Expatriés transgenres à travers le monde : entre droits et défis

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Publié le 2024-04-26 à 10:00
Les lois relatives aux droits des personnes LGBTQ+ et à l'acceptation sociale de la diversité sexuelle et de genre varient considérablement d'un pays à l'autre, ce qui peut constituer un obstacle majeur pour les expatriés homosexuels désireux de s'installer à l'étranger. Pour les expatriés transgenres en particulier, les restrictions concernant la reconnaissance de la modification de genre sur les documents officiels (y compris le passeport) et l'accès à des soins de santé affirmatifs peuvent rendre l'expatriation particulièrement complexe. Le risque de discrimination transphobe voire de violence peut également dissuader ces personnes de concrétiser leurs projets.

Seule une minorité de pays reconnaît une pleine égalité juridique aux personnes transgenres

En 2024, un nombre encore restreint de 68 pays dans le monde autorisent les personnes à changer officiellement de genre sur leurs documents d'identité, tels que l'acte de naissance, le passeport, le permis de conduire, l'acte de mariage (le cas échéant), les diplômes, les certificats d'adhésion à des organisations professionnelles, le dossier personnel au travail, le dossier médical, le dossier fiscal et d'assurance, etc. Ces données proviennent d'EqualDEX, une ressource en ligne de référence pour les droits des personnes LGBTQ+ à travers le monde.

La reconnaissance officielle du changement de genre peut influencer de nombreux aspects pratiques de la vie des personnes transgenres. Cela concerne notamment leur capacité à se marier et à adopter des enfants avec un partenaire du sexe opposé, ainsi que leur accès à des services, des soins et des opportunités spécifiques à leur genre. La reconnaissance officielle peut leur permettre, par exemple, de postuler à des bourses d'études destinées aux femmes ou de rester dans le service adéquat à l'hôpital.

Parmi ces 68 pays, la moitié conditionne la reconnaissance officielle du changement de genre à des restrictions, telles que l'exigence d'un diagnostic médical formel et/ou d'une intervention chirurgicale. L'accès à ces procédures peut s'avérer complexe sur le plan administratif et onéreux, constituant un obstacle majeur pour de nombreuses personnes transgenres en situation de précarité. C'est notamment le cas des personnes transgenres issues de milieux socio-économiques défavorisés ou des expatriés transgenres récemment installés qui ont déjà dépensé une grande partie de leurs économies pour déménager et ne peuvent assumer une autre dépense importante dans un avenir proche.

Voici la liste des 34 pays qui ne conditionnent pas la reconnaissance du changement de genre à un diagnostic médical ou à une intervention chirurgicale : Canada, Mexique, Costa Rica, Colombie, Équateur, Brésil, Bolivie, Chili, Argentine, Uruguay, Mozambique, Botswana, Bangladesh, Pakistan, Islande, Norvège, Finlande, Estonie, Croatie, Danemark, Irlande, Belgique, Luxembourg, Suisse, France, Espagne, Portugal, Malte, Grèce, Israël, Taïwan.

À noter que certains pays de la liste ci-dessus ont une définition de l'identité transgenre qui leur est propre et qui peut différer de la compréhension occidentale. Au Bangladesh, par exemple, la catégorie de « hijra », reconnue légalement comme troisième genre depuis 2013, englobe les personnes qui ne s'identifient ni comme hommes ni comme femmes. Cette définition spécifique à l'Asie du Sud peut ne pas correspondre à l'identité d'une personne transgenre expatriée, ce qui soulève des questions quant à la protection juridique dont elle bénéficierait en tant que « hijra ».

Les pays suivants exigent un diagnostic médical pour pouvoir changer légalement de sexe : Afrique du Sud, Pérou, Royaume-Uni, Suède, Lituanie, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Biélorussie, Pologne, Slovénie, Serbie, Italie. Les pays suivants exigent une intervention chirurgicale pour changer de sexe : Panama, Cuba, Indonésie, Viêt Nam, Laos, Japon, Chine, Inde, Mongolie, Iran, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizstan, Turquie, Tunisie, Égypte, Jordanie, Syrie, Liban, Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie, Roumanie, Moldavie, Macédoine du Nord, Kosovo, Monténégro, Bosnie-et-Herzégovine, République tchèque, Lettonie.

Les États-Unis et l'Australie se distinguent par la disparité des lois relatives aux personnes transgenres au sein de leurs États ou territoires. Si les États côtiers les plus progressistes des États-Unis, comme la Californie, New York et le Massachusetts, offrent un environnement relativement favorable et des protections juridiques aux personnes transgenres, la situation est bien différente dans la majorité des États du Sud et du Midwest. Ces régions ont en effet adopté des lois discriminatoires visant les personnes transgenres au cours des dernières années. Pour les expatriés transgenres envisageant de s'installer aux États-Unis pour un nouveau travail, le choix de l'État devient crucial. Il est essentiel de privilégier les États plus inclusifs comme ceux mentionnés ci-dessus, plutôt que des États comme le Texas, la Caroline du Nord ou le Wisconsin, où les droits des personnes transgenres sont menacés.

Si l'Australie offre une protection fédérale contre la discrimination et la violence envers les personnes transgenres, la situation concernant la reconnaissance de l'identité de genre varie selon les territoires. En effet, cinq territoires, à savoir Victoria, Queensland, Territoire du Nord, Australie-Méridionale et Tasmanie, n'exigent ni diagnostic psychiatrique ni intervention chirurgicale pour modifier légalement le sexe. En revanche, en Nouvelle-Galles du Sud, une intervention chirurgicale est nécessaire, tandis qu'en Australie-Occidentale, un diagnostic médical est requis.

Les destinations à risque pour les expatriés transgenres

Dans certains pays, la reconnaissance juridique du changement de sexe n'est pas seulement inexistante, mais les personnes transgenres sont également criminalisées en vertu de lois contre le « travestissement ». Parmi ces pays figurent : le Brunéi, la Gambie, l'Indonésie, la Jordanie, le Koweït, le Liban, le Malawi, la Malaisie, le Nigeria, Oman, le Sud-Soudan, les Tonga et les Émirats arabes unis.

Si les Émirats arabes unis, le Koweït, Oman, la Malaisie et l'Indonésie attirent des expatriés pour des raisons variées, comme le coût de la vie abordable en Malaisie ou l'absence d'impôt sur le revenu et les technologies de pointe aux Émirats arabes unis, il faut souligner que ces pays peuvent représenter un danger pour les expatriés LGBTQ+, en particulier les personnes transgenres.

Aux Émirats arabes unis, les femmes transgenres sont particulièrement vulnérables en raison des lois sur le « travestissement » qui criminalisent les personnes perçues comme « biologiquement masculines » et s'habillant de manière féminine.

Des témoignages font état de voyageurs transgenres détenus pendant des heures à l'aéroport de Dubaï, soumis à des interrogatoires sur leur vie sexuelle par des agents d'immigration, et même expulsés du pays. Un mannequin trans thaïlandais, officiellement invité à l'Exposition universelle de 2020 à Dubaï, a été victime de cette situation, comme le rapporte Vice News. De même, Climate Home News relate que des militants trans et non binaires ont choisi de ne pas participer à la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP28) de 2023 à Dubaï par crainte d'être expulsés.

Le Rainbow Network de l'université de Birmingham propose des conseils de voyage aux Émirats arabes unis à l'intention des touristes et des expatriés transgenres. Ces conseils sont également pertinents pour d'autres destinations où la sécurité des expatriés transgenres est préoccupante. En premier lieu, le réseau déconseille aux personnes transgenres ayant déjà effectué leur transition dans leur pays d'origine de se rendre ou de s'installer dans ces pays si elles ne correspondent pas physiquement au sexe indiqué sur leur passeport, à moins d'être totalement cisgenres. Il est également recommandé d'être prudent en matière de services de santé susceptibles de divulguer leur identité transgenre aux autorités. Il est conseillé, par exemple, de consulter un médecin privé expatrié dans le pays plutôt que de se rendre dans un hôpital public. De plus, il est possible de se tourner vers des pays voisins offrant une plus grande tolérance pour certains types de soins de santé.

Bien sûr, il est également conseillé de ne pas afficher ouvertement son soutien aux droits des personnes LGBTQ+. Cela implique de ne pas arborer de logos LGBTQ+ sur les vêtements, de ne pas porter de pin's, de porte-clés ou de lanières aux couleurs LGBTQ+, de ne pas inclure de pronoms dans les signatures d'e-mails et de ne pas partager de contenus sur les droits des personnes transgenres sur les réseaux sociaux pendant la durée de leur séjour dans le pays.

Il est recommandé de rendre ses profils et sa présence sur les médias sociaux aussi privés que possible pendant cette période. Le réseau recommande également aux expatriés transgenres qui entretiennent une relation homosexuelle de ne pas désigner leur partenaire comme leur « proche parent » lorsqu'ils font appel aux services d'urgence. Il est préférable de fournir le nom d'un membre de la famille hétérosexuel et cisgenre, tel qu'un parent, un frère ou une sœur. Bien sûr, il est stressant de devoir constamment surveiller ses actions, et malgré toutes les précautions prises, il reste toujours un risque d'être détenu, arrêté ou expulsé.

Dans d'autres régions du monde, même avec des protections légales en place, la réalité quotidienne peut être marquée par la discrimination et la violence. En Amérique latine, par exemple, les personnes transgenres font face à un niveau élevé de violence et d'homicides malgré l'existence de lois strictes. Au Brésil, où le changement de sexe est entièrement légal, le taux de meurtres de personnes transgenres est le plus élevé au monde. Selon le rapport de suivi des meurtres de personnes transgenres du réseau Transgender Europe (TGEU), plus de 4 500 meurtres de personnes transgenres ont été recensés au Brésil entre 2008 et 2023, dont 100 rien qu'en 2023.

Les pays les plus exposés au risque de meurtre pour les personnes transgenres sont, du plus élevé au moins élevé, le Brésil, le Mexique, la Colombie, les États-Unis et le Royaume-Uni : Brésil, Mexique, Colombie, États-Unis, Inde, Pakistan, Venezuela, Argentine, Philippines, Équateur, Pérou.

Idéalement, les destinations les plus accueillantes pour les expatriés transgenres sont celles qui allient des lois strictes à un faible taux de violence. C'est dans cette optique que le site spécialisé dans le journalisme de voyage Asher & Lyric, dédié à la sécurité en voyage, a établi une liste des pays les plus sûrs pour les touristes et les expatriés transgenres. Leur classement prend en compte à la fois la protection juridique théorique et les réalités de discriminations et de violences vécues sur le terrain. En tête de ce classement en 2023, on retrouve Malte, le Portugal, le Canada, la Suède, l'Italie et le Royaume-Uni. Ces pays, de par leurs législations et leurs engagements en faveur de l'égalité, offrent un environnement plus sécuritaire pour les expatriés transgenres. Il est intéressant de noter que certains de ces pays ont connu une augmentation significative du nombre d'expatriés ces dernières années. Malte, par exemple, attire particulièrement les expatriés œuvrant dans le secteur des services financiers. Dans la même veine, le Canada a pour objectif d'accueillir 500 000 nouveaux expatriés qualifiés d'ici 2025 et 2026, ce qui démontre son engagement en faveur de la diversité et de l'inclusion.

Dans certains cas, le rapport entre la loi et la réalité peut être inversé : une destination peut s'avérer relativement sûre pour les expatriés transgenres malgré l'absence de reconnaissance légale formelle. La Thaïlande en est un exemple illustratif. Comme le souligne l'ONG Stonewall UK, bien que le changement de sexe ne soit pas encore officiellement reconnu sur les documents d'identité en Thaïlande, le pays abrite une communauté transgenre florissante, notamment les « ladyboys », jeunes femmes transgenres. De nombreux expatriés se rendent en Thaïlande pour y bénéficier de chirurgies d'affirmation de genre à des prix abordables dans des cliniques privées. Cependant, malgré cette tolérance informelle, la discrimination transphobe perdure dans des contextes formels tels que les lieux de travail en col blanc.

Comment les expatriés transgenres ont-ils surmonté les diverses restrictions qui se sont présentées à eux ?

Comment les expatriés transgenres ont-ils géré les restrictions et les risques liés à leur identité de genre lorsqu'ils vivaient à l'étranger, et quels conseils pratiques ont-ils reçus de leurs alliés, basés sur leurs observations de la vie dans d'autres pays ?

Heureusement, toute expatriation ne rime pas nécessairement avec risque. En effet, de nombreux expatriés transgenres ayant délibérément choisi des destinations plus sûres se retrouvent parfois dans des environnements où ils n'ont pas à constamment se préoccuper de leur protection. C'est le cas d'un expatrié américain en provenance d'un État républicain aux lois transphobes qui a décidé de s'installer en Suède, en partie motivé par la présence d'un enfant transgenre.

Sur le forum d'Expat.com, un expatrié vivant en Indonésie explique que bien que le pays pénalise les identités transgenres, les touristes et les expatriés bénéficient souvent d'un certain privilège qui les rend moins susceptibles d'être confrontés à autant de discrimination ou de violence que les personnes transgenres locales. Un expatrié transgenre ayant déjà effectué une transition légale dans son pays d'origine se trouve toujours dans une situation plus sûre qu'un Indonésien transgenre. Il conseille toutefois de faire preuve de prudence quant à l'affichage de son identité, notamment en évitant d'organiser des événements LGBTQ+.

Sur le forum Chine d'Expat.com, une enseignante galloise a questionné l'impact de son identité transgenre sur ses chances de trouver un emploi en Chine. Des citoyens chinois et des expatriés résidant en Chine lui ont prodigué des conseils concernant les lacunes administratives et la recherche d'un environnement de travail inclusif. En l'absence d'une option « non-binaire » sur les formulaires destinés aux travailleurs expatriés, il lui a été suggéré de cocher les cases « homme » et « femme », en y ajoutant une note explicative précisant son identité transgenre. Les expatriés transgenres peuvent exploiter ce type de failles administratives lorsque les documents officiels d'un pays étranger ne reconnaissent pas la diversité des genres.

Il lui a également été suggéré d'être honnête avec son futur employeur, qui sera probablement un directeur d'école ou un responsable d'établissement, au lieu de dissimuler son identité. Elle a reçu des encouragements, car dans de nombreuses régions de Chine, les gens sont ouverts à la diversité des identités sexuelles et il est peu probable qu'elle soit victime de discrimination. Toutefois, on lui a conseillé de privilégier l'enseignement aux adolescents ou aux adultes plutôt qu'aux jeunes enfants, car certains parents peuvent encore avoir des appréhensions transphobes injustifiées à l'égard des personnes non conformes au genre qui enseignent à leurs enfants.

Certains des défis auxquels font face les expatriés transgenres ne relèvent pas directement de la discrimination, mais plutôt de la difficulté à trouver une communauté LGBTQ+ dans laquelle ils se sentent à l'aise. Dans une interview accordée à Expat Magazine, un jeune expatrié indien transgenre venu étudier au Royaume-Uni a évoqué les difficultés rencontrées au départ pour s'intégrer à la communauté transgenre de Londres. Il a expliqué que la culture et les codes spécifiques de cette communauté, avec son argot et ses références propres, différaient de ceux des communautés LGBTQ+ en Inde. D'après lui, le fait de déménager avec son partenaire lui a permis de se sentir moins seul face aux difficultés d'intégration.

Liens utiles :

Asher & Lyric, “203 Best (& Worst) Countries for Trans Rights in 2023”

Climate Home News, “Fearing repression in Dubai, non-binary people stay away from Cop28”

Article du Dhaka Tribune sur les lois relatives aux transgenres au Bangladesh (auteur : Ishtiaque Ahmed Khan)

Interview par Expat Magazine d'un expatrié indien transgenre au Royaume-Uni

Equaldex, “Right to change legal gender”

Movement Advancement Project, “Mapping Transgender Equality in the United States”

TGEU's Trans Monitoring Report (map)

Them, “Report: It's Still Illegal to Be Transgender in These 14 Countries” (author: Serena Sonoma)

University of Birmingham Rainbow Network, “Top Tips for Travelling to Dubai”

Vice News, “Trans Model Says She Was Deported at Dubai Border Because of Her Male Passport” (author: Koh Ewe)