L'Andalousie annule l'impôt sur la fortune pour attirer plus d'expats

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Publié le 2022-09-28 à 07:28 par Ameerah Arjanee
L'Andalousie, communauté autonome et ensoleillée du sud de l'Espagne, a décidé de supprimer l'impôt sur la fortune qui touchait jusque-là les biens et avoirs de ses résidents. Elle veut ainsi attirer plus expatriés et stimuler l'économie grâce à une fiscalité plus avantageuse. Si d'autres communautés autonomes comme la Galice et Murcie veulent lui emboîter le pas, le gouvernement central prévoit d'adopter des mesures qui pourraient neutraliser les avantages de la réforme andalouse.

Qu'est-ce que l'« Impuesto sobre el Patrimonio » ?

L'Impuesto sobre el Patrimonio (IP), ou l'impôt espagnol sur la fortune, sert généralement à imposer le patrimoine d'un particulier au-delà du seuil d'exemption de 700 000 €. Les actifs et revenus imposables en vertu de cette loi incluent les biens immobiliers, les articles de luxe tels que les bijoux, objets d'art, yachts, jets privés, les placements financiers, les actions, les assurances vie, les droits de propriété intellectuelle et les droits d'auteur. La seule exemption est la résidence principale du contribuable, tant que la valeur de celle-ci ne dépasse pas 300 000 euros.

L'impôt espagnol sur la fortune ne s'applique pas aux salaires élevés, qui eux sont soumis à l'impôt sur le revenu. Celui-ci est connu en Espagne sous le nom de « Impuesto sobre la Renta de las Personas Físicas » ou l'IRPF. Il concerne les personnes physiques et ne s'applique pas aux entreprises.

L'impôt sur la fortune espagnol a connu quelques modifications au fil du temps, notamment en 1992, année où il a été érigé en loi, alors qu'il ne s'agissait que d'une disposition temporaire. Pendant la période allant de 2008 à 2011, il a été suspendu pour faire face à la crise financière de 2008. Les citoyens comme les non-citoyens, les résidents et les non-résidents, possédant des biens en Espagne sont tous soumis à cet impôt, ce qui signifie que les expatriés sont également imposables.

Il convient de noter que cette taxe est unique dans l'Union européenne. Comme le précise le journal 20 Minutos, si la France, la Belgique et l'Italie perçoivent également l'impôt sur le patrimoine des particuliers, il ne concerne que certains actifs comme les biens immobiliers et non la totalité du patrimoine comme en Espagne. Cette anomalie au sein de l'UE a été évoquée par le président du gouvernement autonome d'Andalousie, Juanma Moreno, pour justifier la suppression de l'impôt sur la fortune dans sa juridiction en 2022.

En sus de ses 2 villes autonomes en Afrique du Nord, Ceuta et Melilla, l'Espagne compte 17 communautés autonomes. Celles-ci jouissent d'une certaine indépendance sur quelques grands dossiers et disposent entre autres, d'une grande marge de manœuvre en matière de réglementation fiscale, comme dans la décision de fixer les taux par tranche d'imposition. Ainsi, comme le rapporte le journal économique Cinco Días, une personne vivant à Barcelone, dans la région de Catalogne, possédant des biens d'une valeur de 800 000 euros ne paiera en 2022, que 769,51 euros d'impôt sur la fortune, comparé aux 1 164,37 euros d'un individu propriétaire d'un patrimoine de même valeur en Aragon, dans le Nord. Le cabinet d'avocats Strong Abogados précise, par ailleurs, que les régions peuvent également modifier le seuil d'exemption de 300 000 € du fisc espagnol, concernant la résidence principale d'un individu. Par exemple à Valence, sur la côte sud-est, ce seuil est de 600 000 €, et est de 500 000 € en Catalogne.

L'Andalousie entend devenir un paradis fiscal pour expatriés

Avec son climat chaud, toujours ensoleillé et son riche patrimoine historique, le sud de l'Espagne attire depuis longtemps des expatriés, en particulier ceux qui viennent de pays européens plus froids, tels que le Royaume-Uni, l'Allemagne, la France, la Roumanie, les Pays-Bas et la Russie. Comme le rappelle Euro News, l'Andalousie, la grande région autonome du sud à la belle architecture mauresque et aux collines verdoyantes, compte actuellement environ 740 000 expatriés. Parmi eux, 88 000 sont originaires du Royaume-Uni et 75 000 de Roumanie.

Si les grandes villes de Séville, Malaga, Cadix et de Cordoue concentrent sans surprise de grandes communautés d'expatriés, il existe un nombre croissant d'étrangers qui choisissent de s'installer dans de petites villes et petits villages. Selon Idealista News, l'achat de biens immobiliers par des étrangers dans les villes et villages du sud de l'Espagne de moins de 5000 habitants aurait augmenté ces dernières années, à l'instar des petites villes andalouses d'Ojén et d'Almogía qui ont attiré de nombreux acheteurs venant d'Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas. Il en va de même pour La Viñuela, village qui se trouve également en Andalousie.

Au-delà de l'immobilier plus abordable dans ces villes et villages andalous, de nombreux expatriés y retrouvent une certaine tranquillité qui contraste fortement avec l'agitation des grandes villes touristiques. Néanmoins, bien qu'enclavés, ils ne sont jamais trop loin de la côte ou des régions balnéaires, ce qui représente un compromis idéal.

Ainsi, une maison à Almogía coûte en moyenne 900 € par mètre carré, alors que dans la ville voisine de Malaga, la même maison coûtera 3 713 €, soit au-delà de 300% plus cher ! Et pour cette raison, comme le souligne Carolina España, conseillère économique du gouvernement andalou, les habitants de Malaga et de Séville sont ceux qui paient le plus d'impôts sur la fortune dans la région, en raison d'une plus forte valeur immobilière.

Pour faire face aux contrecoups économiques liés à la Covid-19, à la guerre en Ukraine et à une inflation galopante à plus de 10% cette année, le gouvernement andalou s'est mis en tête d'attirer à tout prix l'investissement étranger. Il entend se donner les moyens de favoriser l'installation d'expatriés fortunés dans sa région, et de ce fait, leur investissement dans l'immobilier. Ainsi, à partir du 21 septembre 2022, ceux qui sont sujets au fameux « Impuesto sobre el patrimonio » Andalou sont éligibles pour une exonération de 100%. En d'autres mots, cela signifie que même si la loi existe toujours sur le papier, en pratique, les locaux comme les expatriés paieront désormais zéro impôt sur le patrimoine en Andalousie. C'est la deuxième région espagnole, après Madrid, à bénéficier d'une telle exonération d'impôt sur la fortune.

Face à une telle mesure, de farouches opposants affirment qu'il y a le risque de priver les services publics et le filet de protection sociale, d'un financement précieux à un moment où de nombreuses familles de la classe ouvrière et de la classe moyenne ont besoin du soutien de l'État. Ils réclament en outre, que le gouvernement régional taxe davantage les riches en ces temps de difficultés économiques.

À cela, le gouvernement provincial d'Andalousie répond que l'impôt sur la fortune ne représentait que 0,6 % des recettes fiscales de la région, et que les 360 millions d'euros qui seront ainsi « laissés dans la poche des Andalous » contribueront à stimuler la consommation locale, l'investissement, la création d'emplois et l'activité économique en général.

D'autre part, le président du gouvernement provincial, Juanma Moreno, a expliqué qu'en 2019, la moitié des plus gros contributeurs fiscaux de la région se sont installés ailleurs. Avec cette nouvelle réduction d'impôts, il espère attirer les contribuables fortunés à s'installer ou à se réinstaller en Andalousie. Le gouvernement andalou croit fermement que sa capacité d'attirer au moins 7 200 contribuables supplémentaires compensera toute perte de recettes publiques liée à la suppression de l'impôt sur la fortune, rapporte El Mundo.

Selon l'analyse des registres du Conseil général des notaires entreprise par Idealista News, on retrouverait plus d'expatriés détenteurs de permis de résidence que de citoyens locaux parmi les nouveaux acquéreurs de propriétés dans les villages andalous. Cette augmentation du nombre d'étrangers achetant des biens immobiliers serait due, au moins en partie, à l'évolution des tendances de la migration mondiale et du monde du travail ; comme la grande démission, le boom du nomadisme numérique et du travail hybride, l'exode des travailleurs de certains pays/villes tels que Hong Kong, ou le Royaume-Uni, déclenché par le coût de la vie, etc. Il est clair que le gouvernement régional andalou veut en profiter au maximum.

Quelles autres communautés autonomes bénéficient de réductions d'impôts similaires ?

Comme précédemment indiqué, Madrid est la seule autre communauté autonome où une exonération de 100 % de l'impôt sur la fortune est en vigueur. Pour rappel, Madrid désigne à la fois la capitale ; Ciudad de Madrid, et la communauté autonome plus large ; Comunidad de Madrid. Cette zone élargie englobe d'autres villes comme San Lorenzo de El Escorial ou San Agustín del Guadalix. L'exonération fiscale s'applique à l'ensemble de la région. 

La communauté autonome de Murcie, sur la côte sud-est, supprimera également l'« Impuesto sobre el Patrimonio ». Mais en 2023 ! Selon son président provincial López Miras, qui a déjà baissé les taux d'imposition sur le revenu dans la région cette année, la suppression de l'impôt sur le patrimoine ne sera possible que l'année prochaine. Cela se fera à la suite d'un méticuleux équilibrage budgétaire par son gouvernement, annonce-t-il, selon RTVE. La communauté autonome de Galice, dans le nord-ouest de l'Espagne, n'a quant à elle pas complètement supprimé l'impôt sur la fortune, mais a mis en place une exonération de la taxe à hauteur de 25 %. En 2023, celle-ci passera à 50 %.

Les quatre régions susmentionnées qui ont supprimé ou réduit l'« Impuesto sobre el Patrimonio » ont toutes une chose en commun : elles sont gouvernées par le parti conservateur Partido Popular (PP). En revanche, les régions autonomes gouvernées par d'autres partis sont beaucoup moins enclines à réduire les impôts. À titre d'exemple, Adrián Barbón, issu du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol, Président de la province des Asturies, dans le nord, a maintenu son opposition à la baisse des impôts lorsque l'Andalousie a annoncé sa réforme. Il affirme, en effet, que les 20 millions d'euros que les Asturies perçoivent chaque année sous le nouvel impôt sur la fortune sont essentiels au financement des politiques de protection sociale, comme les allocations destinées à promouvoir la natalité chez les Asturiens, ou les déductions pour les manuels scolaires.

Donc, si vous êtes un expatrié souhaitant acheter une propriété en Espagne, il sera judicieux, en effet, de rechercher d'abord les régions autonomes les plus à même de vous offrir les meilleures conditions fiscales. Cela sera encore plus intéressant si vous envisagez d'acquérir une résidence secondaire qui est plus susceptible d'être taxée par l'« Impuesto sobre el Patrimonio » espagnol.

Le gouvernement central désapprouve la « concurrence fiscale » entre les régions

Avant de vous enthousiasmer pour les réformes fiscales en Andalousie, à Madrid, à Murcie ou en Galice, sachez que le gouvernement central espagnol désapprouve fortement ces mesures, dénonçant une concurrence « absurde », pour reprendre le terme utilisé par le ministre de la sécurité nationale, José Luis Escrivá.

Pour sa part, Carolina España, conseillère économique du gouvernement provincial d'Andalousie, a déclaré avec humour que la réforme fiscale de sa région fera venir les investisseurs de Catalogne. Ce commentaire démontre la volonté affichée des Andalous ; celle de concurrencer les autres régions espagnoles, notamment la plus riche, la Catalogne, pour attirer plus d'investisseurs. En réponse, le gouvernement central met en place actuellement des mesures visant à centraliser le système fiscal espagnol.

Le gouvernement central dirigé par une coalition de gauche, est en conflit ouvert avec les gouvernements provinciaux dirigés par le Partido Popular de centre-droit, notamment par rapport aux systèmes fiscaux. La ministre nationale des impôts, María Jesús Montero, affirme dans ce contexte, qu'il est injuste que certaines communautés autonomes reçoivent une part importante du budget national, tout en concédant des mesures fiscales favorables à certains. Elle souhaite, dit-elle, que toutes les régions soient plus ou moins égales sur le plan fiscal.

Quelques jours à peine après l'entrée en vigueur de la suppression de l'impôt sur la fortune en Andalousie, le gouvernement central a annoncé qu'il imposerait de 2023 à 2025, aux 1 % des personnes les plus riches d'Espagne, une taxe nationale temporaire sur la fortune. Les détails de cette mesure sont encore en cours d'élaboration, mais elle représente déjà une menace pour les objectifs fiscaux du gouvernement andalou. Le gouvernement central devra notamment trouver un moyen de s'assurer que sa mesure ne violera pas l'interdiction constitutionnelle de double imposition, selon laquelle un résident ou citoyen espagnol ne peut être taxé à la fois par le gouvernement provincial et le gouvernement central pour le même actif. Les expatriés désireux de s'installer en Espagne devront donc garder un œil sur les détails à venir concernant cette nouvelle mesure.