Le pain français : une des choses qui manque le plus aux expatriés français

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Publié le 2022-09-06 à 14:00 par Asaël Häzaq
Mordus de pain, les Français ? Derrière le cliché du « Français et sa baguette », de réelles études et sondages qui montrent que, oui, le pain a une forte valeur culturelle. Mais difficile de retrouver la baguette française de ses souvenirs quand on part vivre à l'étranger. Qu'est-ce qui rend le pain français si spécial ? Pourquoi occupe-t-il une si grande place dans les cœurs (et les estomacs) ? Témoignages et astuces de la communauté Expat.com.

Expatriés en manque de pain français

Adia 2021 : « Quelles sont les meilleures boulangeries où trouver de vraies baguettes à Accra [Mali] ? » demande Adia. La question est capitale. Car des baguettes et des boulangeries, il y en a beaucoup. Mais peu passent le test de la « vraie baguette ».

Le problème est le même dans les autres pays. Oum Shayma, qui vit au Maroc, demande : « Je voudrais savoir s'il y avait une boulangerie sur Agadir où l'on peut trouver de bons pains comme en France, style pain de campagne et autres pains spéciaux. » Même interrogation pour Miloudy, qui habite à Kamsar, en Guinée : « Quelqu'un connaîtrait-il une bonne boulangerie vendant de bonnes baguettes et du pain de mie ? »

Parfois, on s'impatiente ou l'on s'exaspère. « J'en ai assez des ersatz en tous genres, s'agace Pourcenoux. Où trouve-t-on du bon et croustillant pain français, fait à la main (et pas de l'industriel congelé) dans la région de Tamarin et Rivière Noire ? [Ile Maurice] ». Jacques s'insurge lui aussi contre les pâles copies du pain français. « Quelqu'un aurait-il une adresse à Tana [Madagascar] où je pourrais trouver un vrai boulanger fabricant des baguettes mangeables, c'est-à-dire avec une vraie mie compacte, goûteuse, croûte croquante et un poids autre que la plume ? »

Dans les autres pays, ce n'est pas mieux. Au Japon et au Canada, les pains dits français sont trop mous. Au Congo-Brazzaville et en République démocratique du Congo, ils ont la consistance du papier.

Une histoire de pain

On dit souvent qu'entre les Français et le pain, c'est une histoire d'amour. C'est avec lui qu'on démarre la journée, qu'on ponctue le déjeuner et le dîner. C'est le pain sandwich, le pain au chocolat du goûter, la tartine qui accompagne la salade, la soupe ou le morceau de fromage (lui aussi indétrônable). Des générations entières ont vécu et vivent autour du pain. L'aliment s'est exporté dans le monde entier. Mais il n'est pas né en France. Il vient d'Égypte.

Il faut remonter à environ 3000 ans av. J.-C. pour trouver les premières traces du pain. Un accident, comme souvent en cuisine, fait se rencontrer du grain moulu avec les eaux du Nil, riches en limons. Les limons sont de fines particules entraînées par les eaux, qui se déposent sur le lit des fleuves. Ils rendent la terre très fertile. L'opération accidentelle produit donc la première forme de pain. Les Égyptiens travaillent et améliorent leur technique de cuisson. La boulangerie se développe peu à peu (les Grecs mettent aussi la main au fourneau), et va conquérir les tables d'autres pays.

Le pain en France

En France, on le consomme dès le Moyen ge. Il devient vite l'élément central du repas. Élément central, et sacré. Dans la religion chrétienne, le pain symbolise le corps du Christ. L'Église popularise le pain dans toute l'Europe. Les révoltes sociales en font un instrument politique. Car on ne mange pas le même pain selon sa classe sociale. Les riches ont le droit au froment, une céréale chère. Les pauvres ont du pain de seigle, bon marché (le fameux pain noir). La vie des plus pauvres est rythmée par les fluctuations du prix de pain. Quand il augmente, ce sont les forces vives de la France qui basculent dans la famine. Pas de pain, pas de travail, pas d'argent, pas de pain. En 1775, le prix du pain flambe, et le peuple crie son désespoir jusqu'aux portes du pouvoir. C'est la « guerre des farines ». Des émeutes éclatent un peu partout en France. Le pain cristallise l'opposition entre les classes dirigeantes et les classes populaires.

Aujourd'hui, le pain remplit toujours cette fonction de « baromètre social ». Dès que les prix augmentent, on compare les tarifs de la baguette. C'est un aliment de base de la cuisine française qui accompagne petits et grands. On comprend mieux son importance. Le baromètre social est un aussi un pan culturel. La France a inscrit sa célèbre baguette au patrimoine mondial de l'UNESCO. En attendant les résultats (prévus cet automne), que faire quand on ne trouve pas son pain à l'étranger ?

Faire son pain soi-même

Certains expatriés ont trouvé la parade : faire leur pain soi-même. C'est ce qu'a fait Yann Jean Louis, immigré à Madagascar. Il est même allé jusqu'à se construire un four. « Face à ce constat de désastre ordinaire pour la qualité du pain dans ce pays dédié au riz, je suis en train de me construire un four à pain […]. Mais ce qui se trouve aisément à La Réunion (quand on connaît comme moi les normes des types de farine) est extrêmement difficile à obtenir [...] ici. » Types de farines, levain… Pas toujours facile de retrouver les équivalences d'un pays à l'autre.

L'autre option, c'est de devenir soi-même boulanger. « J'ai enfin réalisé en avril 2019 un projet de « boulangerie artisanale » conçu depuis 2016, dans un village non électrifié situé à environ 60 km au sud de Diégo-Suarez [Madagascar] [...] » explique Chysostome. Une autre expatriée envisage de monter son affaire en Norvège. « J'ai une idée d'installer une boulangerie artisanale française en Norvège. Je voudrais savoir si les Norvégiens ont une bonne idée sur le pain français et s'il y a une communauté française en Norvège. »

Car on a tendance à l'oublier, mais le « pain français » n'est qu'une forme de pain parmi tant d'autres. L'Égypte a l'aesh baladi, l'Australie a le damper (un des plus vieux pains du monde), l'Inde a le puri, le Maroc a le msemen, le Brésil a le Pao de Queijo, l'Autriche a le bauernbot, le Maroc, la Turquie et l'Algérie ont le batbout, le Japon a le shoku-pan…

Le pain français, une affaire de palet

La question divise ceux qui habitent sur place et ceux qui vivent à l'étranger. Très cuit ou pas trop ? Croustillant ou pas ? Qu'est-ce qui caractérise le vrai pain français ? Pour les membres de la communauté Expat.com, le bon pain français a une croûte croustillante et une mie dense et moelleuse. Ce sont effectivement les caractéristiques du pain français (hors pain de mie et pains sans croûte, bien entendu). Mais retrouver ce croustillant et cette cuisson à l'étranger relève souvent du parcours du combattant. Il faut tomber sur une boulangerie artisanale qui maîtrise le pain à la française et sa technique de cuisson… ou faire une croix sur le bon vieux pain français.

D'où ces enquêtes et sondages qui présentent le pain comme l'un des aliments qui manque le plus aux Français qui partent vivre à l'étranger (avec le fromage). Derrière ce qui peut ressembler à un cliché, il y a bien une histoire, vieille de plusieurs siècles, et toujours aussi actuelle. Le pain, qu'il soit français ou d'une autre nationalité, a une dimension culturelle forte.

À chacun son pain

Que faire si l'on ne retrouve pas de pain français à l'étranger ? Si l'on n'arrive pas à refaire soi-même ce fameux pain croustillant ? S'il n'existe aucune boulangerie artisanale maîtrisant les techniques de cuisson du pain français ? On peut toujours attendre un prochain voyage en France pour faire le plein de baguettes, pains de campagne et pains régionaux. Mais au quotidien, on peut surtout en profiter pour découvrir les aliments emblématiques de son pays d'accueil. Ce sera un pain différent, chargé, lui aussi, de sa culture. Ce ne sera peut-être pas du pain. Ce sera l'occasion de vivre encore un peu plus au rythme local.