Regard du coach de start-ups Marc Israël sur l'écosystème entrepreneurial en Afrique

Interviews d'expatriés
  • Marc Israel
Publié le 2021-09-03 à 10:00 par Veedushi
Malgré la crise sanitaire mondiale, la région africaine, et tout particulièrement l'île Maurice, représente un atout considérable aux yeux des entrepreneurs étrangers aussi bien que ceux de la région. Marc Israël, expatrié français qui vit l'île Maurice, coach de start-ups, co-fondateur du podcast Entrepreneurs Talk Africa, nous parle de l'attractivité de la région et des subtilités du monde des affaires en Afrique. 

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je suis Marc Israël, Français, et ça fait 21 ans que je vis à l'île Maurice, plus précisément à Roches Noires. Je suis arrivé ici en 2020. En France, j'étais chef d'entreprise et j'ai rejoint Microsoft en 2001. A mon arrivée à Maurice, j'ai eu l'occasion de créer une première entreprise en conseil.

Je me considère comme un « citoyen du monde ». J'aime bien voyager et rencontrer des gens. J'ai d'ailleurs voyagé dans plus de 70 pays. J'ai été Chief Executive Officer (CEO) pour Microsoft Afrique pendant plusieurs années. Donc j'ai passé beaucoup de temps sur le continent africain, dans quasiment tous les pays à l'exception de quelques pays d'Afrique centrale.

C'est à l'île Maurice que j'ai eu la chance de rencontrer Jason et Gérald et nous avions tous les trois envie de monter un podcast pour parler d'entrepreneuriat africain et d'innovation en Afrique. Jason est un Kenyan qui vit à l'île Maurice depuis plusieurs années maintenant. Il travaille à la fois pour le groupe ENL et est à la tête d'une start-up dans le domaine de l'éducation. Gérald est un Mauricien qui a monté une start-up dans le tourisme, un secteur malheureusement très impacté par la crise. Ensemble, nous avons monté une petite société qui produit ce podcast. À savoir que je suis aussi coach de start-up, ce qui signifie que j'accompagne des start-ups dans leur développement.

Quelles sont les thématiques que vous abordez sur ce podcast et quelle est votre cible ?

Avec Jason et Gérald, nous sommes tous les trois de gros consommateurs de podcasts. Honnêtement, je ne regarde plus la télé et je n'écoute plus la radio depuis de nombreuses années. En même temps, je consomme énormément de médias en téléchargement et, entre autres, beaucoup de podcasts. Tous les trois, nous sommes arrivés à la même conclusion : premièrement, on ne fait pas des affaires à Maurice ou dans d'autres pays africains comme on en fait aux États-Unis, en Europe ou en Asie. Monter une entreprise, c'est toujours trouver des clients, faire des profits, etc. Mais le temps n'est pas le même, les relations ne sont pas les mêmes, le rapport à l'individu non plus. Il y a plein de subtilités qui différencient les affaires à l'île Maurice et en Afrique de partout ailleurs. Deuxièmement, nous avons constaté une frustration au niveau de l'information. On a beaucoup de podcasts sur l'entrepreneuriat et l'aspect fonctionnel, mais à chaque fois j'avais l'impression d'être en décalage. Par exemple, si l'on prend des gens qui créent des start-ups dans la Silicon Valley, ils ne savent parler qu'en dizaines de millions de dollars avec des millions d'utilisateurs, mais il y a plein de petites entreprises qui sont très dynamiques et qui apportent plein de choses, et je ne suis pas sûr qu'elles aient beaucoup à apprendre de ces start-ups et ces grandes entreprises. Par exemple, j'ai eu l'occasion de travailler dans une grande entreprise et j'étais aussi frustré par l'approche des Américains par rapport à la réalité du terrain. En reliant toutes ces choses, je me suis dit qu'il fallait absolument qu'on fasse un podcast pour les entrepreneurs africains qui permette de les motiver, de leur donner des idées en confrontant de vraies expériences locales. On s'est lancé en plein confinement l'année dernière avec l'idée d'interviewer des entrepreneurs : des gens qui venaient de démarrer, d'autres qui avaient déjà une entreprise, ainsi que des personnes qui interviennent dans l'univers des start-ups. Nous avons essayé de voir tout cet écosystème et de créer un carnet d'adresses pour pouvoir aller à la rencontre de ces gens-là et les interviewer sur les différents sujets qui ont trait à l'entrepreneuriat en général. Nous faisons donc un épisode de 30 minutes le lundi et un débriefe le vendredi, destinés aux personnes qui sont soit déjà entrepreneurs soit qui ont envie de se lancer sans vraiment savoir comment procéder.

Quelles sont les destinations que vous avez traitées depuis la création du podcast ?

Il est intéressant de noter que 48% de notre auditoire se trouve en Afrique. Il n'empêche que 24% se trouvent en Europe et 18% aux États-Unis. Il y a pas mal de la diaspora africaine et mauricienne mais aussi des entrepreneurs et des entreprises de différentes origines, y compris du Canada et d'Israël.

De votre point de vue, quelles sont les principales subtilités en affaires à l'île Maurice et en Afrique par rapport au reste du monde ?

Premièrement, le rapport au temps n'est pas le même. Le concept d'« African time » est l'une des principales subtilités. Le temps ne s'écoule pas à la même vitesse dans les pays d'Afrique et dans le reste du monde. Cela ne veut pas dire que les choses ne se font pas en temps et en heure, mais leur rapport au temps est différent. Il n'y a pas cette frénésie qu'on retrouve dans les grandes économies, y compris au Lagos, à Nairobi ou à l'île Maurice depuis quelque temps. On a plus de gens qui sont capables de s'arrêter et de « vivre » au lieu de travailler uniquement. Une autre différence, à mon avis, est qu'il y a un impact culturel beaucoup plus important à l'île Maurice et en Afrique. L'île Maurice, par exemple, est une île où on ne peut pas se permettre de faire tout et n'importe quoi. Si on arrive en croyant que l'on sait tout et qu'on va montrer aux Mauriciens comment faire, généralement on repart très rapidement avec sa valise. La compréhension de la culture est donc absolument essentielle si l'on veut réellement faire des affaires et avoir des amis dans le domaine. C'est également vrai en France ou aux États-Unis, mais il faut se rendre compte que l'on ne fait pas des affaires de la même façon dans une ville comme New York qu'à Houston, par exemple. Il y a partout des micro-marchés et il faut prendre en compte ces dimensions-là. Au Nigéria et en Côte d'Ivoire, par exemple, on retrouve un sous-niveau presque tribal, dans le bon sens du terme. Bien souvent, ce n'est pas explicite, alors il faut savoir décoder tout cela. Cela prend du temps, certes, mais cette dimension culturelle me semble primordiale dans des économies insulaires comme l'île Maurice.

En tant que coach de start-ups, dans quelles mesures venez-vous en aide aux personnes qui souhaitent entreprendre à l'île Maurice ?

Je les aide surtout à structurer leur « business ». Quand on monte une entreprise, on lit énormément de choses et on se fait beaucoup d'idées. Mais il y a plein de choses qu'on ne sait pas tant qu'on n'est pas confronté à la réalité. Il y a des erreurs qui peuvent être fatales et qu'on doit éviter de faire. L'idée est de les accompagner d'un point de vue plus organisationnel. C'est aussi ce qu'on fait au travers de Entrepreneurs Talk Africa. J'ai aussi une société d'investissement « on early stage » qui s'appelle Mo Angels. On a aujourd'hui une vingtaine de membres et on investit dans des start-ups à l'île Maurice et en Afrique. On existe depuis un peu moins d'un an et à ce jour on a étudié environ 70 dossiers, on a investi dans 3 sociétés et il en a 4 autres qui font actuellement l'objet d'une étude. Ce sont des processus relativement longs mais qui permettent d'accompagner des entreprises sur des durées qui sont plus ou moins longues. Un investissement dans une start-up peut durer 20 ans. Souvent, ce sont des gens qui ont monté une affaire et qui ont besoin d'argent pour accélérer un peu leur projet, alors ils viennent vers nous pour en parler. On s'est aperçu que les gens ont beaucoup à partager et on essaye de leur donner une plateforme. Il y a énormément d'entreprises qui ont un impact extraordinaire mais que quasiment personne ne connaît.

Quels sont les types de profils avec lesquels vous avez traité jusqu'à présent ?

On a une grande majorité de gens qui sont déjà là, bien souvent des entrepreneurs mauriciens ou africains. Mais on commence à avoir des gens qui sont de l'extérieur, par exemple, un Mauricien qui vit en Australie et qui a monté une société à Sydney, et il se pose des questions sur le retour à l'île Maurice pour entreprendre.

A vos yeux, comment se présente l'attractivité de l'île Maurice et la région africaine à l'ère de la crise de COVID-19 ?

Je pense que l'investissement étranger à l'île Maurice a baissé de manière considérable pendant les 12 derniers mois. Mais je suis confiant que le monde va rebondir. On va voir, à partir du 1er octobre avec la réouverture des frontières, comment les choses vont se faire. En même temps, quand on regarde ce qu'il s'est passé en Afrique du Sud, une importante économie africaine, pendant le confinement, on constate que l'attractivité a fortement baissé. L'économie sud-africaine a toujours du mal à s'en remettre. D'autre part, les gens ont aujourd'hui tendance à regarder plus près de chez eux que plus loin. Il n'empêche qu'il y a toujours cet appétit de faire appel à des ressources externes, même s'il est clair que les choses vont se faire différemment. On a actuellement plus d'Africains qui ont le regard tourné vers l'île Maurice et des Mauriciens qui considèrent l'Afrique australe, par exemple, parce que c'est plus près que l'Europe. Il y a donc un changement de « focus ». Dans l'ensemble, je pense qu'on a pris un grand coup. Il faut juste remonter la pente maintenant, mais je pense qu'il y a les ressources.

Selon votre expérience, quels sont les secteurs les plus convoités par les entrepreneurs dans la région ?

Aujourd'hui, on a un peu d'« online », tout ce qui est web et développement d'applications mobile ou web, notamment, selon mon constat auprès de l'incubateur avec lequel je travaille. Il y a aussi des entreprises qui reprennent dans l'industrie manufacturière locale, principalement l'agritech (chercher à développer l'agriculture locale, y compris l'aquaculture et l'élevage) pour atteindre l'autonomie alimentaire et ne plus dépendre de l'extérieur. On a plein de gens qui se disent qu'il faut arrêter de dépendre de l'extérieur compte tenu des prix d'importation élevés, du FOREX, etc.

Comment voyez-vous l'avenir de l'entrepreneuriat dans la région africaine ?

Lors de la dernière période d'incubation qu'on a fait à La Turbine, on a eu plus d'une centaine d'appels à projets mais on n'en a retenu qu'une dizaine, faute de temps et de moyens. D'ailleurs, on n'a pas les compétences et l'infrastructure pour en prendre plus. On a relancé un appel à projet avec l'ambassade de France sur l'économie bleue et on a déjà reçu un certain nombre de demandes. Donc je suis très optimiste car il y a plein d'opportunités. Même si j'ai travaillé dans de grosses boîtes, je suis un fervent des PME (petites et moyennes entreprises) et je pense que la richesse se crée par les individus.

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