Chiffres 2023 de l'immigration : le gouvernement se félicite
Priorité à l'immigration économique. Les chiffres 2023 de l'immigration, présentés par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin le 25 janvier, montrent que les titres de séjour pour les travailleurs étrangers ont augmenté de 5 % en 2023. Ceux délivrés aux étudiants étrangers restent quasi constants (+ 1%). En revanche, on a délivré moins de titres de séjour pour motif familial (-5%). Au final, la France a délivré 1,4 % de titres de séjours en plus par rapport à 2022, soit 323 260 titres. À noter que ces chiffres ne comptabilisent pas les ressortissants britanniques.
Les régularisations de travailleurs sans papiers enregistrent une hausse de 5 %. Mais Darmanin préfère insister sur les expulsions. Elles augmentent de 10 %, soit, plus de 17 000 personnes expulsées. Parmi elles, nombre de délinquants étrangers (+ 30%).
Devenir français ? Un objectif plus difficile à atteindre aujourd'hui. En 2023, 61 640 personnes ont acquis la nationalité française. C'est 22 % de moins qu'en 2022. C'est surtout le chiffre le plus faible depuis 2018. Le ministre de l'Intérieur y voit les effets positifs du « rehaussement du niveau de maîtrise de français exigée depuis 2020 ». Si les ressortissants marocains et algériens restent les plus nombreux à obtenir un premier titre de séjour, les ressortissants chinois enregistrent la plus forte hausse en un an (+ 31,1%), avec 14 930 premiers titres de séjour obtenus en 2023, contre 11 388 en 2022.
La hausse est bien plus faible pour les ressortissants tunisiens (+ 2,5 % soit un passage de 21 860 à 22 400 titres) et américains (+ 2,4 %, soit un passage de 12 373 à 12 670 titres). Elle est plus notable pour personnes originaires d'Algérie, qui obtiennent 32 180 premiers titres de séjour en 2023, contre 29 271 en 2022 (+ 9,9%). En revanche, ça dévisse au Maroc. Ses ressortissants ont obtenu 39 254 premiers titres de séjour en 2022, mais 36 340 premiers titres en 2023, soit une baisse de 7,4 %.
Loi immigration : l'ultime rebondissement
C'est depuis l'Inde que le président Macron a promulgué la loi « pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration ». Une promulgation effectuée le 26 janvier 2024 pour une inscription au Journal Officiel le lendemain. De quoi éteindre définitivement les débats ? On assiste plutôt à de vives critiques contre le Conseil constitutionnel. Les Sages, réunis le 25 janvier, ont en effet censuré 32 articles sur les 86 que compte la loi. 3 articles sont partiellement ou totalement censurés. 2 font l'objet de réserves.
Le Conseil constitutionnel détaille ses motivations dans une décision qui ne convainc pas la droite et l'extrême droite. Les Sages évoquent en effet des articles qui ne cadraient pas avec la loi immigration. Sont ici visées (notamment) les mesures qui prévoyaient de durcir le regroupement familial, de revenir sur le principe du droit du sol ou encore, d'imposer un cadre plus contraignant pour les étudiants étrangers. De nombreuses mesures soumises par la droite, parvenue à un accord avec les centristes, avec le soutien de l'extrême droite, ont ainsi été invalidées. Pour rappel, le 14 novembre 2023, le Sénat avait voté une version largement remaniée et durcie de la loi immigration. Les sénateurs de droite avaient réussi à faire retirer ce que le gouvernement présentait pourtant comme son article phare : l'article 3, créant une carte de séjour temporaire pour les étrangers en situation irrégulière travaillant dans des métiers en tension.
Les deux porteurs du projet de loi jouent la carte du pragmatisme. Le ministre de l'Intérieur Darmanin parle d'ailleurs d'un « compromis pragmatique ». Même ton pour le ministre de Travail de l'époque, Olivier Dusspot qui évoque un « pas dans la bonne direction ». Tout semble fait pour que le texte passe, même s'il s'éloigne des premiers travaux du gouvernement.
Loi immigration : un « équilibre » vite rompu
Comment en est-on arrivé là ? En 2022, Emmanuel Macron, en campagne pour sa réélection, fait état de son projet de réforme de l'immigration. L'élection remportée, le projet commence à se faire connaître. Le 2 novembre 2022, Darmanin et Dusspot détaillent le projet de la loi sur l'immigration dans un large entretien accordé au journal Le Monde. Les ministres entendent articuler la loi sur deux piliers : le renforcement de la lutte contre l'immigration illégale, et davantage de souplesse pour favoriser l'intégration ; une « souplesse » qui passe à l'époque par le fameux article 3 régularisant les personnes en situation irrégulière travaillant dans des secteurs en pénurie. Les ministres jugent le projet de loi « équilibré » et parlent de débats prévus pour début 2023. Mais très vite, l'article 3 occupe toute l'attention, et suscite des réactions parfois virulentes.
À gauche, on salue une mesure de bon sens. À droite, on redoute un « appel d'air » pour une « immigration massive » tout en rappelant que les secteurs en pénurie de main-d'œuvre pourraient commencer par recruter les citoyens français en recherche d'emploi. De leur côté, les entreprises confrontées aux pénuries disent constater que la main-d'œuvre française ne suffit pas et/ou n'est pas intéressée par les emplois proposés.
L'incursion de la réforme des retraites
Mais le projet de loi sur l'immigration se fait vite éclipser par un autre dossier « chaud » de la présidence Macron : les retraites. Le 6 janvier 2023, Élisabeth Borne, alors Première ministre, présente le projet de réforme des retraites. C'est le début d'une longue mobilisation contre le projet de loi. Malgré des manifestations sans précédent (plus d'un million de manifestants le 31 janvier selon la police, environ 2,8 millions selon le syndicat CGT), la loi est promulguée le 14 avril 2023. Le gouvernement Borne a utilisé l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer son texte. Le 49.3, utilisé à plusieurs reprises par Élisabeth Borne, permet de suspendre la discussion du texte de loi pour faire adopter le texte sans vote. La réforme est entrée en application le 1er septembre 2023.
Loi immigration : les dernières péripéties
Devant l'embrassement provoqué par la réforme des retraites, le gouvernement temporise pour sa loi immigration. Darmanin multiplie les entretiens avec une droite inflexible, toujours préoccupée par l'article 3. Dussopt, ex-socialiste, a disparu de l'affiche. Darmanin, ex-républicain, tente de renouer avec les cadres de son ancien parti. C'est le temps des arrangements et des concessions. Le projet de loi refait surface à l'automne 2023. Mais personne n'arrive à se mettre d'accord. La gauche veut encore plus de régularisations, la droite, davantage d'expulsions et de fermeté contre les clandestins. Peu de débats sur l'immigration légale ou sur les programmes du gouvernement pour attirer les talents étrangers (comme Passeport talent).
Le 11 décembre 2023, nouveau séisme politique. L'Assemblée nationale rejette le texte voté par le Sénat. Camouflet pour le gouvernement et pour le président. Mais pas question, pour Macron, de commencer 2024 avec le dossier immigration sur les bras. Il presse Borne de trouver une solution, quitte à ce que le texte vire franchement à droite. C'est chose faite le 19 décembre, après d'ultimes péripéties. La droite et l'extrême droite se félicitent. Marine Le Pen, cheffe du Rassemblement national (parti d'extrême droite) parle d'une « victoire idéologique ». En revanche, la gauche, le monde associatif et les syndicats s'insurgent. La gauche saisit le Conseil constitutionnel. Le président Macron, s'il « assume » et défend le texte finalement voté, fait de même.
Nouveau rebondissement avec la décision du Conseil constitutionnel, qui ampute la loi d'une bonne partie des mesures de fermeté émanant de la droite. Macron « prend acte » et retient l'essentiel : les Sages ont validé la plupart du projet originel du gouvernement. Il promulgue la loi dans la foulée.
Quelles implications pour les expatriés ?
Que reste-t-il de la loi immigration ? Côté « fermeté », les expulsions et les obligations de quitter le territoire français (OQTF) seront facilitées. C'était l'un des piliers du projet initial. Auparavant, certaines catégories d'étrangers, dont les personnes arrivées en France avant l'âge de 13 ans étaient davantage protégées. Ce n'est plus le cas avec la réforme.
Le fameux article 3 n'est pas revenu dans la loi. C'est sa version durcie durant les débats parlementaires qui sera appliquée. Volonté de compromis oblige, le gouvernement s'est aligné sur cette nouvelle vision. Les préfets bénéficieront désormais d'un pouvoir discrétionnaire pour régulariser ou non les travailleurs en situation irrégulière dans les métiers en tension.
Les étudiants étrangers peuvent souffler. Les mesures contraignant leur accès aux études (quotas, caution de retour, etc.) n'ont pas été retenues. Mais la vigilance reste de mise. Les politiques de droite ne décolèrent pas ; certains remettent en cause l'existence même du Conseil constitutionnel. Les Sages ont beau rappeler qu'ils se prononcent uniquement sur le droit, leur décision passe mal. La loi immigration n'a pas fini de nourrir les débats. Côté gouvernement, le bilan est amer. La majorité présidentielle s'en sort fracturée et divisée. Borne a perdu son poste. L'aile gauche de la majorité regrette un texte rognant sur ses valeurs (plusieurs ont d'ailleurs quitté le gouvernement). Ceux restés en poste espèrent faire entendre leur voix concernant la mise en application de la loi l'immigration.