Super année électorale 2024 : qu'attendent les expatriés ?

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Publié le 2024-02-26 à 14:00 par Asaël Häzaq
Le marathon de la super année électorale a commencé. Taïwan, la Finlande, les Comores, l'Indonésie et 7 autres pays ont déjà eu leurs élections. Restent plus de 50 autres États, et des élections presque chaque mois de l'année. Le Portugal en mars, la Corée du Sud en avril, l'Afrique du Sud en mai, l'Union européenne en juin… et, sans doute, l'élection la plus scrutée dans le monde : la présidentielle américaine.

Quand le monde est appelé aux urnes

Le monde, ou presque : 76 pays organisent des élections cette année. 4,1 milliards d'électeurs sont invités aux urnes. C'est 51 % de la population mondiale. 51 % moins les électeurs sénégalais... pour l'instant. L'élection présidentielle du Sénégal aurait dû avoir lieu le 25 février. Mais le 3 février, le président Macky Sall décide de la reporter au 15 décembre. Le président invoque un « différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel » pour motiver sa décision. Celui que l'on citait en exemple pour son refus de briguer un 3e mandat plonge son pays dans le chaos. On dénombre au moins 3 morts dans les manifestations qui ébranlent le pays depuis l'allocution présidentielle. C'est justement ce que craignent les expatriés, pris au cœur du conflit politique.

Nouveau coup de tonnerre le 15 février : le Conseil constitutionnel désavoue son président. Impossible pour lui de rester en exercice jusqu'en décembre alors que son mandat se termine le 2 avril. La population jubile. Les élections se tiendront-elles finalement le 25 février ? Trop tard pour les organiser, répond le Conseil constitutionnel. Il presse les autorités compétentes d'arrêter une date « dans les meilleurs délais » avant le 2 avril. Les expatriés suivent avec attention les rebondissements de l'affaire.

Tour du monde électoral en 2024 et expatriation

L'« affaire du Sénégal » s'observe-t-elle dans d'autres pays ? Aux États-Unis, au Portugal, en Corée du Sud ou dans les États membres de l'Union européenne (UE), on assiste à d'autres bras de fer, et autant d'interrogations pour les candidats à l'expatriation. Est-ce le bon moment pour partir ? Le choc Biden/Trump donne déjà des sueurs froides à certains. Certains ne supportent pas la campagne de désinformation dopée par l'IA, qui transforme les débats politiques en « simulacres de démocratie ».

D'autres se réjouissent de « participer à un évènement national ». Les expats de l'UE sont tout aussi partagés. Verra-t-on la barre pencher un peu plus à droite ? Mais tous confirment que le monde continue et continuera de tourner. Reste à savoir dans quel sens.

« Des élections ? Quelles élections ? »

« Moi, ce qui m'ennuie vraiment, ce sont les grèves en France. Je comprends qu'il ne faut pas encourager les clichés, mais franchement… Les trains, les profs, les médecins, la tour Eiffel... Je n'ose même pas parler des agriculteurs... » soupire un expat qui refuse de donner son nom. « Appelez-moi « le cadre australien » ». Effectivement, l'homme, la quarantaine, en couple, sans enfant, est cadre dans le secteur bancaire. Il ne s'en vante pas : « c'est mon statut au travail, c'est tout ». Immigré en France depuis plus de 5 ans, il n'est pas vraiment intéressé par les élections européennes à venir. « Des élections ? Quelles élections ? Ah, oui, les européennes, soit. » Le cadre se soucie davantage du chamboulement de son train de vie depuis que « l'Île-de-France est devenue un chantier, et ça a commencé bien avant les JO. »

Le cadre australien voudrait que Paris en fasse plus pour les personnes en situation de handicap, notamment dans les transports. « Vous avez déjà pris les transports à Paris ? Pas d'ascenseur, des couloirs bas, des infrastructures peu praticables… Vous croyez qu'ils vont en parler pendant les européennes ? Non ! Ils vont parler d'immigration, encore l'immigration. Je ne sais pas ce qu'ils ont avec ça alors qu'ils nous appellent pour venir travailler. On vient, et ils ne sont toujours pas contents. Enfin, je dis « on », mais je sais que je suis un privilégié. Ce n'est pas à moi qu'on pense quand on dit « immigré », et ça m'énerve. Ça m'énerve, mais j'en profite. Vous voyez ? C'est ça, la politique. Que des contradictions et aucune solution. Donc, non et non, les européennes ne changent rien à mon quotidien. »

« Je voterai par devoir »

Résidente en Espagne, Marlène, d'origine belge, n'est pas non plus emballée par les européennes. Elle a tout de même noté le rendez-vous : du 6 au 9 juin. « Je voterai par devoir. Il faut se battre pour garder nos démocraties. » Arrivée l'an dernier à Madrid pour travailler dans l'informatique, Marlène songe à déménager. « Madrid a tous les problèmes des capitales, et je fais peut-être partie de ses problèmes. Dans mon quartier, j'ai parfois l'impression de ne pas être la bienvenue. Je ne suis pas comme ces expats riches qui font monter les prix des logements, mais je comprends que pour les habitants, c'est ce que je suis. » Avant, Marlène a travaillé aux États-Unis, au Canada et en Nouvelle-Zélande. Cette grande voyageuse pense avoir trouvé son « chez soi » en Espagne, « dans une autre ville alors, une ville plus petite, je suis en train de chercher... ».

Lorsqu'on lui demande si les élections européennes changent son quotidien, elle hausse les épaules. « Ce qui change, c'est le climat, et ce n'est pas une bonne chose. J'ai arrêté de voyager partout. Il faut savoir se poser. On manque déjà d'eau. Mais les députés européens ne parlent pas de ça. Ou alors, je ne les entends pas. Je ne suis pas leurs débats, de toute façon. Non, mon quotidien ne change pas. Vous savez, on a autre chose à faire que de s'enflammer pour la politique. Les factures à payer, le travail… Mon mari vient de perdre son emploi et fait une dépression. J'ai vraiment mieux à faire que de m'occuper des élections. Heureusement que nos enfants sont là pour nous faire sourire. Les politiques aiment plutôt nous taper sur les nerfs. Mais bon, j'irai voter. Ça, c'est sûr. »

« Je prends conscience de participer à un évènement national »

Étudiante française expatriée en Corée du Sud, Laura décrypte la presse coréenne. « C'est un bon entraînement. » Arrivée à Séoul l'an dernier, Laura parle déjà bien coréen. C'est lors d'un premier voyage au Japon que l'étudiante découvre une autre manière de vivre la politique. « Tous les matins, j'étais réveillée par les mégaphones qui scandaient les discours politiques. À l'époque, je maîtrisais trop mal le japonais pour comprendre. Dans la rue, je voyais des camionnettes, avec le candidat et ses partisans, qui scandaient des messages. Ils s'arrêtaient devant les stations de métro pour distribuer des tracts. Je me demande si ce sera pareil en Corée du Sud. »

Les législatives sud-coréennes auront lieu le 10 avril. Conservateurs et démocrates se livrent une nouvelle guerre judiciaire sans merci, au grand désespoir des électeurs. Déçus du président élu de justesse Yoon Suk-Yeol, conservateur ouvertement antiféministe, déçus du chef des démocrates Lee Jae-myung, de nombreux Coréens disent se désintéresser de la politique. « Mais je prends conscience de participer à un évènement national », soutient Laura. Elle comprend cependant les électeurs coréens. « Avec mes amis, on ne parle pas de politique. Moi, je trouve que c'est intéressant de voir comment font les autres pays. Et puis, je vais voter pour les élections européennes depuis Séoul. C'est la première fois que je voterai depuis l'étranger. Il faut voter. Sinon, ça sera pire. En 2022, Yoon Suk-Yeol a beaucoup utilisé les deepfakes [fausses vidéos, faux audio créés avec l'IA] pour se rendre cool auprès des jeunes. Franchement ! Cette année, c'est interdit. » En effet, la commission électorale sud-coréenne a interdit l'utilisation de contenus généres par l'IA pour soutenir ou dénigrer un candidat. Mais ils restent autorisés si elles exposent de manière neutre l'actualité d'un parti politique.

« Il faut espérer des élections sans trop de débordements »

Arrivé il y a plus de 15 ans à Boston, Jo est tendu. Son amie Lana le rassure comme elle peut. Ils travaillent tous les deux dans l'univers du jeu vidéo. Jo vient d'Allemagne, Lana, de Slovaquie. Ils disent voir « le vent tourne tous les jours », non seulement à New York, mais dans tous les États-Unis. « Bien sûr, au quotidien, on ne sursaute pas. On n'y pense pas tous les jours. Mais il y aura ce moment où quelqu'un surgit devant chez toi avec ses tracts, ou alors au coin de la rue. Il y a surtout cette tension. C'est très polarisé, ici. Tout peut vite dégénérer. » Pour Lana, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. « Beaucoup d'étrangers font leur vie sans trop de soucis. Bon, nous, on est tranquilles. On a la Green Card. Mais je comprends que les autres qui galèrent avec les visas sont très stressés. Si Trump passe, il se passera quoi ? »

« Il faut espérer des élections sans trop de débordements », lâche Jo sans trop y croire. « C'est vraiment le climat qui m'inquiète. C'est super violent les campagnes électorales, ici. Déjà qu'au quotidien, la vie est stressante. Et je ne vous parle même pas de l'IA qui complique tout. Comme si on n'avait déjà pas assez de problèmes à savoir qui dit vrai, qui ment… Je ne sais pas comment ça va finir, cette histoire. » Lana tempère. « Ça va aller. On va s'en sortir. Je pense qu'on est capable du pire comme du meilleur. Et j'espère que c'est le meilleur qui va sortir. »

« C'est quand même super important, non ? »

Mathéo aussi espère, mais il est moins optimiste. Le jeune comptable a quitté la France l'an dernier pour vivre son rêve au Portugal. Il a auparavant lu la grogne des habitants contre les expatriés, qu'ils jugent responsables de la flambée des prix. S'il ne ressent aucune hostilité au quotidien, il sent tout de même un certain malaise. « J'habite à Porto. J'étais dans un petit quartier tranquille un jour, et on dirait que tout le monde me regardait étrangement. Je suis peut-être parano. En tout cas, je ne me sens pas du tout comme un expat, ou les trucs qu'on dit sur les expats. Je ne suis pas riche du tout ! Je vis dans un petit truc de rien du tout. Je fais partie de ceux qui comptent leurs sous. » Mathéo essaie de suivre l'actualité locale ; les élections législatives auront lieu le 10 mars. Le jeune étranger ira voter aux élections européennes, même s'il se demande quels problèmes seront vraiment abordés. « Je n'ai pas l'impression que ça intéresse grand monde, ici. Comme si l'UE, c'était trop grand ou trop loin. Mais y'a plein de trucs qu'on gagne. Par exemple, la liberté de circulation pour les Européens, c'est quand même super important, non ? »

L'année 2024 restera dans les annales. D'aucuns parlent déjà d'un « défi pour la démocratie », inquiétude à peine voilée face à la montée en flèche des idées tensions politiques et de la désinformation, propulsée par l'IA. Le rapport de The Economist Intelligence Unit (EIU) publié le 15 février 2024 est sans appel : la démocratie recule dans le monde. Son indice passe de 5,29 sur 10 en 2022 à 5,23 sur 10 en 2023. Le recul peut sembler léger, mais il interpelle. Les États-Unis sont qualifiés de « démocratie défaillante ». Le Canada subit également un déclin. La guerre ébranle l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient. Reste à savoir pour quel monde les électeurs voteront.