Pénuries de compétences : que font les pays face au départ des expatriés ?

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Publié le 2022-07-04 à 10:00 par Asaël Häzaq
Augmenter les salaires, améliorer les conditions d'accueil des étrangers, faciliter l'obtention des visas, réorganiser le travail, mieux tenir compte de la pénibilité du travail, lutter pour la préservation de la santé mentale et du bien-être… Face à la pénurie de compétences, les entreprises du monde entier revoient leur copie. Comment rendre les postes attractifs ? Comment attirer les salariés étrangers ?

Augmenter les salaires pour rendre les emplois plus attractifs

Au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Australie ou au Koweït, les salaires ont augmenté dans les secteurs en pénurie de compétences. C'est le premier levier des entreprises pour attirer les profils qualifiés. Au Royaume-Uni, en plus de l'augmentation des salaires, des formations se sont multipliées (notamment dans le secteur des transports) pour rendre les Britanniques opérationnels. Au Koweït, les employés qualifiés dans la restauration touchent désormais 1000 dinars koweïtiens par mois (environ 3040 euros), contre 400 dinars koweïtiens (environ 1230 euros) par le passé.

En France, la levée progressive des restrictions Covid a boosté les embauches de 16% en 2021. Mais selon Pôle emploi, établissement public chargé de l'emploi, 7 recruteurs sur 10 ont eu du mal à recruter. Les secteurs les plus en difficulté ont opté pour la hausse de salaire. Le commerce et l'automobile arrivent en tête, avec près de la moitié des recruteurs ayant augmenté les salaires. Viennent ensuite la restauration et l'hôtellerie, où 45% des employeurs ont augmenté les salaires de leurs employés. Sur l'ensemble des secteurs en difficulté, 33% ont fait le choix d'augmenter les salaires.

Aux États-Unis, on sort le chéquier pour éviter la création de syndicats. Dernier exemple en date avec Apple. Bien que dynamique, l'entreprise n'échappe pas à la « Grande démission » qui frappe le pays. Début mai, Apple veut imposer le retour en présentiel. 3000 salariés refusent, et veulent se syndiquer. Apple décide d'augmenter les salaires de 45% par rapport à 2018, y compris pour les nouveaux venus. La mesure devrait être effective en juillet. Mais augmenter les salaires reste polémique, surtout en période d'inflation. Car ces hausses risquent de transformer une inflation ponctuelle en spirale inflationniste. Ceci est d'autant plus vrai que les entreprises souffrent aussi de l'inflation.

Améliorer les conditions de travail pour attirer les profils qualifiés

D'autres entreprises préfèrent améliorer les conditions de travail. L'industrie recourt de plus en plus aux exosquelettes pour faciliter le travail de ses salariés. Dans le tertiaire, les open-space sont remplacés par des espaces plus apaisants et cloisonnés. Les employeurs font participer les salariés à la réorganisation du travail et de l'espace de travail. Des formations gestion du stress, bien-être, ou développement personnel se développent. Idem pour les espaces détente, microsieste, massage, repensées avec les salariés.

En France, la moitié des entreprises de l'informatique et de la communication ont amélioré les conditions de travail. Dans l'administration, près de 80% des structures ont amené plus de flexibilité, pour permettre aux employés de concilier vie professionnelle et personnelle.

Mais certains changements ne règlent pas tout. Le « Time off Task » (temps non travaillé), l'une des dernières trouvailles d'Amazon, fait polémique. Censé mesurer la productivité des ouvriers, il semble surtout procurer un stress inutile et multiplier les risques d'accident. Le 1er juin, Amazon annonce un assouplissement de ses conditions de travail aux États-Unis. Le géant de l'e-commerce redoute la syndicalisation. Un entrepôt d'Alabama a échoué de justesse, mais la grogne des salariés du monde entier ne faiblit pas. Pour eux, les grands discours de Jeff Besos doivent être suivis d'effets concrets, et non pas de mesurettes à la marge.

Abaisser les seuils d'exigence pour attirer plus de profils

Selon une enquête réalisée par Pôle emploi l'année dernière, 63% des entreprises françaises confrontées à une pénurie de main-d'œuvre qualifiée ont choisi de baisser leurs seuils d'exigence. En clair : elles ont accepté d'embaucher des profils moins qualifiés, quitte à les former en interne pour les faire monter progressivement en compétence. C'est dans l'administratif et l'agroalimentaire que la pratique s'est le plus répandue. Respectivement 76 et 70% des entreprises de ces secteurs y ont eu recours. Le transport, la mécanique et l'immobilier arrivent juste derrière (respectivement 67%, 67% et 66%).

Au Québec, on fait travailler les enfants pour pallier la pénurie. 50% des mineurs québécois travaillent. La province canadienne n'impose aucune limite d'âge. Les moins de 14 ans doivent juste avoir une autorisation écrite de leurs parents. Au Québec, comme dans l'ensemble du Canada, la pénurie touche tous les secteurs. Officiellement, les enfants n'occupent que des postes ne nécessitant pas de compétences particulières. Principalement l'alimentaire, la restauration rapide et le commerce de détail. Cette vision partielle semble associer « compétence » à « grandes études ». C'est oublier que les emplois occupés par les enfants et adolescents québécois sont fortement soumis à la concurrence, la pression, la polyvalence et les accidents. Les accidents du travail impliquant des enfants sont d'ailleurs passés de 85 à 203 entre 2018 et 2021. Des études montrent que les enfants qui travaillent sont davantage touchés par le décrochage scolaire et la détresse psychologique. Mais peu de politiques osent soulever le problème.

Améliorer l'accueil des expatriés et assouplir les règles des visas

Le 11 juin, le Koweït a annoncé que 3 sites seront alloués pour la construction de logements pour expatriés. Plus que de simples logements, il s'agira de complexes comprenant des bâtiments à usage commercial (cafés, restaurants…) des bâtiments de services (banque…). Les logements devraient accueillir des ouvriers qualifiés étrangers. L'on ignore cependant s'il faut se réjouir où voir dans ce projet une volonté de « cloisonner » les expatriés. Le plan de Koweït City répond en fait à la demande du Conseil des ministres du 20 juillet 2020. Or, à cette période, le Koweït se lance dans un vaste programme de « koweïtisation » des emplois. 70% de la population est étrangère. Le Premier ministre koweïtien veut réduire ce chiffre d'au moins 40%. Fin mai, Kuwait Airways « donne l'exemple » et annonce licencier 1500 salariés expatriés, soit le quart de ses employés. Un mois plus tard, le ministère du Pétrole annonce qu'aucun étranger ne sera recruté en 2020-2021.

Beaucoup d'étrangers se sont sentis stigmatisés par le Koweït. D'autant plus que certains médias jouaient sur la peur de la Covid et affirmaient qu'elle venait des expatriés. À chaque crise que traverse le pays, les expatriés sont utilisés comme bouc émissaire. Plus de 200 000 ont quitté le pays depuis la pandémie. Difficile de les convaincre de revenir, même en assouplissant les règles de visa. En septembre 2020, l'Autorité publique du pays pour la Main-d'œuvre koweïtienne (PAM) annonce qu'elle facilitera le passage du visa d'affaires au visa de travail. Mais le programme de « koweïtisation des emplois » est toujours en marche.