Femmes expats : comment négocier son contrat et son salaire ?

Vie pratique
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Publié le 2023-04-18 à 10:00 par Asaël Häzaq
Le dernier rapport de la Banque mondiale sur l'égalité des genres n'est guère optimiste. Santé, éducation, travail... Les défis restent grands pour que les droits des femmes soient respectés. Dans tous les pays du monde, les femmes subissent des discriminations liées à la rémunération. L'équité face au revenu est pourtant un droit international. À la discrimination liée à la rémunération s'ajoute celle entourant le recrutement. À l'étranger, certaines femmes ont même l'impression de subir une double peine, avec encore plus de difficultés à faire reconnaître leurs compétences. Comment peuvent-elles négocier leur contrat et leur salaire ? Quel est le bon timing pour solliciter un entretien ? Quelle attitude avoir ? Conseils et décryptage.

L'art de la négociation

On ne parle pas « d'art » de la négociation pour rien. Négocier son contrat de travail et son salaire s'apprend. C'est encore plus vrai en expatriation, où l'on doit au préalable connaître la culture d'entreprise du pays d'accueil, les rapports hiérarchiques, la manière d'aborder la question du salaire. La pression peut augmenter chez des femmes expatriées encore trop souvent comparées à leurs homologues masculins. Elles peuvent parfois craindre que leur ambition, pourtant légitime, ne soit prise pour une opposition à la culture d'entreprise du pays d'expatriation. Ceci est encore plus vrai dans les pays où les droits des femmes sont régulièrement bafoués.

Un travail, un salaire

Les femmes d'affaires rappellent ici une notion de base : tout travail mérite salaire. Et un salaire à la hauteur du travail fourni, ce qui est encore loin d'être le cas. Selon la Banque mondiale, « les femmes ont moins de perspectives d'emploi que les hommes ». En Inde, elles restent souvent cantonnées à l'éducation, la propreté ou les usines de tabac, au contraire des hommes, qui évoluent dans des secteurs à forte valeur ajoutée. En 2022, le Japon finit 116e (sur 156) du classement du Forum économique mondial (FEM) sur l'égalité des sexes. Le pays arrive loin derrière le Canada (25e), l'Allemagne (10e), le Rwanda (6e) ou l'Islande (1er).

Comment se présenter devant la direction ?

La Covid a exacerbé les inégalités. Certains recruteurs utilisent d'ailleurs cet argument pour justifier des contrats et rémunérations moins avantageux pour les femmes. Pourtant, la Banque mondiale rappelle que si les femmes gagnaient autant que les hommes durant toute leur carrière, « la richesse mondiale pourrait augmenter de 172 000 milliards de dollars [...] ». Faut-il alors le rappeler à la direction ?

Faut-il pointer toutes les lacunes de son entreprise, et revendiquer l'application du droit ? Les femmes expatriées mettent en garde. « Les discriminations subies par les femmes sont connues de tous. Vous positionner en tant que femme ne vous fera pas avancer, au contraire. » En effet, les hommes ne justifient pas leur demande par le fait qu'ils sont des hommes pour renégocier leur contrat et/ou demander une augmentation (ils bénéficient certes d'un contexte plus favorable). Pour négocier, les femmes doivent mettre dans la balance ce qui pèsera pour en leur faveur : leurs compétences et expériences professionnelles, leurs savoir-faire, leurs succès dans l'entreprise.

La direction doit comprendre qu'elle a tout intérêt à s'aligner sur la proposition de la salariée expatriée, si elle veut continuer de grandir. La demande de renégociation de contrat ou d'augmentation de salaire n'est ni un cadeau ni une faveur que l'on quémande. C'est une proposition de nouvelle collaboration professionnelle, basée sur des données tangibles, concrètes. C'est cette posture-là que les femmes expatriées (et les autres) devraient adopter.

Osez négocier et demander une augmentation

On dit que les femmes oseraient moins. Il faut rappeler que tout les pousse à moins oser. Il faut aussi préciser que les hommes ne sont pas forcément les rois de la négociation. La première bataille est celle des pensées. Osez définir vos ambitions et votre plan de carrière. Osez visualiser votre futur dans l'entreprise. Osez demander. Non comme une faveur, mais comme un droit.

Positionnez-vous sur le marché du travail

Reprenez votre contrat actuel. Vos missions ont-elles évolué depuis sa signature ? Votre salaire reflète-t-il toujours ce que vous faites ? Comparez votre salaire à la moyenne du marché dans le pays d'expatriation. Prenez en compte votre ancienneté, vos expériences, vos diplômes, votre zone géographique, ainsi que tous les autres éléments de rémunération auxquels vous avez droit (intéressement, enveloppe annuelle d'augmentation, etc.). Vous gagnez moins que ce que vous devriez avoir ? Préparez votre argumentaire en compilant les données que vous aurez rassemblées.

Analysez votre contrat de travail et votre salaire

Législation du travail, droits des salariés, contrat de travail, fiche de paie : reprenez tous les documents relatifs à votre travail et analysez-les. Reprenez votre fiche métier : votre poste, vos missions, votre rémunération, vos avantages. Faites l'état des lieux de votre parcours depuis votre arrivée dans l'entreprise. Décortiquez votre fiche de paie. Étudiez la politique salariale de votre entreprise. Faites une étude comparative avec vos collègues femmes et hommes, expatriés ou non. La négociation est un rapport de force. Certaines femmes se sabordent elles-mêmes en étant trop modestes ou en partant mal armées (elles ne connaissent pas bien la politique salariale de l'entreprise, par exemple).

Affûtez vos arguments

Pourquoi devrait-on augmenter votre salaire et/ou revoir votre contrat ? Préparez-vous à contrer toutes les objections possibles. Votre manager peut se former lui aussi à repousser les demandes des salariés. Il peut même parfois considérer la tâche plus facile avec les femmes. Montrez-lui que vous maîtrisez le dossier. Il dit que vous gagnez déjà assez, que c'est la crise ? Répétez votre argumentaire avec conviction. Sachez aussi fixer la limite et rappeler vos droits : certains responsables évoquent la vie privée des salariées (une grossesse, par exemple), pour justifier un faible revenu. C'est une pratique discriminatoire.

Prenez en compte le timing

Le bon moment, c'est celui que vous choisissez après une bonne préparation. Beaucoup de personnes attendent l'entretien annuel pour présenter leur requête. C'est un mauvais calcul. N'attendez pas que votre employeur vous reçoive. Il le fait d'ailleurs pour vous parler de vos résultats, pas pour vous entendre développer votre argumentaire. Prenez les devants. Profitez d'une victoire professionnelle (succès d'une mission, contrat décroché, etc.) pour solliciter un entretien. Vous êtes en position de force et pourrez plus facilement négocier. Mais prenez aussi en compte les manières de faire dans le pays étranger. Peut-on directement solliciter la direction, ou faut-il passer par les superviseurs ? Demandez-vous si les règles sont les mêmes pour les hommes comme pour les femmes.

Entretien d'embauche : sachez négocier

On pense parfois qu'il vaut mieux accepter tout ce que le recruteur dira. Idée reçue pouvant être encore plus forte à l'étranger, où la pression de bien faire est grande. Mais vous pouvez tenter une négociation sur le type de votre contrat, l'étendue de vos missions, vos horaires de travail, votre lieu de travail (télétravail, bureau dans l'entreprise, déplacements plus ou moins fréquents), les équipements de travail ou les avantages (primes, mutuelle, etc.).

Faites-vous coacher

Dans tous les cas, faites-vous coacher pour construire son discours et asseoir votre posture. Des siècles de discrimination font peser des idées fausses sur le monde du travail, sur les femmes, sur leurs compétences au travail. Votre employeur peut, inconsciemment ou non, véhiculer ces discours. Soyez parée à toute attaque. Ayez un argumentaire solide. Vous n'êtes pas arrivée à votre poste par accident. Vous avez déjà fait vos preuves. Vous n'avez pas à apprécier la qualité de votre travail par rapport à celui des hommes. Eux ne le font pas et personne ne leur en tient rigueur. Apprenez à apprécier la qualité de votre travail, et osez demander.

Et si c'est non ?

Si votre employeur, manager ou DRH se montre inflexible, montrez-lui que vous, vous êtes flexible non pas pour renoncer à vos droits, mais pour les aménager. Proposez, par exemple, une augmentation progressive, ou une révision du contrat certifiée dans les 6 mois. Si la réponse ne varie pas, ne variez pas non plus, ni dans votre argumentaire ni dans votre posture. Ne montrez pas de signes de déception d'agressivité ou de découragement. Au contraire, restez tenace. Demandez à votre interlocuteur le pourquoi de son refus. Ne validez pas ses arguments, mais maintenez les vôtres. Sollicitez un nouvel entretien quelques mois plus tard. C'est une manière de montrer à l'entreprise que vous ne lâchez pas l'affaire. Soyez déterminée. Mais si les refus s'accumulent après plusieurs tentatives, prenez acte de la situation. Cette entreprise ne mesure pas vos compétences. Le moment est peut-être venu de continuer l'aventure expatriation dans une autre entreprise.