Immigration : une solution à court terme à la crise démographique ?

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Publié le 2023-05-01 à 10:00 par Asaël Häzaq
C'est une crise qui rampe depuis des dizaines d'années, mais dont on parle peu. Éclipsée par les chiffres du chômage, le taux de croissance ou le taux d'inflation, la crise démographique menace pourtant les économies. C'est particulièrement vrai dans l'Union européenne, en Australie, au Canada, au Japon ou en Corée du Sud. Il faut des jeunes actifs maintenant pour soutenir la croissance d'aujourd'hui et de demain. Les puissances rivalisent pour attirer les talents étrangers. L'immigration est-elle la solution à la crise démographique ? Quelles implications pour les expatriés ?

Crise démographique : du « baby flop » au « baby crash »

On a d'abord accusé la Covid-19. En 2020, la natalité plonge. Jusqu'à -8 % dans les pays de l'Union européenne (UE), -4,7 % en Afrique du Sud, -4 % aux États-Unis -3,8 % en Israël et en Algérie, -3,7 % en Australie, -3 % au Canada. On parle alors de « baby flop mondial ». Les experts sont pessimistes, et prédisent un « baby crash » pour 2021. Si certains États enregistrent une hausse des naissances (la politique vaccinale commence, les frontières rouvrent, les économies repartent), le climat mondial reste inquiétant.

La mobilité internationale reprend, poussée par des politiques très volontaristes, comme au Canada, où le gouvernement déroule le tapis rouge aux talents internationaux. Terre historique d'immigration, le Canada manque de main-d'œuvre pour aujourd'hui et pour demain. Sans travailleurs étrangers, pas de croissance économique, pas de croissance démographique. L'équation est simple, mais ne plaît pas à tout le monde. Aux États-Unis, la politique Trump a restreint, non seulement l'immigration illégale, mais aussi l'immigration légale. Si depuis, le président Biden a rouvert le dossier, avec une ambitieuse réforme de l'immigration, les effets de la politique Trump, combinés à la crise sanitaire, n'ont fait qu'enfoncer un peu plus le pays dans une stagnation démographique. La crise démographique touche de nombreux pays dans le monde et s'accélère.

La leçon de la Corée du Sud

L'exemple de la Corée du Sud montre l'impact de la baisse démographique sur la croissance économique, et comment l'État peut agir pour atténuer cet impact grâce à l'immigration. Pour les experts, l'urgence frappe déjà aux portes de la Corée du Sud. Selon eux, le pays ne fera plus partie des 15 plus grandes économies dès 2050. L'Indonésie et le Nigéria le supplanteront, notamment grâce à leur forte population jeune et active. Un vivier indispensable pour la croissance.

Une crise démographique alarmante

La Corée du Sud risque-t-elle de disparaître ? C'est ce que craignent d'autres études, qui relèvent des taux de fécondité en baisse constante : 1,05 % en 2017, 0,98 % en 2018, 0,92 % en 2019, 0,84 % en 2020, 0,81 % en 2021, 2022. Des chiffres alarmants, selon la Commission économique des Nations unies pour l'Europe (CEE-ONU), qui rappelle que le taux de fécondité minimal pour maintenir la démographie d'un pays se situe à 2,1 %. Plus grave : un taux inférieur à 1 % peut conduire à une des naissances de 50 % en trente ans. À ce rythme, la Corée du Sud pourrait disparaître en 2750.

La Corée du Sud paie peut-être en partie les effets d'une politique de limitation des naissances relevée trop tardivement. Mise en place dans les années 60 (le taux de fécondité était alors de 6%), elle était portée par la campagne « à continuer à faire des enfants, nous resterons dans la misère ». Message bien entendu. Le taux de fécondité chute dans les années 80 (2,1 % en 1983), mais la politique de limitation des naissances n'est remise en cause qu'en 2005. Le taux de fécondité a baissé à 1,08 %, et continuera de diminuer. Les milliards de wons investis depuis (environ 200 000 milliards de wons, soit environ 15 milliards de dollars) n'y font rien.

L'immigration, solution pour relancer la croissance

Pour le gouvernement de Han Duck-soo, la solution s'appelle « immigration ». Toujours depuis les années 2000, l'État a lancé plusieurs programmes pour faciliter l'accès à la résidence permanente. En 2004, il s'ouvre aux travailleurs étrangers peu qualifiés. Le pays manque de main-d'œuvre dans la construction, l'agriculture, la pisciculture, la manufacture, des secteurs considérés comme « pénibles » et « sales » par nombre de jeunes sud-coréens (c'est toujours le cas aujourd'hui). Le soft-power de la hallyu (vague coréenne) attire les jeunes étrangers. Pour eux, l'État développe le visa K-pop et le visa nomade numérique. Il encourage aussi les mariages internationaux (le mariage est en chute libre depuis les années 90) et s'investit dans l'accueil des étrangers via des centres d'aide, ou des cours gratuits de coréen. Pour les candidats à l'expatriation, les opportunités sont grandes.

Il reste cependant beaucoup à faire. Une partie de la population accueille fraîchement les annonces en faveur d'une hausse de l'immigration. Expatriés et résidents de longue date font part d'un racisme ordinaire encore tenace. Début 2021, le chatbot Lee Luda a créé la polémique par ses propos racistes, sexistes et homophobes. Le robot avait connu un brusque succès (plus de 700 000 utilisateurs de 10 à 30 ans). Scatter Lab, la société coréenne créatrice, l'a retiré du marché (en janvier 2021). Le gouvernement lui-même semble se contredire. Malgré sa révision de la loi sur la double nationalité (2011), à peine 149 étrangers qualifiés l'avaient acquise en 2020. En cause, des critères plus stricts que pour les étrangers d'origine coréenne. Durant la Covid, les étrangers avaient aussi pu apprécier le double discours des autorités coréennes.

Bataille mondiale pour attirer les talents étrangers

Et pourtant, la Corée du Sud a un besoin urgent de relancer sa croissance. Le ministère de l'Économie et des Finances a révisé sa copie : une croissance estimée à tout juste 1,6% cette année, contre 2,5 % en juin 2022. Le premier vice-ministre des Finances Bang Ki-seon concède :

« Le ralentissement de l'économie réelle est en train de se concrétiser [...] ». Ailleurs aussi, la croissance ralentit : environ 1 % aux États-Unis, 0,3 % pour l'Allemagne (qui échappe de peu à la récession), 0,7 % pour la France… Trois pays et beaucoup d'autres qui comptent sur l'immigration pour relancer leur croissance économique.

Au Canada, la mesure fait partie du fonctionnement même du pays. Le plan immigration 2022-2024 prévoit d'accueillir 447 055 nouveaux résidents permanents cette année, et 451 000 en 2024. En juillet, l'Australie compte étendre les visas de travail des étudiants étrangers titulaires d'une licence, d'un master ou d'un doctorat (annonce faite à l'automne 2022). Les titulaires d'une licence pourront rester 4 ans supplémentaires, les diplômés d'un master, 5 ans, et les doctorants, 6 ans. Le Japon, qui planche actuellement sur la suppression du controversé Programme de formation technique des stagiaires pour les travailleurs étrangers, vient d'annoncer (lundi 24 avril) qu'il pourrait élargir la portée du visa de travail pour les travailleurs qualifiés, sans limites de durée de séjour. L'Allemagne travaille sur une réforme de l'immigration pour attirer davantage de talents étrangers. La Finlande déroule le tapis rouge aux talents étrangers. Elle prévoit d'en accueillir 50 000 d'ici à 2030, puis 10 000 par an.

Les expatriés et les candidats à l'expatriation peuvent préparer leurs valises. Ils sont attendus, courtisés par des États en manque de main-d'œuvre. Mais gare à ne voir que l'aspect économique.

Des progrès à faire

Si tous ces pays mettent en avant le besoin en main-d'œuvre, c'est bien de démographie dont il est aussi question. Mais même lorsque les voyants sont au rouge, les gouvernements n'envoient pas toujours les bons signaux. En France, il est toujours aussi périlleux de parler d'immigration. Enterré par le séisme des retraites, le projet « pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration » refait surface avec la même rengaine : « durcir les règles », « contrôler », « intégrer ». Il prévoit notamment de régulariser des travailleurs sans-papiers dans les « métiers en tension » (construction, restauration…). Mais peu de place à l'humain, déplorent les associations de défense des étrangers. Pour elles, la France répète les mêmes erreurs de verticalité, avec un État qui pense pour tous sans considérer la parole des autres. Le projet de loi serait trop « mécanique » et ne considérerait pas « des êtres humains » qui ne sont pas là pour faire « le sale boulot », mais bien pour construire « un projet de vie en France ». Elles rappellent que l'intégration est un processus allant dans les deux sens.

Quel monde pour demain ?

C'est tout l'enjeu d'une croissance démographique et économique par l'immigration. Une solution qu'il faut, bien entendu, associer à d'autres mesures, tout aussi indispensables. La lutte contre le racisme et les discriminations occupe moins le devant de la scène que les sujets économiques. La défense des droits des femmes, le manque d'infrastructures de garde d'enfants, la pauvreté des personnes âgées sont tout aussi capitaux.

Pour les analystes, les États devraient également tenir compte de l'anxiété écologique. Car même « lorsque tout va bien » dans leur vie, les jeunes ne désirent plus ni se marier ni avoir des enfants. En Finlande, « le pays du bonheur », on ne fait pas plus d'enfants qu'ailleurs. Plus pessimistes que les générations précédentes, ils n'aspirent plus aux mêmes idéaux. C'est aussi à ce niveau que les gouvernements sont attendus.