L'Eglise allemande dispose d'un droit du travail à part
En Allemagne, la loi ne s'applique pas aux établissements religieux. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a rappelé le mois dernier ces prérogatives particulières
L'Eglise allemande dispose d'un droit du travail à part
Emploi En Allemagne, la loi ne s'applique pas aux établissements religieux
La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a rappelé le mois dernier ces prérogatives particulières
L'Eglise catholique allemande n'est décidément pas un employeur comme les autres. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a confirmé fin novembre que pour un cadre catholique salarié d'une institution catholique, se remarier après avoir divorcé peut être un motif de licenciement.
L'affaire remonte à 2009. Le chef interniste de l'hôpital St. Vincent de Düsseldorf, dans l'ouest de l'Allemagne, est licencié par cet établissement catholique qui l'emploie depuis neuf ans. Motif de cette séparation: le remariage de ce salarié tenu – selon l'Eglise – d'adopter un comportement «exemplaire» du fait de ses fonctions de chef de service. La stupeur du médecin est d'autant plus grande qu'il vit depuis plus de deux ans déjà avec sa nouvelle épouse et que ses collègues divorcés (mais non catholiques) n'ont pas subi de telles mesures de rétorsion.
En Allemagne, les Eglises sont le second employeur du pays derrière l'Etat. 1,3 million de personnes travaillent pour quelque 50 000 entreprises appartenant aux Eglises, couvents et autres congrégations ou à leurs «filiales». Les profils recherchés sont vastes. Les salariés des Eglises sont médecins, animateurs de radio, éducateurs de jeunes enfants, femmes de ménage, jardiniers, plombiers, etc.
«Qui travaille pour Caritas (les services sociaux catholiques), Diakonie (les services sociaux protestants), l'éditeur Weltbildverlag ou un hôpital catholique ne peut s'attendre à avoir un employeur particulièrement bienveillant», rappelle le magazine germanophone Focus. En termes de licenciement notamment, les Eglises disposent de prérogatives dont rêverait n'importe quel employeur. Et ces privilèges sont garantis, depuis 1920, par la Constitution. «La Loi fondamentale de 1949 s'est contentée de reprendre telles quelles les dispositions de la République de Weimar en la matière», explique Jacob Joussen, juriste à l'Université de Bochum. Sorte d'Etat dans l'Etat, les employeurs catholiques ou protestants ne connaissent ni syndicats ni comités d'entreprise, et leurs salariés n'ont pas le droit de faire grève. «En fait nous n'avons aucun moyen de pression sur l'employeur», explique Rolf Cleophas, représentant des salariés chez Caritas.Comme dans le secteur privé, les syndicalistes d'entreprises affiliées à une Eglise négocient régulièrement les grilles de salaire avec leur employeur. Mais sans droit de grève, les négociations traînent en longueur. «Du coup, on obtient en général des conditions identiques à celles accordées aux salariés des services publics mais avec un décalage de quelques mois», constate Rolf Cleophas.
Et le représentant de Caritas d'ajouter: «Dans les faits, les relations avec l'employeur relèvent de l'arbitraire. Les institutions catholiques sont particulièrement strictes en matière de morale, ce qui n'est pas le cas des institutions protestantes. L'Eglise catholique est surtout rigoureuse avec les puéricultrices divorcées, du fait de leur influence supposée sur les enfants. Cela pose de véritables problèmes quand dans certaines régions, comme en Rhénanie, 80% des jardins d'enfants sont aux mains des institutions catholiques.»
L'Eglise catholique allemande, l'une des plus conservatrices au monde, a redéfini en 1993 son propre code du travail. Celui-ci stipule qu'un chrétien occupant un poste à responsabilité au sein d'une institution œcuménique – école, jardin d'enfants, maison de retraite ou hôpital – est tenu de respecter la morale papiste. Une infirmière ou un non-catholique remariés pourront faire l'objet d'un traitement plus indulgent. Tous ne sont pas égaux face au droit du travail de l'Eglise allemande.
Cela mène parfois à des situations absurdes, comme celle de tel paroissien marié au civil qui ne peut se faire élire délégué du personnel jusqu'à son divorce suivi d'un remariage en bonne et due forme, devant les autorités religieuses. «En matière de droit du travail, ce sont les institutions catholiques qui posent problème – avec les divorcés, les homosexuels, etc. –, pas les institutions protestantes», souligne Jacob Joussen.
Ces spécificités sont de moins en moins bien acceptées par l'opinion. «Mais pour changer les choses, il faudrait une réforme de la Constitution. Et c'est en Allemagne presque impossible. Il faudrait une majorité des deux tiers au Bundestag (l'assemblée parlementaire allemande). Dès qu'on touche aux prérogatives des Eglises, une majorité des partis est contre. Donc, il n'y a pas de réforme possible», regrette-t-il.
A plusieurs reprises, les tribunaux du travail et la Cour européenne des droits de l'homme se sont cassé les dents sur les prérogatives de l'Eglise catholique allemande. Le licenciement de Düsseldorf fait toujours grand bruit en Allemagne, même si ses autorités ecclésiastiques ont promis de travailler à l'intégration des divorcés-remariés. Des propositions en ce sens, censées être présentées avant le 24 novembre, ont finalement été reportées au printemps prochain. Une modernisation indispensable pour la communauté catholique du pays, si elle veut mettre fin à l'érosion du nombre de ses fidèles.
«Dans les faits, les relations avec un employeur aussi strict en matière de morale relèvent de l'arbitraire» https://www.letemps.ch/economie/leglise … avail-part .jean luc