Pénuries de main-d'œuvre agricole : quelles perspectives pour les expatriés ?

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Publié le 2023-11-08 à 07:00 par Asaël Häzaq
Les pénuries de main-d'œuvre continuent. Le secteur agricole, déjà fragilisé avant la crise sanitaire, subit de nouvelles difficultés. Comment intéresser les travailleurs aux métiers agricoles ? Voilà le défi des États qui, face au désintérêt des locaux, se tournent davantage vers les expatriés.

Pénuries de main-d'œuvre dans les puissances agricoles

Les grands pays agricoles manquent de main-d'œuvre. La situation n'est pas nouvelle, mais tend à s'aggraver. D'après le groupe Réussir, spécialiste de l'information professionnelle des filières agricoles et alimentaires, les États-Unis, le Brésil, les Pays-Bas, l'Allemagne, la France, l'Espagne et la Chine sont les principaux exportateurs de produits agricoles et alimentaires. À lui seul, le marché export des États-Unis pèse 146 milliards de dollars. Il devance celui des Pays-Bas (101 milliards de dollars) et du Brésil (85 milliards de dollars). Le secteur agricole compte également d'autres puissances exportatrices : l'Indonésie, le Canada, l'Inde, l'Italie, l'Australie ou encore l'Argentine.

Or, l'inquiétude monte. La main-d'œuvre manque pour récolter les productions. La main-d'œuvre manque pour élever les ruminants. C'est tout un secteur qui se crispe et s'essouffle, faute de travailleurs. En France, une partie des récoltes est sacrifiée, par manque de bras. La culture des asperges en demande beaucoup. Face aux pénuries, les producteurs font le choix de délaisser le ramassage des asperges au profit d'autres fruits et légumes, moins gourmands en main-d'œuvre. Mais la perte financière reste là, sans parler du gâchis alimentaire et écologique. La culture des cornichons, qui nécessite elle aussi un grand nombre de travailleurs, est elle aussi sacrifiée.

Ces régions françaises, en situation de quasi-plein emploi, n'attirent pas les locaux. La main-d'œuvre étrangère est également rare. Car avec la pénurie de main-d'œuvre s'ajoute celle des logements. Même situation de pénurie en Allemagne, qui compte sur ses 300 000 travailleurs agricoles saisonniers pour sortir la tête hors de l'eau. D'après les données du Parlement européen, ces travailleurs viennent en majorité de l'Europe centrale et orientale, Pologne et Roumanie en tête. En Espagne, nombre des 150 000 travailleurs agricoles étrangers viennent du Maroc.

Quelles opportunités pour les expatriés ?

Les pénuries observées à l'échelle mondiale sont-elles autant d'opportunités pour les expatriés ? Car en plus du manque de main-d'œuvre, le secteur agricole souffre depuis de nombreuses années d'une mauvaise image, notamment chez les jeunes. On visualise mal les différents (et nombreux) métiers de la filière. On retient la pénibilité du travail, les horaires décalés, l'absence de vacances… Une image qui ne correspond pas toujours à la réalité, et que les professionnels du secteur veulent casser, à grand renfort de campagnes de communication. Il est pour eux essentiel de « parler vrai », et de redorer le blason du secteur. Le « parler vrai » passe aussi par le recrutement de professionnels étrangers, et pas forcément pour une ou deux saisons.

Visa vacances-travail à la ferme : l'exemple de l'Australie

Pour l'instant, l'Australie semble encore se tourner vers les étrangers pour boucler la saison. Les saisonniers manquent dans l'agriculture et d'autres secteurs délaissés par les locaux. Le gouvernement cible les Pvtises, ces étrangers détenteurs d'un visa vacances-travail, et les encourage à travailler dans les fermes. Entre le 1er novembre 2020 et le 30 juin 2022, l'Australie avait même prévu une aide de 2000 dollars (aide « relocation assistance ») pour soutenir les Pvtistes travaillant dans le secteur agricole. Si l'aide n'est plus d'actualité, l'attractivité du pays reste pour des milliers de candidats à l'expatriation désireux de découvrir un nouveau métier. Pour les Pvtistes, pas de limite d'heures. Une souplesse qui permet de gagner entre 5000 et 7000 dollars par mois (pour 50 heures d'activité au salaire minimum).

Exemple de l'Union européenne (UE)

L'Union européenne (UE) compte plusieurs grandes régions agricoles. Ça bouge surtout en Lettonie, en Lituanie, en Pologne, en Roumanie, en Bulgarie, en Grèce, dans quelques régions de la France métropolitaine, dans quelques régions finlandaises, au sud de l'Italie, au sud de l'Espagne et au Portugal. Avec 18,5 % de sa population travaillant dans le secteur agricole, la Roumanie est le pays européen qui concentre la part la plus élevée de la population active dans ce secteur. En 2020, le secteur agricole, forestier et piscicole européen emploie 9,4 millions de personnes, soit 4,5 % du total des actifs. La grande majorité d'entre eux (4,2%) travaille dans l'agriculture.

Ce sont autant d'opportunités pour les candidats à l'expatriation. D'après le Parlement européen, la main-d'œuvre agricole continuera de baisser d'environ 2 % par an jusqu'en 2030. Une baisse qui sera « partiellement compensée » par la main-d'œuvre étrangère.

Attirer les immigrants expérimentés : l'exemple du Canada

Selon un récent rapport publié par la Banque Royale du Canada (RBC), 40 % des agriculteurs canadiens prendront leur retraite d'ici 2033. Pour les remplacer, le secteur agricole canadien aura besoin d'au moins 30 000 travailleurs immigrants étrangers.

Programme pilote pour attirer les immigrants dans le secteur agricole

Le Programme pilote sur l'agroalimentaire lancé par le gouvernement en 2020 était censé répondre à la pénurie en favorisant l'emploi des immigrants dans l'agriculture. Mis en place initialement jusqu'en mai 2023, il a été prolongé jusqu'en mai 2024. Le Programme pilote est censé permettre aux travailleurs saisonniers expérimentés d'accéder à la résidence permanente. Mais selon les détracteurs, le Programme manquait d'ambition. Impossible pour eux de raisonner en termes de saison, car une exploitation agricole est opérationnelle toute l'année. La prolongation du pilote a corrigé certains éléments de la première version. Le Programme pilote s'entend désormais comme « une voie vers la résidence permanente pour les travailleurs expérimentés non saisonniers dans certaines industries et professions. »

Des talents étrangers pour sauver les exploitations agricoles canadiennes

Le Canada investit également pour attirer des étrangers expérimentés dans le secteur agricole. Car des exploitations agricoles ferment dès à présent ; attirer des immigrants capables de les reprendre ou de monter leur propre exploitation, c'est assurer le dynamisme de toute une région. Des expatriés ont déjà répondu à l'appel en reprenant des fermes ou en lançant leur affaire. Ils apportent leur retour d'expérience, et insistent sur le nécessaire partenariat avec la collectivité locale.

Les immigrants soulèvent, par exemple, le problème de l'accès à l'information, de la connaissance du marché local, du système de location des machines agricoles, du besoin de conseils concernant la vente de leurs produits, eu égard aux particularités du marché local. Ils soulignent également que le prix des terres agricoles augmente (+ 20 % ces 5 dernières années). Une hausse qui complique l'installation des nouveaux professionnels. Pour trouver des terres abordables, il faut se rendre dans la province de Saskatchewan, où le prix au mètre carré est le moins élevé du pays. Ces derniers encouragent les collectivités canadiennes à continuer d'améliorer l'accompagnement des immigrants exploitants agricoles. Une opération gagnant-gagnant pour que tous en tirent des bénéfices.

La solution pérenne face à la pénurie chronique de main-d'œuvre dans l'agriculture mélangera peut-être l'approche canadienne avec la nécessaire revalorisation de l'image des métiers agricoles. Plutôt que de miser exclusivement sur des saisonniers qui, par définition, ne restent qu'un temps, opter pour des étrangers expérimentés pour reprendre des exploitations agricoles assure la continuité de l'activité sur le long terme, et contribuent à redynamiser toute une région. Cette démarche va de pair avec une meilleure information sur les métiers agricoles, tant pour les immigrants que pour les locaux, et ce, dès l'école.