La France compte revoir sa loi sur l'immigration pour pallier la pénurie de main-d'œuvre

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Publié le 2022-11-08 à 14:00 par Asaël Häzaq
Depuis le 3 novembre, et l'annonce du ministre du Travail et du ministre de l'Intérieur, c'est l'ébullition. Les deux ministres ont brossé les contours de la nouvelle loi asile et immigration, avec un objectif : pallier la pénurie de main-d'œuvre et favoriser les travailleurs étrangers qualifiés. Le projet de loi sera bientôt présenté au Parlement, puis au Sénat. Que dit la nouvelle loi immigration ? Quelles implications pour les étrangers vivant en France ?

Faciliter l'immigration légale

« Les organisations professionnelles nous disent qu'il faut faciliter l'embauche des étrangers. Avec cette loi, nous leur apportons une solution », explique Olivier Dussopt, ministre du Travail. « Peut-être que nous ne donnons pas assez de titres de séjours pour les travailleurs », complète Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur. Face à une pénurie qui n'en finit pas, le gouvernement a tranché. Tollé à l'extrême droite, qui prône « l'immigration zéro ». À gauche, on trouve que le gouvernement pourrait aller plus loin.

Avec ce nouveau projet de loi, le gouvernement français veut donc répondre aux entrepreneurs et aux travailleurs étrangers. Leurs attentes ont été comprises. Le recrutement des travailleurs étrangers sera facilité. Mais sous conditions. En France, l'immigration est un sujet toujours aussi sensible. Les nouvelles mesures en la matière sont souvent vues avec circonspection, quand elles ne sont pas étranglées dans des atermoiements identitaires sans rapport avec la réalité. Olivier Dussopt joue la carte de la prudence et évoque des règles « dures » à contrebalancer par des initiatives « pour faciliter l'immigration ». Volonté de rassurer l'aile la plus à droite de l'hémicycle et de contenter la gauche ? Le ministre relève que les immigrés et étrangers sont davantage touchés par le chômage. Une situation observée depuis longtemps par les chercheurs, qui pointent les discriminations qu'ils subissent (origine, lieu de vie, nom…), quand bien même ils auraient toutes les qualifications requises.

Immigration en France : ce que change la nouvelle loi

Olivier Dussopt liste les 4 grands changements qu'apportera la nouvelle loi :

  • Un titre de séjour spécifique « métiers en tension » va être créé.
  • L'interdiction de travail des demandeurs d'asile durant leurs 6 premiers mois passés en France sera levée sous certaines conditions (le ministre ne les détaille pas encore).
  • Les travailleurs sans papiers pourront demander eux-mêmes leur régularisation (contrairement au système actuel, qui les oblige à passer par l'employeur, lequel pourrait être tenté de les maintenir dans l'illégalité, pour faire des économies). Ce changement était particulièrement attendu par les syndicats de travailleurs.
  • Les procédures d'obligation de quitter le territoire français (OQTF) pour les travailleurs sans papiers évoluant dans des secteurs sous tension et respectant la loi seront stoppées. Darmanin et Dussopt disent vouloir mettre fin à un « système absurde ».

Titre de séjour spécifique « métiers en tension »

Fixée par décret publié le 1er avril 2021 dans le Journal officiel (JO), la dernière liste des métiers en tension recense une trentaine de métiers et de secteurs. Elle sera de nouveau débattue avec les partenaires sociaux.

Parmi les métiers en tension publiés dans le JO figurent les infirmiers et autres professionnels paramédicaux, les dessinateurs en électricité et en électronique, les géomètres, les techniciens d'étude et de développement en informatique, les conducteurs routiers, les chaudronniers, tôliers, traceurs, serruriers, métalliers, forgerons, les bouchers, ou encore les ingénieurs et cadres d'étude, recherche et développement (industrie). La liste établie par le gouvernement se subdivise par région. Une enquête de Pôle emploi, établissement public en charge de l'emploi, fait état de 10 métiers particulièrement en tension en France : infirmiers, aides-soignants, conducteurs de transport en commun sur route, aides à domicile et aides ménagères, plombiers, chauffagistes, chefs cuisiniers, assistantes maternelles, employés de maison et personnel de ménage, conducteurs routiers, et coiffeurs, esthéticiens. Toujours selon Pôle emploi (qui a recueilli les réponses de 420 000 entreprises pour son étude), 2022 compte 3 millions de projets de recrutements et 57,9 % de recrutements difficiles.

Selon le ministre du Travail et le ministre de l'Intérieur, le titre de séjour « métiers en tension » concernerait « entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers de personnes. » Des chiffres donnés pour rassurer la droite et surtout l'extrême droite, opposés depuis longtemps à la création de ce titre. « Ce n'est pas un plan de régularisation massive », martèlent les ministres. En France, il semble toujours difficile de parler d'immigration sans soulever les passions. La gauche dénonce l'hypocrisie du gouvernement et parle « d'exploitation » des travailleurs étrangers.

Obligation de quitter le territoire français (OQTF)

La nouvelle loi sur l'immigration prévoit d'inscrire les individus menacés d'expulsion (OQTF) sur le fichier des personnes recherchées ; fichier qui enregistrera le départ effectif des étrangers. La mesure concernera tous les étrangers, qu'ils aient ou non un casier judiciaire. Selon le gouvernement, des étrangers qui avaient effectivement quitté le territoire étaient toujours considérés comme en séjour illégal, faute de registre. Lorsqu'ils voulaient revenir en France avec un dossier en règle, celui-ci était refusé. Mais la Cimade, organisation aidant les personnes opprimées, objecte qu'il existe déjà une liste européenne : le système d'information Schengen.

Même les mineurs sont ciblés. Avec la nouvelle loi, une personne visée par une OQTF mais ayant un enfant de moins de 13 ans pourra tout de même être expulsée, avec son enfant. Actuellement, les étrangers visés par une OQTF mais ayant des enfants nés en France ne sont plus expulsables. Une situation qui n'est « plus tenable » selon Darmanin. Désormais, c'est le juge qui appréciera si l'enfant peut ou non rester en France. Tour de vis également pour les délinquants étrangers. Le gouvernement promet des sanctions « plus dures ». La nouvelle loi sur l'immigration se veut plus souple pour les étrangers respectueux de la loi (leur visa serait automatiquement renouvelé), et plus sévère pour ceux qui l'enfreignent. Darmanin dit vouloir faire le tri entre les « gentils » et les «méchants ».

Les règles se durcissent aussi pour les demandeurs d'asile : le rejet de leur demande entraînera automatiquement une OQTF. Ils auront 15 jours pour contester la décision. Le recours à la justice n'aura désormais lieu que pour les « cas très difficiles ».

Regroupement familial et test de français

La mesure abordera également le regroupement familial. Conformément aux recommandations du Conseil d'orientation économique (COE), le gouvernement français cherche à augmenter le nombre d'immigrants économiques. Selon les ministres porteurs du projet de loi, le regroupement concerne davantage les conjoints suiveurs. La nouvelle loi prévoit de spécifier les éventuelles conditions de son application.

Gérald Darmanin souhaite également revenir sur les titres de séjour pluriannuels, en les conditionnant au passage d'un test de français. Car à l'heure actuelle, les détenteurs de ces permis n'ayant pas le niveau en français sont invités à prendre des cours de langues. Aucune obligation de suivre ces cours, donc, ni même aucune obligation d'avoir un certain niveau de français pour décrocher le titre de séjour pluriannuel. Selon le ministre, le quart des étrangers obtenant un titre de séjour en France auraient un niveau insuffisant en français. Or, la non-maîtrise ou le manque de maîtrise de la langue nationale d'un pays complique l'entrée sur le marché du travail. Les tests serviraient donc à sélectionner la main-d'œuvre qualifiée et opérationnelle sans délai, tant sur le marché du travail que dans la vie civile.

Les étrangers et les immigrés en France

L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) définit un étranger « […] une personne qui réside en France et ne possède pas la nationalité française, soit qu'elle possède une autre nationalité (à titre exclusif), soit qu'elle n'en ait aucune (c'est le cas des personnes apatrides). Les personnes de nationalité française possédant une autre nationalité (ou plusieurs) sont considérées en France comme françaises. Un étranger n'est pas forcément immigré, il peut être né en France (les mineurs notamment). » En 2021, 5,2 millions étrangers vivent en France, soit 7,7 % de la population. 4,5 % d'entre eux n'ont pas la nationalité française. 0,8 million d'entre eux sont nés en France, mais n'ont pas la nationalité française. La population totale de la France s'élève à 67,6 millions d'individus.

Selon le Haut Conseil à l'Intégration, « un immigré est une personne née étrangère à l'étranger et résidant en France. Les personnes nées françaises à l'étranger et vivant en France ne sont donc pas comptabilisées. À l'inverse, certains immigrés ont pu devenir Français, les autres restant étrangers. Les populations étrangère et immigrée ne se confondent pas totalement : un immigré n'est pas nécessairement étranger et réciproquement, certains étrangers sont nés en France (essentiellement des mineurs). La qualité d'immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée même s'il devient Français par acquisition. C'est le pays de naissance, et non la nationalité à la naissance, qui définit l'origine géographique d'un immigré. » En 2021, la France compte 7 millions d'immigrés, soit 10,3 % de la population. Parmi eux, 2,5 millions sont Français, soit 36 %. Ces personnes ont acquis la nationalité française depuis leur arrivée sur le territoire (naturalisation).

Un projet de loi qui suscite le débat

Les débats s'annoncent houleux. L'opposition prépare déjà ses amendements pour empêcher, et les régularisations, et l'arrivée de nouveaux expatriés. L'extrême droite dénonce une loi qui ignorerait les Français demandeurs d'emploi. Les entreprises rétorquent que ces emplois restent délaissés par les Français, parfois depuis des années. Les syndicats de travailleurs rappellent que, parmi les métiers en tension, beaucoup sont mal rémunérés, mal reconnus, dangereux et/ou physiques. Comme toutes les grandes puissances industrielles, la France a besoin de main-d'œuvre étrangère pour faire fonctionner et dynamiser son économie. Mais va-t-elle sans cesse reproduire le même modèle migratoire ? Les étrangers sont-ils une simple variable d'ajustement de la croissance économique : ouvrir les portes en cas de besoin, la refermer lorsque les besoins sont comblés ? C'est la question que pose la gauche, qui rappelle que chaque chiffre parle d'une vie humaine.

Quelle protection les travailleurs étrangers recevront-ils ? Les ministres parlent de titres de séjours d'un an. Et après ? Seront-ils « automatiquement » renouvelables pour les étrangers « gentils », comme l'affirme Gérald Darmanin ? La dignité des travailleurs étrangers est-elle respectée ? Pour la Cimade, cette nouvelle loi ne prend pas en compte les intérêts des premiers concernés. La liste des métiers en tension serait loin de concerner tous les étrangers. L'association rappelle que, tout comme les Français s'orientent vers telle ou telle voie professionnelle, les étrangers aussi. Inutile donc de les cantonner dans des domaines spécifiques, souvent délaissés, car mal payés. À l'instar des précédentes vagues de régularisation, la Cimade voit une loi à deux visages, qui ne proposerait qu'une solution partielle et ponctuelle, sans donner les conditions pour la construction d'un réel projet de vie sur le territoire. Elle reproche à la France de profiter des travailleurs étrangers, au lieu d'élaborer avec eux un projet de long terme favorable à tous.

Comment se dérouleront les débats à l'Assemblée ? Pour les analystes, la France reste partagée entre une vision pragmatique et positive de l'immigration, et une autre, alimentée par les peurs et les discours d'extrême droite.