France-Allemagne: ces cousins germains qu'on aime détester
En 1914, il y a déjà un déséquilibre économique entre la France et l'Allemagne, au profit de cette dernière, qui se double bien sûr d'un conflit territorial. Voyez-vous des similitudes avec la situation actuelle?
Georges Valance. Je me souviens d'un déjeuner avec un des grands patrons de la Commerzbank, en 1988, au cours duquel je lui ai demandé son avis sur une éventuelle réunification de l'Allemagne. Il me tint ce langage étonnant de désinvolture : "En 1914, la France pesait presque moitié moins que l'Allemagne. Une fois réunie, l'Allemagne retrouvera sa position d'avant 1914 et reléguera la France à un rang inférieur."
Bruno Le Maire, député UMP de l'Eure, ancien ministre de l'Agriculture et secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, passe pour être l'un des hommes politiques qui connaissent le mieux l'Allemagne.
Georges Valance, ancien directeur de la rédaction de L'Expansion, ancien directeur délégué de la rédaction de L'Express, publie Petite Histoire de la germanophobie chez Flammarion.
Il avait "mathématiquement" raison : la France se retrouve aujourd'hui dans une situation de décrochage semblable à celle de 1914 sur de nombreux plans. Or, dans l'histoire des deux pays, les périodes de déséquilibres territoriaux, militaires, démographiques ou économiques ont toujours créé des aigreurs entre les deux peuples, sur lesquelles fermentent la germanophobie ou la gallophobie.
Bruno Le Maire. A regarder la longue histoire des deux pays, les périodes de rivalité sont la norme, et les phases d'amitié, l'exception. L'antinomie repose sur des divergences profondes : Français et Allemands ont des conceptions très différentes de l'Etat, de la nation, de la langue et aussi de l'économie. La raison raisonnante de l'Allemagne contre l'universalisme français, cela tient du grand classique, et cette divergence trouve aujourd'hui une traduction économique.
Au fond, en 1914, l'Allemagne dominait territorialement et militairement ; aujourd'hui, elle prend clairement le dessus sur le terrain économique. En 1914, ce déséquilibre a produit la guerre ; en 2014, il peut sonner la fin du projet européen. Pour la France, la solution consiste à se remettre à niveau économiquement. Et non à verser dans des propos germanophobes.
Justement, diriez-vous que les Français redeviennent germanophobes?
G.V. La réalité est plus complexe. En France, l'opinion publique ne semble pas germanophobe - au pis, elle est "germano-indifférente". C'est l'élite politique qui multiplie les propos agressifs. Car elle voit dans la réussite de l'Allemagne le reflet de son propre échec. En Europe du Sud, c'est plutôt l'inverse, les peuples rendent Angela Merkel responsable des politiques d'austérité qui les malmènent.
B.L.M. Depuis plusieurs mois, ce sont les élites de gauche qui multiplient les propos antiallemands. Le ministre Arnaud Montebourg n'a-t-il pas comparé Angela Merkel à Bismarck ? Le président de l'Assemblée, Claude Bartolone, n'appelait-il pas à une confrontation avec notre partenaire d'outre-Rhin ? La droite reste imprégnée par le souvenir du couple Charles de Gaulle-Konrad Adenauer. La gauche, elle, a rompu la digue élevée par François Mitterrand et Helmut Kohl.
Au fond, le décrochage par rapport à l'Allemagne ne suffit-il pas à expliquer le sentiment de déclin français?
G.V. Si, mais dans l'histoire ce sentiment de déclin a pu aussi constituer un moteur. En 1870, la "Grande Nation", vaincue par la petite Prusse, vit cette défaite comme une énorme humiliation. Certes, avec une arrière-pensée revancharde, elle va alors se mettre à l'école du vainqueur dans les domaines où il excellait - la philosophie, la sociologie, l'étude des langues, la science, la recherche appliquée, etc. Les Français ouvrent des écoles d'ingénieurs pour concurrencer l'industrie allemande, les officiers apprennent la langue de Goethe, comme le jeune Charles de Gaulle à Saint-Cyr.
Est-ce à dire qu'il faille copier le modèle allemand?
B.L.M. Non ! Nous n'avons pas à adopter le modèle allemand, mais à réformer notre propre modèle. La situation des femmes au travail outre-Rhin n'est pas enviable, pas plus que la situation des salariés en minijobs. Concentrons donc nos efforts sur la reconstruction de notre modèle économique et social, qui est à bout de souffle. Pour produire mieux et moins cher, il faut en passer par une triple baisse : celle des coûts du travail, celle des impôts et celle des dépenses publiques.
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jean luc