En France, les brutalités policières lors des manifestations sont devenues systématiques. En Allemagne, la politique est inverse : pas de lanceur de balle de défense, et tactique de la « désescalade ». Le pays a choisi d'encadrer les contestations sans recourir à la force.
Rémi Fraisse, tué par une grenade de la gendarmerie en 2014 ; Malik Oussekine, tombé sous les matraques de la police en marge d'une manifestation en 1986 ; un étudiant rennais, éborgné dans un cortège par un lanceur de balles de défense (LBD, successeur du Flash-Ball), en avril 2016.
Le point commun de toutes ces affaires — liste très loin d'être exhaustive -, c'est l'usage par les forces de l'ordre d'une « arme à létalité atténuée », partie intégrante de la stratégie de maintien de l'ordre à la française.
« Bien qu'elle lui fasse globalement confiance, une partie substantielle de l'opinion publique considère que la police française est brutale », constate Fabien Jobard, chercheur au CNRS et au centre Marc Bloch de Berlin. Il considère que « l'on fait du maintien de l'ordre aujourd'hui en France comme on en faisait il y a 30 ans à Berlin ».
« Le coup de feu qui a changé l'Allemagne »
En Allemagne, les lanceurs de balles de défense et autres dispositifs lourdement incapacitants sont strictement prohibés, parce que jugés trop dangereux. Le maintien de l'ordre s'effectue selon une philosophie, appelée la « désescalade » (ou Deeskalation, en version originale). L'objectif est de garantir le droit à manifester en désamorçant au plus tôt les situations de conflit dans les cortèges. La force, coordonnée entre toutes les unités, ne doit être employée qu'en ultime recours.
Outre-Rhin, la « désescalade » est le fruit de dizaines d'années de réflexion, inspirée des méthodes des travailleurs sociaux. À l'origine, c'est une bavure retentissante qui avait poussé à la remise en cause de l'institution policière.
En juin 1967, lorsque le shah d'Iran Mohammed Reza Pahlavi s'était rendu à Berlin-Ouest, il y avait été accueilli par un millier de manifestants réclamant la libération des prisonniers politiques sous ce régime dictatorial. Le 2 juin, un étudiant en études romaines et germaniques, jeune marié et futur père, Benno Ohnesorg, se joignit au cortège après avoir assisté, la veille, au discours pacifiste d'un écrivain iranien en exil. En début de soirée, l'attention du jeune homme fut attirée par une silhouette traînée dans une cour d'immeuble par des policiers en civil. À l'intérieur, une vingtaine de personnes s'affrontaient. Benno Ohnesorg, en chemise rouge et sandales, reçut une balle dans la tête et s'écroula. La police berlinoise venait de tirer « le coup de feu qui a changé l'Allemagne ».lire le reste de l'article jean luc