Le vote par internet à l'étude pour les Français de l'étranger ?

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Publié le 2022-02-28 à 10:00 par Asaël Häzaq
Alors que la campagne présidentielle française entame sa dernière ligne droite, les regards convergent vers le vote des Français de l'étranger. Leur mobilisation en 2017 a marqué les esprits. D'aucuns prédisent qu'ils seront la clé de cette élection 2022. Pas question donc de perdre une seule voix. La question du vote électronique ressurgit. Utiliser une machine ? Passer par une application ? Verra-t-on un jour une généralisation du vote électronique ? Quels sont les avantages et les risques de ce système ?

En marche vers la « numérisation de la démocratie » ?

Nathan en parle comme « l'année des premières fois » : premier voyage au Japon en 2017, premier vote à l'étranger… Premier vote tout court, pour le Français qui n'avait, jusqu'alors, que peu d'intérêt pour la politique. « C'est toujours plus ou moins le cas, mais depuis, je fais attention. Ça fait vraiment peur de voir à quel point la présence de l'extrême droite s'est banalisée. » En 2017, Nathan étudie à Tokyo. « On est venu avec 5 amis. On a patienté plusieurs heures, c'était dingue. La queue était si longue qu'elle serpentait jusque dans les quartiers résidentiels. Des policiers étaient là pour veiller à ce qu'on s'aligne bien le long des bâtiments, pour ne pas gêner les autres usagers. » 

2017 reste une année marquante pour le vote des Français de l'étranger. 44 % de participation au premier tour, loin derrière le 77 % de la métropole et de l'outre-mer, mais plus que les 33 % enregistrés en 2012. L'histoire retient surtout un vote record en faveur de l'actuel président français. Nathan, lui se souvient d'« une ambiance bon enfant, avec même un mini-stand de boissons fraîches. »  S'il n'a eu qu'à supporter de longues heures d'attente, pour d'autres, la situation était plus compliquée : pas de bureau de vote à proximité, complications administratives, plages horaires trop restreintes, nombre de bureaux de vote limité, manque de personnel… De quoi en décourager plus d'un. 

Alors que la campagne électorale française peine à se faire entendre, coincée entre une crise sanitaire qui n'en finit pas, une poussée inflationniste inquiétante, et surtout, la guerre en Ukraine, pas question de perdre la moindre voix. Les candidats lorgnent sur le vote des Français de l'étranger, et la question du vote sur Internet revient au cœur des débats. À l'heure du tout numérique, pourquoi ne pas lancer une application de vote à distance ? En 2017, Macron candidat déclarait déjà : « Nous avons besoin de numériser notre démocratie, en instituant un vote électronique qui élargira la participation, réduira les coûts des élections et modernisera l'image de la politique ». Mais si les Français de l'étranger votent déjà électroniquement pour les élections législatives et consulaires, rien n'a bougé concernant le vote pour les présidentielles. Le vote sur Internet (pour les élections législatives et consulaires) a même été suspendu en 2017 par risque élevé de cyberattaques. Les deux seules possibilités pour voter aux présidentielles sont de se rendre sur place ou de faire une procuration (celle-ci peut désormais se faire sur Internet). Prochaine étape : le vote sur appli ?

Vote électronique : les risques et les limites

La question du vote sur Internet concerne autant les Français de l'étranger que ceux résidant dans le pays. Voter sur Internet apparaît comme la solution ultime pour contrer une abstention galopante (plus de 50 % lors des dernières élections régionales). De plus, le vote à distance permettrait d'éviter les rassemblements de population, la situation sanitaire variant d'une région du monde à l'autre. Autres avantages : gain de temps et d'argent, démarche écologique, décompte des voix facilité par l'algorithme de l'éventuelle appli. La mesure bénéficierait également à toutes les personnes à mobilité réduite et/ou souffrant d'un handicap. Le vote sur Internet permettrait ainsi de toucher un plus grand nombre de personnes. En juin 2021, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, déclare : « Je suis favorable au vote électronique ». Interviewé par la radio RMC et par BFMTV, il dénonce des « oppositions qui bloquent, qui voudraient voter comme il y a 100 ans ». Et le porte-parole de citer en exemple les Français de l'étranger, qui ont voté électroniquement pour les élections consulaires : « […] ça s'est bien passé, il n'y a pas eu de contestation particulière ».

Mais le vote sur Internet soulève des réserves. Comment s'assurer de l'identité du votant ? De la sécurité du vote ? Comment éviter les cyberattaques ? Comment s'assurer que le vote reste secret d'un bout à l'autre de la chaîne de codage et de transmission des données ? Comment se prémunir contre les bugs ? L'élection américaine de 2016 reste entachée par des soupçons de fraudes au vote électronique. Les machines sont montrées du doigt, jugées facile à pirater. Si les applications paraissent plus sûres pour certains, elles restent piratables, et ne résolvent pas la question de la sécurité du vote.

Interrogée par le journal français le Parisien, Chantal Enguehard, chercheuse à l'Université de Nantes et ingénieure en informatique, émet une autre réserve : si le vote sur Internet facilitera les démarches de toutes celles et ceux rencontrant des problèmes pratiques pour se rendre dans un bureau de vote (comme les Français de l'étranger vivant dans des zones reculées et/ou mal desservies), rien ne dit qu'il sera un remède contre l'abstention. « Si les électeurs ne vont pas voter ce n'est pas à cause d'une difficulté technique, mais d'un problème plus profond ».  D'autres experts craignent une banalisation d'un vote déjà malmené par l'abstention. Pour eux, l'acte a autant d'importance que le cadre dans lequel il s'inscrit. Le bureau de vote, l'urne, l'enveloppe scellée, tout a un sens et une histoire. Ils exhortent à un renforcement des moyens techniques et humains sur place (bureaux de vote, actions citoyennes etc.) plutôt qu'à course vers le tout numérique.

La conclusion – du moins temporaire – vient du ministre de l'Intérieur. Interrogé par BFMTV le 29 septembre dernier, Gérald Darmanin enterre toute possibilité de vote électronique pour la présidentielle et les législatives de 2022. Rappelant le programme du président, favorable au vote numérique, le ministre dit travailler « sous son autorité à mettre en place le vote à distance ». Il n'est cependant pas lui-même favorable à cette pratique, qu'il juge trop incertaine. La question fera, sans aucun doute, l'objet de nouvelles études dans les années à venir.