Expatriés de couleur : « Le racisme est partout ! »

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Publié le 2022-05-04 à 10:00 par Ester Rodrigues
L'histoire du monde entier est profondément marquée par la croyance que différentes races possèdent des caractéristiques, des capacités ou des qualités distinctes, ce qui permettrait de les distinguer comme inférieures ou supérieures les unes aux autres. Ceci, malheureusement, fait partie de la culture et de la recherche du pouvoir, comme en témoignent deux expatriés qui en ont fait l'expérience.

Dans votre pays comme à l'étranger, vous pourriez subir des préjugés, des formes de discriminations ou des antagonismes de la part des communautés et des institutions locales en raison de votre appartenance à un groupe racial ou ethnique particulier, généralement minoritaire ou marginalisé.

Aux États-Unis, selon une enquête du Pew Research Center datant de 2019, les opinions sur l'état actuel des relations raciales sont très négatives. Environ six Américains sur dix (58%) ont déclaré que les relations raciales aux États-Unis étaient mauvaises. Parmi eux, très peu les voient les choses s'améliorer.

Selon Spivak, les subalternes, ceux qui souffrent le plus du racisme, sont ceux qui proviennent de pays moins développés, catégorisés comme appartenant au « tiers-monde ». Elle explique qu'il est impossible pour ces personnes de s'exprimer en raison de divisions comme le sexe, la classe, le caste, la région, la religion, parmi tant d'autres. Selon elle, ces barrières ne leur permettent pas de se réunir pour lutter et trouver des espaces où elles peuvent se faire entendre et mieux représentées.

Des expatriés noirs victimes de racisme : témoignages

Isaias de Jesus, originaire du Brésil, est une personne de couleur qui vit aujourd'hui en Espagne. Il raconte sa lutte contre le racisme et explique comment il a vu l'existence d'une hiérarchie du racisme. « Quand je suis arrivé en Europe, c'est là que j'ai compris qu'il y a énormément de gens qui sont dans une situation pire que la mienne, surtout ceux qui viennent d'Afrique. Au final, tout cela est à mon avantage. C'est à ce moment-là qu'on se rend compte que le racisme est quelque chose qui nous dépasse de loin en tant qu'individu ; c'est un problème de société », soutient-il.

Selon un rapport sur le racisme publié l'an dernier par le gouvernement espagnol, 51,8 % des personnes interrogées ont avoué avoir été victimes de discrimination dans au moins une des situations évoquées dans l'enquête : traitements dérogatoires, insultes, violences verbales, discriminations au niveau du travail ou du logement, marginalisation ou encore exclusion sociale. Cette étude a analysé la discrimination subie par certaines couches raciales ou ethniques dans des domaines tels que la santé, l'éducation, le logement ou l'emploi. Il est intéressant de noter que 81,8% des personnes qui se sont dites victimes de racisme en Espagne n'ont jamais signalé des cas de discrimination.

Isaias justifie les « castes invisibles » par les expériences qu'il a vécues jusqu'à présent en Espagne. « Quand j'ai commencé à travailler, j'ai compris qu'ici en Espagne, la classe ouvrière, les emplois sous-payés et sous-estimés sont majoritairement occupés par des Latinos, des Arabes et des Africains. Il y a évidemment d'autres groupes comme les Indiens et les Chinois parallèles à tout cela. Mais au sein de la catégorie des Latinos, je me sens privilégié d'être Brésilien. » Isaias nous dit que puisqu'il ne peut pas changer le racisme au sein de la société, il en a fait un outil stratégique pour survivre et trouver des opportunités. « D'une manière ou d'une autre, notre culture fantasme le racisme, et cela ne fait qu'encourager l'émergence de sous-catégories au sein du groupe des opprimés qui se distinguent par des stéréotypes racistes tels que la beauté noire et le sexe. »

Isaias avoue qu'il se sent petit dans tout cela, car c'est lors de son expatriation qu'il a vraiment découvert les multiples visages du racisme. « J'ai dû réapprendre d'où je venais et qui j'étais pour me justifier. » Il a alors compris qu'il devait commencer à repenser à sa vie et qu'il avait également des problèmes pour accepter son identité noire au Brésil. « Je me souviens qu'à l'école, je disais toujours que je n'étais pas noir et que je savais que je n'étais pas blanc. Je me souviens de ma famille, très chrétienne, disant toujours des choses négatives sur les personnes venant des différentes régions africaines. Mais quand j'ai quitté le Brésil, j'ai commencé à voir que le racisme est beaucoup plus large et est directement lié au pouvoir économique de groupes de personnes et de pays. »

Vivre et faire face au racisme en tant qu'expatrié

Georgina Santos da Silva, qui vit aujourd'hui à Madrid, s'identifie comme une expatriée brésilienne noire. Elle estime qu'être une femme latine noire est une caractéristique sociale très importante dans sa vie. Forte d'une expérience antérieure aux États-Unis, Georgina a déménagé en Espagne afin de se rapprocher d'une culture similaire à celle de l'Amérique latine, mais aussi parce qu'elle voulait apprendre une autre langue. D'ailleurs, selon l'enquête HSBC Expat Explorer Survey 2019, l'Espagne se classe au quatrième rang des meilleurs endroits où vivre et travailler. Cependant, elle a rapidement découvert qu'il existe des stéréotypes et du racisme associés aux femmes latinos et brésiliennes en particulier. « Le principal défi est que nous sommes souvent perçues comme des objets sexuels, et malheureusement, cela nous empêche souvent d'avoir des relations saines en dehors du Brésil. Il y a un autre préjugé selon lequel nous venons ici pour nous marier et ainsi avoir l'autorisation de vivre ici. » Craignant d'être jugée par ces stéréotypes, Georgina hésitait à révéler sa nationalité aux autres au tout début. « Comme je suis d'ascendance africaine et je parle couramment anglais, je peux facilement passer pour une Américaine. Mais, quand les gens le découvrent, j'ai droit à toutes sortes de connotations et de préjugés ».

Les expatriés noirs sont découragés de vivre dans des pays « majoritairement blancs » en raison de nombreux facteurs. Si Isaias ne tient pas forcément l'Europe dans son cœur, il reconnaît que la situation est pire dans son pays. « Je suis ici parce que la vie est plus difficile la d'où je viens. Le Brésil ne connaît pas seulement le racisme. Il est historiquement retardé, épuisé. La situation pourrait être mieux mais elle ne l'est pas. Peut-être qu'il y a de l'espoir pour l'avenir, mais aujourd'hui ce n'est pas le cas. Quant au racisme, il nous colle à la peau comme un uniforme. Au Brésil, que l'on soit noir ou blanc, on sera toujours catégorisé sans même savoir exactement pourquoi ». D'autre part, il admet que la société brésilienne est contradictoire et permet dans la culture que des personnes de races différentes partagent la vie au même niveau. « Cela a un rapport avec le carnaval, le football et la foi, par exemple. Au Brésil, il y a toujours beaucoup d'unions ou beaucoup de séparations. Cela dépend de l'endroit où on est ».

Existe-t-il des endroits moins racistes ?

Bien que la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ICERD) s'engage à éliminer la discrimination raciale et criminalise l'appartenance à des organisations racistes, Isaias insiste que le racisme est partout. « Les Africains perdent leur vie en fuyant vers d'autres pays, les Brésiliens migrent vers les États-Unis et les pays d'Europe. Malheureusement, le racisme est omniprésent. Je pense qu'il n'y a pas d'endroit où il y a moins de racisme. » Cependant, selon lui, le racisme peut s'avérer un frein à la croissance et à la prospérité de nombreux pays. « Dans tout ce que j'ai connu des sociétés des pays que j'ai visités personnellement ou connus à travers les expériences partagées par d'autres expatriés, j'ai constaté que le bien-être social va de pair avec le bien-être économique. Tout fonctionne à merveille lorsque la population dans son ensemble se sent bien ».