Nouvelles politiques de visas en France pour les Marocains, Algériens, Tunisiens

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  • cour du palais de l'Elysee en France
    Frederic Legrand - COMEO / Shutterstock.com
Publié le 2021-10-11 à 12:00 par Asaël Häzaq
Rien ne va plus entre la France et le Maghreb. Plus précisément : le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. L'Élysée invoque un dialogue difficile avec lesdits pays, qui ne respecteraient pas la loi Asile et immigration de 2018. Le Maroc et la Tunisie regrettent la décision française. L'Algérie convoque l'ambassadeur de France. S'avance-t-on vers une nouvelle crise diplomatique ?

« Une décision drastique et inédite »

Votée en 2018, la loi Asile et immigration s'articule sur deux volets : le renforcement de l'accueil et de la protection des étrangers en situation / la lutte contre l'immigration irrégulière. C'est dans ce cadre que se déploie l'Obligation de quitter le territoire français (OQTF). En pratique, l'OQTF est mise en place avec les pays concernés. Les personnes en situation irrégulière retournent dans leur pays d'origine grâce au laissez-passer consulaire délivré par ce dernier. Problème : le Maroc, l'Algérie et la Tunisie refuseraient de délivrer assez de laissez-passer consulaires. À peine 0,2 %, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur communiqués à l'AFP : « 31 laissez-passer consulaires entre janvier et juillet 2021 pour 7 731 obligations de quitter le territoire français, et 22 expulsions, soit un taux d'exécution de 0,2 % ». Ce taux remonte à 2,4 % pour le Maroc, et 4 % pour la Tunisie. Le 28 septembre dernier, la France décide de sanctionner ces pays à hauteur de leur non-implication : réduction de 50 % des visas accordés pour l'Algérie et le Maroc, 30 % pour la Tunisie. Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal assume et explique la prise de position française : « C'est une décision drastique, inédite, mais nécessaire […] à un moment, quand les choses ne bougent pas, nous faisons appliquer les règles. » En pratique, les demandes de visa des « travailleurs qualifiés » et des « étudiants en cursus avancés » seront étudiées en priorité, au détriment d'autres demandes, comme celles des regroupements familiaux. Mais Abdelghani Youmni, président délégué de Français du Monde à Casablanca et spécialiste des politiques publiques, note (concernant le Maroc) que depuis la pandémie, les rares Marocains demandant des visas le font pour le travail. L'État français n'est pas sans le savoir, mais semble entretenir le flou dans sa communication. De plus, pandémie oblige, de nombreux pays, y compris ceux du Maghreb, ont vu leurs frontières fermées. À cela s'ajoute l'obligation d'effectuer un test PCR pour entrer au Maroc, en Tunisie et en Algérie : beaucoup de personnes s'y refuseraient. Le Maroc a indiqué qu'il maintenait l'obligation du test PCR négatif pour entrer sur son territoire. Difficile, dans ces conditions, d'appliquer l'OQTF. 

Devant l'ampleur que prend l'affaire, le ministère de l'Intérieur rappelle que si la mesure n'est pas commune, elle a déjà été prise par le passé, et a produit les résultats escomptés. Dès 2018, la France a mis en place des mesures de réductions de visa et a constaté une hausse des laissez-passer consulaires délivrés. Le ministère note une hausse significative des expulsions en 2019 : +65 % des expulsions vers l'Algérie (comparativement à 2017), +61 pour la Tunisie et +57 % pour le Maroc. Mais les observateurs s'étonnent du calendrier choisi : si la mesure est appliquée dans la coulisse depuis 2018, pourquoi attendre la période électorale pour communiquer ?

Incompréhension du Maghreb  

Le lendemain de la prise de parole française, Nasser Bourita, ministre algérien des Affaires étrangères, convoque l'ambassadeur français. Il reproche à la France une décision prise unilatéralement, qui porte atteinte à la liberté de circulation des ressortissants algériens. Algérie qui rappelle que la majorité de ses ressortissants, tout comme ceux du Maroc et de la Tunisie, sont parfaitement en règle. Des voix inquiètes se lèvent : les entrepreneurs craignent pour la bonne marche de leurs affaires. À la tête de deux salons de beauté, Mahassen Jmel-Keskes témoigne au journal le Monde : elle vient justement de demander un visa pour assister à un congrès d'esthétique se tenant en France. « Mes deux sociétés risquent d'avoir des problèmes, car les échanges internationaux permettent la création et l'innovation [...]. » Les voyageurs réguliers dénoncent une discrimination et une « punition collective ». « L'Afrique du Nord ne mérite pas un tel traitement de la France. Certes, il y a un problème avec les immigrés clandestins, mais il y a des gens réglo ici qui ont contribué au développement de la France », regrette un père de famille, qui craint de ne pouvoir rendre visite à sa fille, étudiante en médecine dans une université française. D'autres pointent l'inertie des gouvernements concernés qui, malgré les avertissements de la France, n'auraient pas réagi. La position de la France reste cependant incompréhensible pour beaucoup. Kaïs Saïed, président de la Tunisie, s'entretient samedi dernier avec le président français, lequel lui assure que cette décision pourra être révisée. Les deux États s'accordent pour renforcer leur coopération en matière de migration. 

Décision française : une ambition électoraliste ?

Et si nouvelle politique de visas décidée par la France visait un autre objectif ? Derrière ce nouveau bras de fer, la question de l'immigration agite toute la classe politique. Selon le chercheur Abdelkrim Belguendouz, rien d'étonnant. 2022 est une année capitale pour la France : élections présidentielles et gouvernance de l'Union européenne (UE). « Il faut lier cette action à l'approche de l'élection présidentielle en France et à l'importance que veut accorder Emmanuel Macron à la question de la migration, étant souvent interpellé sur ce dossier par le Rassemblement national et, de plus en plus, par le polémiste et probable futur candidat aux élections présidentielles Éric Zemmour », explique le chercheur au journal le Point. Le président gagnerait tant au niveau national qu'au niveau international. En accélérant le retour des personnes en situation irrégulière dans leur pays, Macron s'imposerait comme l'homme fort de la France et de l'UE. 

Si l'échéance électorale est en jeu, les observateurs craignent une cristallisation des relations déjà tendues entre les populations. La question des visas pourrait entretenir les divisions, et pointer du doigt des communautés bien précises, qui paieraient collectivement l'infraction de quelques-uns. Pour le sociologue Mehdi Alioua, la question se pose surtout pour  « celles qui résident en France depuis des années et qui y ont souvent un travail, une famille, leur vie ». (Le Monde) D'aucuns dénoncent l'analyse partielle et déformée de la politique migratoire. Au fil des années, l'immigré ne viserait plus qu'un seul type de population : ceux en situation irrégulière. C'est oublier les expatriés, les étudiants, les familles, les personnes souhaitant rendre visite à des proches… qui ont, tous, un fort attachement à la France. Il faut désormais espérer que le durcissement de la position française ne soit pas contre-productif, et ne divise pas la population.