Evelyne: « Yosemite m'a envoûtée »

Interviews d'expatriés
Publié le 2013-10-10 à 02:00 par Expat.com team
Evelyne a quitté la France pour les États-Unis en 1990. Elle a vécu avec sa famille à San Francisco, Boston puis s'est finalement installée à Yosemite, dans la Sierra Nevada. Elle profite de la nature et s'adonne à sa passion : l'écriture ; elle vient notamment d'écrire un livre racontant sa transformation d'exilée à citoyenne américaine...

Pourquoi as-tu choisi de vivre aux États-Unis?

Je suis française, normande par naissance et parisienne par adoption. J'ai quitté Paris fin 1990 avec mon mari et notre bébé de quelques mois pour la Silicon Valley. C'était un rêve de mon mari. Il ne m'a pas prise par surprise car il m'avait dit dès notre rencontre qu'il aimerait un jour vivre aux US. Je ne savais pas, et lui non plus, que nous resterions et y ferions notre vie.
Nous avons vécu sur Boston pendant cinq ans avant de revenir dans la baie de San Francisco en 2000. Tous ces déménagements étaient professionnels (liés au travail de mon mari). Après deux années dans la baie de San Francisco, le choc du 11 septembre suivi d'un ralentissement dans le high-tech, ma famille a opté pour un changement radical de style de vie, et nous avons emménagé les collines de la Sierra Nevada, à 45 minutes au sud de Yosemite. Il faut préciser qu'après le bébé parisien, trois petits américains avaient rejoint la famille. Nous avions envie de plus d'espace, de nature, d'un coût de la vie moins cher pour pouvoir voyager en France mais aussi aux USA.

Comment s'est passée ton installation?

Mon emménagement dans la Silicon Valley s'est bien passé. Mon mari avait trouvé une petite maison à louer avant notre départ. Nous avons expédié quelques malles avec nos livres, CD et vêtements, et elles sont arrivées plusieurs semaines après notre arrivée. On a un peu campé au début, mais nous étions jeunes et rien ne nous aurait démoralisés.
J'ai rapidement appris à conduire ce que je ne faisais pas à Paris. C'est mon mari qui m'a appris sur les routes de campagne et dans la baie de San Francisco, et c'est pourquoi je conduis presque comme une parisienne. Nos draps français étaient trop petits pour le Queen bed américain, le café n'était pas très bon, il n'y avait pas de Petits Suisses, et le French bread n'avait de français que le nom.
Je garde de ces premières semaines américaines des mémoires pleines d'appréhension pour notre avenir, de fatigue à toujours essayer de me faire comprendre et de comprendre, mais aussi de vrai bonheur lié à la découverte de la Californie et de la vie aux US. Tout était aussi nouveau que chaque jour l'est à un enfant.

As-tu eu des difficultés d'adaptation (barrière de la langue, coutumes)?

Naïvement je pensais avoir suffisamment de connaissances en anglais pour me faire comprendre et comprendre les Américains. Grave erreur! En réalité les années d'anglais au collège et au lycée - j'avais toujours 20/20 pourtant - se sont avérées très vite insuffisantes. Je ne sais toujours pas d'ailleurs pourquoi j'ai choisi de continuer l'allemand à l'université!
Cela étant, j'avais plus de mal à comprendre les autres que je n'avais de mal à m'exprimer. Je me débrouillais pour lire. J'ai immédiatement désiré parler couramment et j'ai lu tout ce qui me tombait sous la main avec mon Larousse sous le coude. Les progrès sont rapides si on travaille un minimum. J'aurais aimé parler comme une américaine mais j'ai vite compris que je garderais mon accent français. Coup de chance, les américains sont très friands des accents. Surtout du français.
Les Californiens au début des années 90 n'avaient pas encore vu beaucoup de Français dans la baie de San Francisco. Mon bébé, adorable dans ses petits vêtements Made in France, et moi, avec mes cheveux courts et mes petites robes pas beaucoup plus longues, on ne passait pas inaperçus. Ce qui me surprenait et me faisait même un peu paniquer c'était les "Hi, how are you?" que les gens me lançaient à chacun de mes pas dans la rue. Après Paris, c'était un choc de rencontrer autant de gens polis et souriants. Un peu trop parfois mais je me suis vite habituée. Louer un appart' ou une maison m'est apparu difficile à cause de cette différence fondamentale entre la France et les USA: le loyer mois par mois! En fait, très vite j'ai réalisé que j'avais vécu jusqu'alors avec un filet au-dessus de la tête et sous les pieds mais que dorénavant j'étais responsable à 100% de mon sort.
Comme nous sommes arrivés juste avant les fêtes de fin d'année, je suis tombée sous le charme des célébrations à l'américaine. Les décorations rivalisaient en taille et style. Les bon-nets rouges avec de la fausse fourrure blanche et des clochettes. Les sweatshirts avec des rennes et des bijoux en forme de « candy cane » - bonbons la plupart du temps à la menthe et en forme de petite cane. Tout était kitch et me donnait un avant-goût des Américains qui n'ont pas peur du ridicule et ne se prennent pas au sérieux. Les caissiers qui me demandaient si j'avais trouvé ce que je voulais c'était déjà surprenant, mais ne pas avoir à emballer ses courses alors là j'étais sidérée. Au point d'offrir un pourboire qui a été refusé avec sourire et toutes sortes de mots que je ne comprenais pas mais que je devinais très polis.
Je devais vraiment avoir l'air d'une immigrée quand je suis arrivée. Des gaffes j'en ai fait. Mais je ne les qualifierais pas de difficultés car les Américains que je croisais étaient tous curieux par rapport à la France et complimentaient mon anglais. Parfois j'aurais aimé une bonne copine pour rire de tout cela, et il m'a fallu un peu plus de temps pour m'en faire. Le monde est plus semblable maintenant, mais en 1990 les contrastes entre ma France aux pieds un peu froids mais élégante et raffinée et les USA courant de l'avant en gros sabots sans se soucier du qu'en-dira-t-on étaient saisissants.

Qu'est-ce qui t'a le plus surpris à Yosemite?

Disons que je suis contente d'avoir commencé ma vie aux US dans la baie de San Francisco, d'avoir ensuite passé cinq ans près de Boston et puis deux de nouveau sur San Francisco avant d'emménager dans les collines de la Sierra Nevada. Le choc culturel et géographique aurait été trop grand.
La nature et l'espace nous ont convaincus de quitter la baie qui devenait très peuplée. Avec quatre enfants nous voulions un cadre de vie moins urbain et moins banlieue. Ma fille aînée souhaitait monter à cheval et nous avons pu réaliser son rêve. Les deux petits voulaient chien et chat. Ils les ont eus aussi. Et en prime on a eu les cerfs, les biches, les faons, les coyotes, les renards, des oiseaux à ne plus savoir comment les appeler, les lions des montagnes, les tarentules, et j'en oublie. Une grande leçon de botanique aussi. Les fleurs sauvages ne font pas des bouquets qui durent, contrairement à ce que mes filles espéraient, et on a appris à les admirer pendant le printemps qui parfois est très court. La nature aux portes de Yosemite est encore très sauvage et cela devient rare.
Mais les gens qui vivent là sont moins spontanément ouverts que dans la baie, plus protecteurs de leur vie privée, et il m'a fallu gagner leur confiance. Quand cela a été fait - grâce aux enfants et l'école - j'ai pu faire de super randonnées en montagne avec des locaux. Certains sont devenus des amis. Et Yosemite m'a envoûtée.
Ce qui est difficile pour la normande/parisienne que je suis encore malgré tout sont les étés longs et chauds. Dès le mois de juin et jusqu'à la fin octobre - Halloween marque souvent le changement - il peut faire de 25 à 40 degrés Celsius. L'aridité est telle que la seule couleur qui reste est le brun qu'une de mes amies insiste à appeler 'doré'. Elle est californienne de naissance alors un peu partiale. Le vert me manque beaucoup, mais dès que les premières pluies arrivent, la nature reverdit comme si une baguette magique l'avait touchée. Et je revis aussi!

Les Américains sont-ils accueillants? Ayant vécu dans plusieurs régions du pays, est-ce qu'il y a des différences suivants les États?

Je dirais que plus qu'accueillants les Américains sont curieux des autres. C'est assez paradoxal car ils sont aussi de fervents individualistes. Mais ils aiment savoir d'où les gens qu'ils rencontrent viennent et aiment aussi partager leurs origines. Les Américains se définissent beaucoup par rapport au pays d'origine de leurs ancêtres. Parfois leur intérêt pour mes origines m'agace un peu, mais je réalise que pour eux, c'est une façon de mieux me placer et me comprendre. Et puis dans la difficulté, ils seront là pour donner un coup de main, faire les courses, garder les enfants, et cuisiner pour toute la famille au point de devoir les freiner!
Oui, il y des différences entre les états. La Californie est plus extravertie mais plus stressée. Nous sommes très nombreux ici et le mélange culturel et ethnique est fascinant mais le stress se remarque dans la conduite qui a énormément changé depuis mes premières années californiennes. Par contre, le bon côté des Californiens est qu'une conversation peut commencer dans une queue de supermarché et ça permet d'attendre dans la bonne humeur. Parfois par contre, quelqu'un vous racontera sa vie privée sans que vous l'ayez sollicité et c'est too much.
La Nouvelle Angleterre que je connais bien est plus réservée. Les gens peuvent sembler plus froids. Je pense qu'ils sont restés plus européens et qu'il faut plus de temps pour les connaître. Le Maine est un état que j'aime beaucoup et j'y passe beaucoup de temps. Les gens y sont très courtois et réservés. On ne questionne personne sur ses origines ou son accent sans être dans une relation établie.
Les états reflètent leurs diversités géographiques et sont donc très différents. Parfois quand je voyage je cherche un drapeau américain pour me rappeler que je suis toujours aux US. Cependant je dirai que tout le pays que j'ai traversé de nombreuses fois partage des points communs: la courtoisie, le sourire, l'optimisme, la générosité, et l'absence de prétention.

Est-ce qu'il y a des habitudes américaines que tu as adoptées depuis que tu vis dans le pays?

Je ne m'en rends compte que lorsque je suis en France. Je mange plus vite et dine plus tôt. Je me lève aussi beaucoup plus tôt. Je conduis en buvant mon café (dans un mug moins grand que la moyenne américaine!). Je cuisine moins typiquement français et m'inspire des différentes influences ethniques aux US (Amérique du Sud et Asie, essentiellement).
J'ai donné beaucoup de mon temps aux écoles de mes enfants et je participe toujours à différents groupes liés à l'éducation. Toujours gratuitement. Le volontariat n'est pas aussi répandu en France.

Comment s'est passée la scolarité de tes enfants?

Mes quatre enfants sont le pur produit d'une éducation publique américaine. A part la maternelle qui est privée mais qui nous a paru indispensable de façon à ce que nos enfants parlent anglais à un très jeune âge, ils sont tous allés du first grade (CP français) au 12e grade (terminale française) dans des écoles publiques en Californie et dans le Massachusetts. Et deux d'entre eux sont maintenant dans deux universités du système public californien (UC Berkeley et UC Davis). Ma première fille est née en France et c'est à l'école maternelle qu'elle a appris à parler anglais. Pour ses frères et s?urs, cela a été plus facile grâce à elle.
Mon mari et moi parlons français entre nous, donc nos enfants ont été habitués à entendre notre langue maternelle depuis leur naissance. Lorsqu'ils ont grandi, j'ai essayé de nombreuses fois de leur donner des cours plus sérieux de français mais devant leur manque de courage (« C'est dur, Maman. Je comprends rien! Pourquoi on met un S quand on dit 'tu'? Et d'abord pourquoi on dit parfois 'tu' et parfois 'vous'? »), j'ai abandonné. L'apprentissage du français a été différent pour chacun de mes quatre enfants. Mon fils qui est le plus jeune a appris à lire grâce à Tintin et Lucky Luke - les BD de son papa. Mais c'est au lycée que tous ont tous eu la possibilité de prendre des cours enseignés par des Français. Leur progrès a été colossal pour la lecture et l'écriture.
Notre maison, comme des milliers aux US, vit dans un mélange constant entre les deux langues. Quand on rentre en France, je m'aperçois que mon français en a pris un petit coup pour les expressions à la mode. Quant aux enfants, étant jeunes, ils progressent hyper rapidement.

Peux-tu partager avec nous un trait caractéristique de Yosemite qui te plaît particulièrement ainsi qu'un aspect négatif?

La nature sous les yeux à tout instant.
Les distances entre deux points qui obligent à rouler davantage que je le souhaiterais.

Une idée reçue sur la Californie qui s'est avérée totalement fausse:

Que l'on passe son temps à la piscine ou à la plage parce qu'il fait très souvent beau et que les Californiens sont toujours très cool. En fait les Californiens travaillent énormément car la Californie est un état très compétitif. Simplement ils travaillent en shorts et en tongs.

A quoi ressemble ton quotidien d'expatriée aux États-Unis?

Mes enfants grandissent et je n'en ai plus qu'un à l'école. Les trois autres sont à l'université. Cela me permet pour la première fois depuis 1990 d'avoir plus de temps pour moi. J'écris davantage. Je peux maintenir plus régulièrement mon blog en français et en anglais. Et puis comme j'adore la vie en plein air et que je suis tombée amoureuse de Yosemite, je marche. En compagnie d'autres marcheurs j'ai fait la plupart des randonnées du parc y compris Half Dome au clair de lune.
Ma vie aux US est sans doute très différente de celle que j'aurais vécu si mon mari ne m'avait pas dit un jour," On devrait aller voir ce qui se passe là-bas". Je ne sais pas ce qui me serait arrivé si j'étais restée à Paris. La vie, comme disait Sally Fieds à Tom Hanks, est comme une boite de chocolats. On ne sait jamais celui que l'on va manger. Et peut-être c'est mieux ainsi. Apprécier le quotidien qui nous est offert est probablement la clé de l'adaptation à un nouveau pays.

Qu'est-ce qui te manque le plus par rapport à la France, ton pays d'origine?

Les petits villages qui ont une boulangerie, une boucherie, une charcuterie, un café, un bureau de poste et de tabac (même si j'envoie plus de mails que de courrier et que je ne fume pas), un coiffeur, un fleuriste, un pharmacien, un notaire...Tout ça pour parfois moins de 3 000 habitants.
Marcher pour aller faire ses courses et aller à l'école n'est pas souvent possible aux États-Unis.
Des repères culturels communs qui permettent de parler de tout et de rien.
En un mot: l'ambiance de la France.

Est-ce que tu rentres régulièrement en France?

J'essaie de rentrer tous les deux ans. Quand mes enfants étaient petits, mes parents et famille venaient tous les ans aux US. Maintenant, c'est à notre tour de leur rendre visite. Donc ce sera sans doute plus souvent.

Quels conseils peux-tu donner à ceux qui veulent s'installer en famille à Yosemite?

Je ne vis pas dans le parc national mais à l'extérieur donc je ne peux pas parler pour ceux qui vivent dans le parc. Vivre là où je suis offre un espace inégalable en Californie, des vues à couper le souffle et un rythme de vie plus paisible qui est idéal quand on a de jeunes enfants. Le coût de l'immobilier est plus raisonnable que dans la baie et la proximité de forêts et de lacs offre de super possibilités de ballades, de pique-niques et juste d'espace et de calme - deux facteurs qui contribuent à une meilleure qualité de vie et qui sont de plus en plus rares. Aimer la nature et accepter qu'elle est indomptable est un must je crois pour vivre dans les collines de la Sierra Nevada.
Ne pas être par trop dépendant des commodités de la ville. Mais ne pas avoir de Starbucks en bas de sa rue - rien contre Starbucks, j'aime leur café ! - vaut à mon avis le prix à payer pour avoir la chance de voir un ciel étoilé tous les soirs, des cailles faire leurs nids dans les massifs de romarin, être sur les pistes de ski en moins de deux heures ou simplement admirer les sommets enneigés de sa maison.

Après toutes ces années passées aux États-Unis, te sens-tu toujours expatriée?

Au quotidien, jamais. De temps en temps, cela m'arrive. Lorsque par exemple la France est critiquée pour ses prises de vue sur un problème de relations internationales, je me rends compte que je le prends personnellement. C'est viscéral, et je crois que malgré mon assimilation réussie je garderai toujours une tendresse particulière pour la France.

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