des cerveaux menace aussi la puissance africaine. Comment rester attractif, et pour ses talents locaux, et pour les talents étrangers ? Le gouvernement sud-africain compte bien relever le défi cette année.

Bahreïn : la nouvelle « licence dorée »

Bahreïn se relance dans la course pour attirer les investisseurs étrangers. Supplantée par Dubaï depuis les années 2000, la puissance du Golfe a annoncé une nouvelle « licence dorée ». En 2021, le gouvernement introduit un plan de relance économique. Parmi les mesures phares : la stimulation de l'investissement local et étranger, et la revalorisation du programme de « visa doré » pour attirer et retenir les talents étrangers.

En 2022, l'État propose un nouveau programme de « visa doré ». Alors que d'autres puissances mettent fin au programme controversé (Royaume-Uni, Portugal…), le Bahreïn mise justement sur le Golden visa pour faire de l'ombre à Dubaï (les Émirats arabes unis proposent également le visa doré). Le nouveau Golden visa permet aux investisseurs, aux entrepreneurs et aux travailleurs hautement qualifiés de résider sur le territoire pendant 10 ans.

La nouvelle licence dorée soutiendra les investisseurs locaux et étrangers qui créent plus de 500 emplois locaux ou s'engagent dans des projets (d'au moins 50 millions de dollars). Si tous les détails n'ont pas encore filtré, on sait que l'État facilitera l'attribution de licences commerciales, de terrains et de permis de construire pour les investisseurs. La nouvelle licence dorée s'emploiera aussi à rationaliser la délivrance de visas, pour plus d'efficacité. Le Bahreïn ne peut se passer de sa main-d'œuvre étrangère, qui constitue près de la moitié de sa population. La licence dorée est un autre moyen de retenir les talents étrangers.

Allemagne : une loi immigration plus souple

100 milliards d'euros. C'est ce que coûte le manque de main-d'œuvre qualifiée à l'Allemagne. L'Association des Chambres de commerce et d'industrie allemande ne cache pas son inquiétude. Selon ses derniers chiffres, 51 % des entreprises manquaient de travailleurs qualifiés en 2022. Le chiffre est déjà passé à 53 % cette année. Pour sortir de l'engrenage, le gouvernement allemand a présenté (mercredi 29 mars) un projet de loi visant à alléger les règles d'immigration pour les travailleurs qualifiés. Un assouplissement qui permettrait à l'Allemagne d'attirer 400 000 talents étrangers par an. Prenant exemple sur le Canada, le projet repose sur un système de points qui évaluerait le potentiel du candidat. Les travailleurs étrangers pourraient demander la nationalité allemande au bout de 5 ans de résidence, voire moins, si l'administration constate leurs efforts en matière d'intégration (s'ils parlent allemand, par exemple). Les étrangers non européens pourront demander la nationalité allemande sans devoir renoncer à la leur. Une mesure importante, car le renoncement à sa nationalité était un frein pour nombre de talents internationaux.

France : des mesures encore trop timides

En France, les offres d'emploi s'affichent le long des routes. C'est particulièrement vrai dans l'ouest et le sud du pays, deux régions dynamiques, contraintes de composer avec les pénuries de main-d'œuvre. D'après le service des statistiques du ministère du Travail (Dares) et France Stratégie, environ 760 000 postes resteraient vacants chaque année, pour environ 640 000 nouveaux venus pour le marché du travail. Certaines régions sont plus touchées que d'autres. Les déficits devraient s'accentuer à l'horizon 2030 pour les secteurs déjà impactés par la pénurie.

Aides à domicile, aides-soignants, cadres administratifs, cadres commerciaux, conducteurs de véhicule et agents d'entretien font partie des métiers en tension sur tout le territoire. Des métiers difficiles (métiers du soin, agents d'entretien) et pas assez rémunérés, qui peinent à attirer. À l'ouest, la Bretagne, les Pays de la Loire, la Nouvelle-Aquitaine et l'Occitanie manquent d'ingénieurs en informatique. Les besoins se font aussi sentir dans l'industrie, la construction, les transports, la santé et les services à la personne, le commerce, la restauration, les nouvelles technologies, l'agriculture et la pêche.

Que fait l'État ? Il pourrait faire mieux, analyse le Conseil d'analyse économique (CAE). La France ne tient pas encore la mesure face aux autres puissances. Dans leur rapport (publié en 2021), les économistes du CAE Emmanuelle Auriol et Hillel Rapoport invitaient déjà l'État à « favoriser l'immigration de travail en favorisant la venue en France d'une immigration qualifiée et issue d'horizons diversifiés ». Pour le CAE, la France ne fait pas assez pour attirer les talents internationaux. Et lorsqu'elle met en place des programmes, elle communique peu et/ou mal. De l'aveu même du ministère de l'Intérieur, le « passeport talent », carte de séjour pour les chercheurs, créateurs de projet et créateurs d'entreprise innovante, n'a été octroyé qu'à 13 500 demandeurs en 2019. De plus, les universités françaises n'offrent pas assez de cours en anglais. Enfin, et c'est le gros handicap de la France, les diplômés étrangers peinent à s'insérer sur le marché de l'emploi. Pas assez protégés, ils doivent satisfaire aux mêmes critères que les demandeurs de visa de travail. Lourdeur administrative et liste de métiers en tension pas assez mise à jour condamnent le système. La France ne semble parler d'immigration qu'en des termes conflictuels. La preuve avec l'actuel projet de loi. Pour le CAE, le pays ne pourra rivaliser avec les autres qu'en prenant de réelles mesures pour mettre en valeur l'immigration économique et les talents étrangers.

Hong Kong : succès du Top Talent Pass

Hong Kong retrouvera-t-il sa place de pôle international de la finance ? Son nouveau programme Top Talent Pass, mis en place en décembre 2022 pour faire revenir les talents étrangers, est un succès. C'est ce qu'affirme Chris Sun Yuk-han, secrétaire au Travail et aux Affaires sociales. À la mi-janvier 2023, Hong Kong avait déjà reçu environ 5800 signatures. Plus de 4000 avaient été traitées, pour un taux d'approbation record de 90%. Pour Chris Sun Yuk-han, c'est la preuve que Hong Kong attire toujours les talents internationaux. Réservé aux professionnels qualifiés, le Top Talent Pass délivre un visa de 2 ans. Les candidats doivent prouver avoir gagné 2,5 millions de dollars de Hong Kong (environ 318 000 dollars) au cours de l'année écoulée ou être diplômés d'une des 100 meilleures universités du monde (et avoir travaillé au moins 3 ans durant les 5 dernières années). La nouvelle coïncide avec la levée des frontières entre la Chine et Hong Kong (le 8 janvier). Loin de craindre la concurrence des autres puissances, notamment Singapour, Hong Kong voit plutôt une complémentarité nécessaire. Chaque État met en avant ses atouts pour attirer les talents étrangers. Hong Kong, place forte de la finance, met justement à profit ses compétences en la matière. Pour Chris Sun Yuk-han : « C'est le bon moment pour nous d'attirer des gens du monde entier à Hong Kong. »

Singapour : un nouveau système à points

Singapour aussi s'attaque à son régime de visa pour attirer les professionnels étrangers. Prévu pour être effectif en septembre, le gouvernement annonce qu'il s'agira de la plus grande refonte de son programme. La page de la préférence nationale serait-elle tournée ? Non. Le gouvernement indique vouloir construire un marché du travail plus diversifié, mais qui continue d'encourager l'emploi des locaux. « Alors que Singapour s'efforce de saisir de nouvelles opportunités économiques, les entreprises auront besoin d'accéder à des talents qualifiés pour occuper ces emplois », explique un communiqué du ministère de la Main-d'œuvre. Il ne s'agit pas, pour le gouvernement, de mettre en compétition main-d'œuvre locale et étrangère, car les deux sont nécessaires à la croissance de la cité-État.

À eux seuls, les travailleurs locaux ne peuvent endiguer la pénurie de main-d'œuvre. Le ministère de la Main-d'œuvre a mis à jour sa liste des secteurs et métiers sous tension. Au total, 6 secteurs et 27 métiers peinent à recruter. Singapour manque de bras dans l'agriculture, la finance, l'économie verte, la santé, les technologies de l'information et le secteur maritime. Dans les technologies de l'information, par exemple, data scientist, développeur de logiciels, développeur d'applications mobiles, ingénieur en intelligence artificielle ou expert en cybersécurité font partie des métiers les plus recherchés.

Les systèmes à point ont décidément le vent en poupe. Comme l'Afrique du Sud, Singapour adopte le barème à points. Il s'appliquera à l'actuel Employment Pass (EP), visa de travail destiné aux cadres étrangers et professionnels occupant des emplois spécialisés. En décembre 2022, 13 % de la main-d'œuvre étrangère possédait le visa EP. C'est pour augmenter cette proportion que Singapour réforme son régime de visa. Surnommé COMPASS (pour Complementarity Assessment Framework), le système à points (0, 10 ou 20 points) évaluera les candidats au visa EP en fonction de plusieurs critères fondamentaux, dont les qualifications et la diversité au sein de l'entreprise qui embauche. 40 points seront nécessaires pour prétendre au visa EP. Les candidats étrangers postulants pour l'un des 27 métiers en tension définis par le ministère de la Main-d'œuvre pourront obtenir 20 points bonus.

Japon : réformer pour gagner en attractivité

Gros plan sur le Japon. L'urgence démographique presse le gouvernement d'agir. Les mesures en faveur du travail des étrangers s'enchaînent. Une nécessité vitale pour le pays qui a perdu 800 000 habitants en 2022. Connu pour sa politique d'immigration stricte, le pays s'ouvre timidement aux étrangers. Depuis le début de l'année, les mesures se succèdent pour les attirer, et surtout les faire rester.

Vers un nouveau programme Specified Skilled Worker

Lundi 24 avril, le gouvernement déclare qu'il prévoit d'assouplir ses règles pour permettre à davantage d'étrangers qualifiés de séjourner à long terme sur le territoire. L'exécutif vise ici son programme Specified Skilled Worker décliné en deux visas : le « Type 1 » et le « Type 2 ». Lancés en 2019, ils marquaient déjà un important virage de la politique d'immigration nippone. Du moins en théorie. Le Type 1, délivré aux étrangers moyennement qualifiés, ne dure que 5 ans. Il interdit de venir avec sa famille et de demander la résidence permanente. Bien plus avantageux, le Type 2, destiné aux étrangers hautement qualifiés, permet d'être accompagné par sa famille et de séjourner indéfiniment. La loi de 2019 ne le rend valable que dans deux secteurs (construction, construction navale). Le gouvernement veut l'élargir à 11 autres, et inclure les secteurs de la restauration, de l'agriculture et de l'hébergement. Des secteurs qui font pour l'instant partie du visa Type 1 (12 secteurs en tout). Il prévoit aussi de supprimer la limite de temps du visa Type 1.

ONG et associations se sont toujours méfiées du Specified Skilled Worker, surtout de son visa Type 1. Elles redoutent les mêmes effets que le tout aussi controversé Programme d'accueil des stagiaires techniques. Le 10 avril, un panel d'experts composé notamment de membres du gouvernement propose justement de supprimer le programme. Soucieux de redorer une image écornée par des affaires d'exploitation des travailleurs étrangers, le Japon veut montrer qu'il a évolué. Il doit, non seulement attirer des talents étrangers, mais aussi les garder. Or, en février, 146 000 travailleurs étrangers possèdent le visa Type 1 (le moins protecteur, limité à 5 ans) contre à peine 10 pour le Type 2. En élargissant le champ d'application de ce visa, le gouvernement espère inverser les chiffres.

Main tendue aux investisseurs et nomades numériques

Nouvelle annonce du gouvernement Kishida deux jours plus tard, le mercredi 26 avril. Cette fois, ce sont les investisseurs étrangers et les nomades digitaux qui sont visés. Le Japon rejoint les autres États et se lance dans la course pour attirer les nomades numériques. L'exécutif table sur 750 milliards de dollars d'investissements directs étrangers d'ici à 2030. Il compte aussi sur une hausse significative du nombre de nomades digitaux. Bien qu'en concurrence directe avec la Corée du Sud (qui développe ses projets de visa K pop et de visa nomade numérique) le Japon ne propose pas de visa nomade numérique. L'exécutif dit prendre en considération les nouvelles organisations du travail, en plein essor depuis la crise sanitaire. Il n'en reste pas moins ambitieux, puisqu'il entend devenir un nouveau hub de l'innovation et de la recherche.

L'enjeu est capital. L'État japonais espère compenser la faiblesse du yen par une recrudescence d'investissements, notamment en matière de santé, de technologies vertes, de digitalisation et de nouvelles technologies (la bataille des semi-conducteurs fait toujours rage). Le Premier ministre Fumio Kishida résume : « Le plan d'action est celui qui rendra le Japon plus ouvert sur le monde. » Un plan qui soutient aussi les créateurs d'entreprises. Actuellement, ils disposent d'un visa d'un an. Avec le nouveau projet du gouvernement, ils pourraient rester plus longtemps pour créer leur entreprise au Japon. Les règles seraient également assouplies pour les professionnels hautement qualifiés (baisse du revenu exigé pour postuler, par exemple).

Changer les mentalités

La main-d'œuvre étrangère répondra-t-elle aux appels pressants du Japon ? Le pays peut déjà compter sur ses voisins. Les talents étrangers philippins, vietnamiens, thaïlandais ou indonésiens s'expatrient depuis longtemps au Japon. Les mêmes font cependant état de pratiques parfois discriminatoires. Pour accueillir durablement les talents étrangers, le Japon devra faire plus qu'un simple changement d'image. De l'aveu des manufactures et industries japonaises, les Japonais (surtout les jeunes) seraient les premiers à refuser des métiers qu'ils estiment « pénibles », « sales » et « dangereux ». Un discours également entendu en Corée du Sud. Les étrangers seraient la solution pour combler les manques dans des secteurs qui n'attirent pas. À condition qu'ils soient bien rémunérés et assurent une bonne protection. Déjà en 2019, des experts s'offusquaient du véritable accueil réservé à « une certaine » main-d'œuvre étrangère, avec des cols bleus bien plus désavantagés que les cols blancs (d'où la réforme des visas Type 1 et 2). Mais pour ces experts, c'est toute une vision du pays, fruit d'une construction politique basée sur l'homogénéisation ethnique, qu'il faudra réinterroger.

Au gouvernement, des voix dissonantes se font déjà entendre. Plutôt que de miser sur les étrangers (dont ils craignent « l'incompatibilité » avec la culture japonaise), mieux vaudrait investir dans la robotique, la vraie solution de long terme. Les tenants de ce discours semblent oublier que le problème n'est pas « les étrangers », mais le manque de main-d'œuvre. Le Japon vieillit et sa situation empire d'année en année, avec un taux qui stagne à 1,3 enfant par femme. Les robots ne régleront pas la crise démographique. À ce rythme, le pays devrait perdre 30 % de sa population à l'horizon 2070.

Mesures économiques, mesures sociales, mesures humaines

Les défis sont immenses. Le Japon est loin d'être le seul État touché par le vieillissement de sa population. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) met cependant en garde contre le risque de fuite des cerveaux. Lorsque l'Allemagne, la France ou le Royaume-Uni recrutent des médecins dans les pays moins riches, ce sont autant de talents en moins pour ces pays. Mais la fuite des cerveaux concerne aussi les pays dits riches. La France perd ses chercheurs depuis des années. Ils lui préfèrent les États-Unis, la Suisse ou le Canada, qui proposent des rémunérations supérieures, et une meilleure reconnaissance. L'Espagne et l'Italie n'arrivent pas à retenir leurs jeunes diplômés.

L'erreur vient parfois des États eux-mêmes, qui n'ont pas su valoriser les métiers manuels. Ce sont ces secteurs (construction, industrie…), pourtant essentiels, qui souffrent de graves pénuries. L'OMS recommande aux États d'adopter une vision dépassant le strict cadre économique. Aux États de fournir aux travailleurs étrangers les mêmes droits que les autres, d'assurer leur protection, de permettre leur séjour dans de bonnes conditions, tout en considérant les besoins des autres pays. En somme : inclure les mesures sociales et humaines dans les projets économiques.

Liens utiles :

Émirats arabes unis : Golden visa ; Talent attraction and retention

Afrique du Sud : work visas

Allemagne : travailler en Allemagne

Hong Kong : Top Talent Pass

France : Passeport Talent

Singapour : Shortage Occupation List (SOL)

Japon : Specified Skilled Worker program

Suisse : working in Switzerland as a foreign national