Comment l'expatriation influe sur notre identité

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Publié le 2023-07-19 à 07:00 par Asaël Häzaq
Le ministère français des Affaires étrangères estime qu'environ 2,5 millions de Français vivent à l'étranger. Des Français immigrés de longue date ou partant pour quelques années. On sait que l'expatriation, comme tout voyage, nous change. Pas besoin de partir au bout du monde ni de partir de longues années. Un court voyage peut laisser une empreinte indélébile dans les esprits et changer radicalement notre manière de voir les choses. Comment les Français vivent-ils leur expatriation ? Comment la vie à l'étranger touche-t-elle leur identité ?

Qu'est-ce qu'être Français ?

En France, la question peut vite soulever des passions. Elle n'a pourtant rien de spectaculaire. On peut tout d'abord s'en tenir à la définition législative, administrative. Être Français, c'est avoir la nationalité française. Être Français, ça peut être aussi aimer la culture française. Cette définition, bien plus large que la première, admettra des personnes qui, bien que n'ayant pas la nationalité française, se sentent Françaises, car elles aiment la France. Elles deviennent Françaises dans leur manière de s'exprimer, de manger, de s'habiller, de se comporter… C'est ce sentiment qu'ont de nombreux expatriés en France. La France devient leur « chez moi ». C'est ce même sentiment qu'ont de nombreux Français expatriés à l'étranger, qui font de leur pays d'accueil leur « chez moi ». Mais que devient l'identité ? Se perd-elle dans le pays d'accueil ? Se dilue-t-elle à mesure que l'expatriation dure ou que les voyages se multiplient ?

Français expatrié ou immigré

Pour comprendre en quoi l'expatriation touche notre identité, il faut encore partir des définitions. Qu'est-ce qu'un expatrié ? Si l'on s'en tient à la définition du dictionnaire, l'expatrié est celui qui a quitté son pays ou en a été banni. La deuxième proposition ne nous concernant pas, on admet donc que l'expatrié est celui qui a quitté son pays. En synonymes du mot, on trouve « émigré », « immigré », « migrant » ou encore « immigrant ». Car si l'expatrié quitte son pays, l'immigrant entre dans un pays. Quand l'expatrié quitte un pays, c'est bien pour aller ailleurs, pour immigrer dans un autre pays. On aime dissocier ces deux notions, qui renvoient pourtant à une même réalité. On trouve encore de nombreux expatriés ayant des difficultés à se définir comme des immigrés. Tout comme on trouve de nombreux expatriés n'ayant aucun problème pour le faire, et fuyant plutôt « le monde des expats ».

Quand on s'expatrie, on part rarement sans bagages. Les valises sont aussi dans la tête et le cœur : on vient avec ses apprentissages, son expérience, son histoire, sa culture, son caractère, son identité. On vient rencontrer un pays qui a lui aussi une histoire, une culture, une identité. La rencontre se fait d'ailleurs avant l'expatriation. On apprend la langue du futur pays d'accueil, on se plonge dans son histoire et sa culture, on mange local, on se met à l'heure locale. Peut-on, à ce stade, parler d'un « bouleversement de notre identité » ?

L'identité française au gré des expatriations

Une fois sur place, les transformations continuent. Passée la lune de miel des premiers instants, c'est la réalité telle qu'elle est. C'est peut-être un métro-boulot-dodo à l'autre bout du monde, mais un métro-boulot-dodo quand même, et en même temps différent de celui qu'on connaissait. Pour s'intégrer, on est peut-être au début un peu plus « autre » et moins « soi », ou plutôt : on est dans la posture de l'apprenant. Au fond, c'est une pratique habituelle lorsqu'on intègre un nouveau milieu. On observe, on apprend, on s'adapte. C'est l'une des astuces d'une expatriation réussie.

Et si l'on vit plusieurs expatriations, c'est ce qu'on répète à chacune d'entre elles. Défaire sa valise pour la réorganiser, et avec nos affaires de départ, et avec celles trouvées dans le pays d'accueil ; et à chaque nouveau départ, on redéfait la valise pour la réorganiser, avec nos affaires françaises, celles de la première expatriation, de la deuxième, et ainsi de suite. Heureusement, ici, la valise est dans la tête et le cœur. Il y aura toujours de la place pour la rencontre avec une nouvelle culture. Et l'identité française, dans tout ça ?

L'identité française, l'identité d'une nation

Identité : « Ensemble des données de fait et de droit qui permettent d'individualiser quelqu'un ; exemple, chercher l'identité de quelqu'un »

« Caractère permanent et fondamental de quelqu'un, d'un groupe, qui fait son individualité, sa singularité ; exemple, identité nationale »

« Rapport que présentent entre eux deux ou plusieurs êtres ou choses qui ont une similitude parfaite ; exemple, identité de goûts » (Larousse.fr)

Tout comme les débats sur « être Français », les débats sur l'identité nationale ont agité les passions. Car la notion « identité nationale » clive. Qu'est-ce que l'identité française ? Qu'est-ce que l'identité d'une nation ? La définition est-elle la même pour tout le monde ? Quelle est mon identité dans l'identité française ? Où situer mon identité dans l'identité française ? C'est à toutes ces questions qui peuvent apparaître derrière le fait de s'interroger sur une dilution de l'identité française lorsqu'on s'expatrie.

On pourrait définir l'identité de la nation française comme la réunion d'une histoire commune et d'une volonté de construire ensemble. Nul besoin d'avoir été dans cette histoire depuis le début (c'est d'ailleurs impossible). Nul besoin non plus d'être en accord avec tous les faits passés et présents de la nation. On parle plutôt ici de s'inscrire dans une histoire qui a commencé avant nous et à laquelle on veut contribuer aujourd'hui, avec d'autres. Cette notion se retrouve aussi lorsqu'on s'expatrie. Car l'histoire continue toujours, ailleurs, et s'enrichit de ce qu'on a appris en France. Mais que dire de notre identité dans celle d'un autre pays ?

L'identité ou les identités de l'expatrié français

Rares sont les personnes à se définir à travers l'identité d'une nation. « Je suis une page de la nation France. » La formule est peut-être poétique, mais ne renseignera pas l'interlocuteur. En général, on se définit plutôt par nos traits de caractère, notre personnalité. Dans cette acception, l'identité change avec le temps, au fil des rencontres et expériences. L'erreur est de concevoir une identité figée. On n'est pas le même à 8, 16, 30 ou 57 ans. Étudier, entrer dans une entreprise, en changer, se faire des amis, voyager sont autant d'évènements durant lesquels on évoluera. De même, l'expatriation nous change. C'est même l'un de ses buts premiers. Le changement ne signifie néanmoins pas la perte des acquis, au contraire.

Face à l'administration du pays d'accueil, on décline notre identité par le nom, le prénom, la nationalité, etc. Lorsqu'un local nous demandera d'où nous venons, on répondra « de France », parce que c'est le cas. Après plusieurs voyages, on continuera à répondre que l'on vient de France, à moins que l'on ne cite les différents pays visités. D'autres se contenteront d'un rire. Pour eux, la question n'est pas complexe, elle est intéressante : ils peuvent se dire « citoyens du monde » et se sentent chez eux un peu partout.

Cela les fait-il se sentir moins Français ? Le risque des questions en « moins » et « plus » est d'obliger à émettre des classements, en oubliant d'autres possibilités. L'expatriation peut toucher notre identité française et la conserver, et l'enrichir, et la questionner, etc. On le voit, par exemple, lors des élections présidentielles. Nombre de Français installés à l'étranger se déplacent pour voter. L'histoire de la France les intéresse. Ces mêmes Français participent aussi à la vie de leur pays d'expatriation.

Et Français, et citoyen du monde

On peut se sentir, et Français et citoyen du pays d'accueil. On peut se sentir, et Français, et citoyen de tous les autres pays qu'on a visités. L'identité française ne se dilue donc pas dans l'expatriation. Elle reste là et cohabite avec l'autre ou les autres. Les identités se nourrissent entre elles et nous font grandir. C'est le « Je reste moi » et en même temps « je change ». Un changement nécessaire. L'histoire française est elle-même faite de « et ». En constant mouvement, elle continue de s'écrire.

Comment nous définissons-nous ? Comment définissons-nous notre France et nous positionnons-nous par rapport à elle ? Des immigrés de longue date au Japon peuvent se sentir plus Japonais que Français. Il ne faut d'ailleurs pas forcément une immigration longue pour se sentir comme un local. Chez certains, l'attachement au pays d'accueil est fort et intense dès les premiers temps d'expatriation. Ils peuvent se sentir plus Brésiliens ou Sud-Africains, plus Mexicains, Australiens et Belges, et aussi, toujours Français, voire, encore plus Français, et encore plus Marocains, Indiens ou Américains, et ainsi de suite.

Toutes ces identités se mélangent. L'expatriation bouleverse notre identité, car elle nous rend plus ouverts, plus humbles et tolérants. On est plus proche de l'autre, qu'on le connaisse ou non. On est davantage capable de se « recréer » à mesure de nos voyages. On crie parfois au stéréotype du citoyen du monde, mais le terme a une signification réelle. Le citoyen du monde est justement celui qui se sent chez lui dans le ou les pays qu'il visite. C'est peut-être ça, le plus important. Faire du pays étranger son « chez soi ».