Retraites: en Allemagne, les réformes peinent sauver le système

Après cinq ans de reculade, le gouvernement français va dévoiler ce mardi son projet de réforme des retraites, avec une mesure phare: le report de l'âge de départ. Au gré de ses réformes, l'Allemagne a aussi emprunté cette voie, entre autres. Le vieillissement démographique continue pourtant de déséquilibrer les finances de son système des retraites.


Suhl, capitale de la Seniorenrepublik. Nulle part en Allemagne, la population n'a vieilli aussi vite que dans cette bourgade de l'ex-RDA. Située en Thuringe, elle est passée de 56.000 habitants avant la réunification à moins de 36.000, à cause de la désindustrialisation et de l'exode des jeunes vers l'Ouest. La ville a la moyenne d'âge la plus élevée du pays: 51 ans, contre, à l'autre bout du classement, 40 ans pour la juvénile Heidelberg. A Suhl, les plus de 65 ans représentent un tiers de la population, une proportion alarmante que l'Allemagne toute entière atteindra, selon les démographes, en 2060, et que politiques et économistes tentent d'anticiper pour éviter ce qu'ils nomment déjà le Rentenkollaps, littéralement "l'effondrement des retraites". Une perspective de plus en plus présente dans le débat public, au point que le tabloïd Bild faisait sa "une" fin octobre sur le cri d'alarme du patron de la fédération de la métallurgie, inquiet d'"une catastrophe d'ici cinq ans".Les retraités allemands face à la pauvreté


Et pourtant, fondé comme en France sur la répartition, le système de retraites allemand a déjà subi de profondes réformes. Avec, depuis les années 2000, des inflexions majeures. La durée de cotisation a été allongée – elle atteint 43 années aujourd'hui et s'élèvera à 45 en 2029 – et l'âge de départ a été progressivement repoussé, au rythme d'un mois par an depuis 2007, pour aboutir à 67 ans en 2031. Dernière décision couperet: la diminution par palier du montant des retraites, de 52,6% de la moyenne des salaires en 2005, il descendra à 43% en 2030. En théorie, cette baisse devait être compensée par des régimes complémentaires et des produits d'épargne retraite encouragés à coups d'incitations fiscales mais, en réalité, ces dispositifs ne bénéficient qu'à une minorité de privilégiés.


Les résultats de ces mesures drastiques sont perceptibles. En moyenne, les Allemands quittent le marché du travail deux ans et sept mois plus tard que les Français (à un peu plus de 63 ans) et les dépenses de retraites ne dépassent pas 11% de la richesse nationale (460 milliards d'euros par an), contre près de 14% dans l'Hexagone. Revers des réformes, le taux de pauvreté des personnes de plus de 66 ans est deux fois plus élevé qu'en France et un retraité sur six vit sous le seuil de pauvreté, fixé à 1.251 euros nets par mois. "Pour les femmes, c'est pire, s'exclame Helma Sick, 81 ans, directrice du cabinet Frau und Geld (femme et argent), qu'elle a fondé à la fin des années 1980. J'ai conseillé plusieurs milliers de mères, dont l'immense majorité s'est arrêtée de travailler pour s'occuper des enfants. Aujourd'hui, elles perçoivent en moyenne 728 euros de pension par mois." Selon la fondation Bertelsmann, une nouvelle retraitée sur trois vivra dans la pauvreté dans quinze ans.

Une géométrie variable qui déséquilibre les comptes Las, en dépit de tant d'efforts et de sacrifices, le vieillissement démographique continue de menacer les finances du système de retraite germanique. La génération du baby-boom a commencé à quitter la vie active, et le mouvement va s'accélérer pour atteindre un pic de deux millions de départs à la retraite par an en 2030. Les chiffres sont inquiétants. Le pays compte actuellement 57 retraités pour 100 actifs. Ce sera 67 en 2030 et 77 en 2050! Et rien ne laisse augurer d'un inversement de tendance. Berlin enregistre l'une des natalités les plus faibles au monde: 1,57 enfant par femme, au lieu des 2,1 requis pour renouveler la population. Tandis que l'espérance de vie continue, elle, de progresser.


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C'est pourquoi, en attendant un vrai big bang des retraites, l'Etat met la main à la poche, à raison de quelque 100 milliards d'euros par an pour renflouer les caisses de retraite. D'autant que de récentes mesures prises par souci d'équité déséquilibre encore les comptes: retraite à 63 ans pour les carrières longues ou pénibles depuis 2014, création d'une retraite minimale pour les mères et d'un minimum vieillesse en 2019, etc. Dès lors, le débat sur les déficits de retraite est au moins aussi vif en Allemagne qu'en France. "Le renflouement systématique des caisses n'est pas tenable", assure Martin Werding, professeur d'économie à l'université de la Ruhr. "Notre système est soumis à un gigantesque stress et il arrive à ses limites", renchérit Michael Heuser, directeur de l'Institut pour la formation au patrimoine et à l'assurance vieillesse. Quant à Hubertus Heil, le ministre du Travail, il appelle à "rénover le contrat de génération, et pas à le casser".

Le spectre de la semaine de 42 heures


Les solutions les plus radicales sont avancées. Plusieurs économistes de renom militent pour la retraite à 70 ans, idée simple, mais très impopulaire. Cet été, Michael Hüther, directeur de l'institut économique de Cologne, a évoqué une autre piste, qui a aussitôt enflammé les réseaux sociaux: rétablir la semaine de 42 heures de travail, au lieu de 40 aujourd'hui. "Elle permettrait de combler les 4,2 milliards d'heures de travail par an qui vont nous manquer avec le départ à la retraite des baby-boomers", estime l'économiste, ajoutant que "la Suède et la Suisse ont adopté ce système, ce qui n'empêche pas leur espérance de vie d'être supérieure à la nôtre". De son côté, le gouvernement fédéral planche sur une refonte des lois sur l'immigration pour faciliter l'arrivée de travailleurs qualifiés qui renfloueraient les caisses via leurs cotisations.


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Parallèlement à ce débat national, des solutions concrètes sont inventées sur le terrain. Directrice du podcast Femance finanzen, la bloggeuse Hava Misimi, 27 ans, conseille aux jeunes de "placer de l'argent le plus tôt possible, même des petites sommes, par exemple 25 euros par mois". Dans certaines entreprises, comme chez Utz Uzin, PME familiale spécialisée dans les colles pour les sols, on investit dans l'ergonomie des chaînes de fabrication pour maintenir les seniors à leur poste. Tandis qu'à Suhl, l'association "Les seniors aident les seniors" tourne à plein régime. Basée sur le troc et les petits prix, elle permet à des personnes âgées valides de pallier le manque d'aides-soignants, de chauffeurs ou de garde-malades. Manière pour les retraités allemands de prendre soin les uns des autres.

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