Christine à Ouagadougou : « Tout le monde est très attaché au respect des individus et des institutions »

Interviews d'expatriés
  • Christine au Burkina Faso
Publié le 2016-10-12 à 00:00 par Veedushi
Christine vient de France. Elle a vécu plusieurs années à l'étranger, notamment en Europe et en Afrique. A présent, elle dirige une association de solidarité à Ouagadougou. Au travers de cette interview, elle partage sa vision de la vie au Burkina Faso.

D'où viens-tu, Christine, et que fais-tu actuellement ?

Je m'appelle Marie-Christine Giordani, Italienne, Française, Suissesse, Ivoirienne, et bientôt Burkinabée ! J'ai toujours voulu vivre en Afrique depuis mon enfance afin d'aider les personnes en difficulté. J'ai beaucoup bourlingué et fait divers jobs au fil de mes envies quand j'étais jeune. A l'époque, c'était facile de passer d'un job à l'autre. J'ai fait deux mariages ratés et j'ai élevé et éduqué mes 5 enfants, dont le dernier est adopté de la Côte d'Ivoire. Tous mariés actuellement, je suis mamie 9 fois (jusqu'à présent).

J'ai vécu 16 ans en Côte d'Ivoire, dans le rural, et plusieurs régions, et j'y avais créé une association pour le développement rural avec des femmes. Nous n'avons jamais pu démarrer d'activité car, en 2002, j'ai dû fuir la guerre qui a fait et continue à faire des morts dans ce pays. Depuis la France, j'ai voulu reprendre là où j'avais été stoppée dans mes projets de développement rural, mais cette fois au Burkina Faso.

J'ai créé l'association « Le Choix-solidarité » sur Bordeaux (France) en 2009, puis délocalisée sur Ouagadougou en 2013, tout en gardant une antenne sur Bordeaux. Nous sommes une dizaine de membres (je suis la seule Européenne) : la majorité sont des Burkinabés et il y a aussi un Sénégalais, un Béninois et un Togolais. En France, je suis Assistante de Vie (diplômée) auprès des personnes âgées et des personnes handicapées à leur domicile.

Qu'est-ce qui t'as attirée vers le Burkina Faso ?

En premier lieu, les Burkinabés que j'ai pu observer tant en Côte d'Ivoire qu'au Burkina Faso, sont des bosseurs ! Ensuite, ils ont le sentiment profond d'amour pour leur pays au niveau global et non ethnique comme en Côte d'Ivoire. Ces deux qualités m'ont vraiment attirées en plus de leur gentillesse et de leur disponibilité à rendre service. Tout ce que j'envisage de faire pour le développement du rural est réalisable, surtout grâce à tous les membres de l'association sur place (le vice-président a fait son doctorat à Bordeaux) et à tous mes contacts sur les réseaux sociaux que j'ai rencontrés en réalité sur Ouagadougou et Bobo Dioulasso.

Christine au Burkina Faso

Comment s'est passée ton installation ?

A chaque fois, j'ai amené 2 grosses valises de matériel médical qui a été réparti sur plusieurs dispensaires dans le pays. Il s'agit de dons de l'association. Ce qui m'a permis de consolider mes relations et d'apprendre bien des choses utiles en rapport avec mes futures activités dans le pays. J'ai fait notamment la connaissance de Sylvie en formation à la cathédrale de Ouagadougou. Elle est la responsable d'un groupe de 40 productrices agricoles sur Toécé, une petite localité au sud de la capitale (à environ 80 km) sur la route de Pô.

Elle m'a invitée à y venir rencontrer le groupe pour leur parler de mon projet de création de micro-ferme, sans mécanisation et sans produit chimique.Suite à mon court séjour dans leur campement et après une rencontre avec le groupe, toutes m'ont demandé de réaliser mon projet chez elles. Elles se sont impliquées dans la recherche d'un terrain pour moi, obtenu pour une surface de 1,5 hectares, déjà arborée de fruitiers, pour 1 000 euros. Nous avons fait un partenariat entre leur groupe, qui est enregistré légalement, et notre association pour travailler ensemble, chacune sur son terrain, avec les méthodes de permaculture.

Quelles sont les procédures à suivre pour qu'une citoyenne française s'expatrie au Burkina Faso ?

Il existe plusieurs visas pour des périodes diverses. Donc, il faut prendre le visa pour la plus longue période, puis le renouveler jusqu'à l'obtention de l'autorisation de vivre définitive, ou le mariage avec un Burkinabé. Je pense qu'avec les séjours solidaires que j'ai déjà fait, la procédure pourra s'accélérer, surtout avec les relations, très importantes en Afrique. Il faut aussi se faire vacciner contre la fièvre jaune (paludisme). Ce vaccin est valable 10 ans et est payant (près de 100€).

As-tu éprouvé des difficultés à franchir ces étapes ?

Tout va bien quand on a des relations locales et qu'on est en règle.

As-tu eu des difficultés d'adaptation à ton nouvel environnement ?

Je suis « africanisée » depuis des années avec ce que j'ai vécu dans le rural ivoirien. Je connais beaucoup d'usages et j'ai de bons conseillers pour m'accompagner partout, ce qui est nécessaire, non seulement pour la traduction pour quelques personnes, mais aussi pour éviter les erreurs et vexations toujours possibles, vu nos différences culturelles.

Qu'est-ce qui t'as le plus surpris à ton arrivée au Burkina Faso ?

Christine au Burkina Faso

La pauvreté d'entretien des rues de la capitale ! Quand on a connu Abidjan, la perle des Lagunes (du temps du Président, Laurent Gbagbo), c'est un choc! Le manque de grandes surfaces commerciales ! La circulation est aussi très dangereuse en ville. Beaucoup de gens conduisent sans permis et les motos provoquent quotidiennement des accidents. Il y a peu de signalisation au sol et les passages-piétons sont ne sont pas sécurisés. Il faut dire qu'il y a des motos partout comme c'est le moyen de locomotion le plus usité.

D'autre part, j'ai admiré les beaux bâtiments de toutes les formes et couleurs. Au niveau de l'architecture, le Burkina Faso n'a rien à envier quelque pays que ce soit. J'ai aussi apprécié la présence des forces de l'ordre partout. C'est rassurant. Ils nous renseignent volontiers si on leur demande une direction ou autre chose.

As-tu eu des difficultés à rechercher un logement ? Quels sont les types de logements qui y sont disponibles et accessibles aux expatriés ?

Je pense que chacun voit selon ses goûts et ses moyens en matière de logement. Pour mes courts séjours, j'ai pris une chambre à la cathédrale de Ouagadougou car elles sont bien entretenues, avec douche et toilettes internes, climatisation et ventilation. La chambre coûte 5,000 francs CFA, ce qui fait environ 8€ par jour. C'est tout près du Grand Marché où on peut se rendre à pieds. A part cela, il y a des logements à louer partout, mais je ne m'en suis pas préoccupée. Je ne peux donc orienter quelqu'un là-dessus.

Que penses-tu du mode de vie des locaux ?

Chacun a sa façon de vivre, selon ses goûts et ses moyens, mais aussi selon sa religion qui influe certains comportements. Il y a beaucoup de Burkinabés qui ont « fait la France » ou autre « pays de Blancs » et ont choisi de revenir vivre au pays. Certains vivent dans le luxe, d'autres sur des apparences de luxe (grosse cylindrée, etc…). D'autres vivent avec les réalités de leur budget et de leur famille. Dans l'ensemble, tout le monde est très attaché au respect des individus et des institutions même s'il y a, comme partout, des opposants. On fait aussi plus attention aux mesures d'hygiène, surtout depuis l'alerte de l'épidémie d'Ebola !

Les gens n'aiment pas se plaindre. Ils sont fiers. Il faut donc avoir du tact pour offrir de l'argent à quelqu'un de vraiment démuni, par exemple. Je préfère donner la chose dont il a besoin (savoir voir et écouter). Par exemple, j'ai offert un carton de savons locaux à quelqu'un, à remettre à sa femme pour démarrer un petit commerce, ce qui va les aider à améliorer leurs conditions de vie.

Une idée reçue qui s'est avérée fausse ?

Christine au Burkina Faso

Je pensais qu'avec toute l'information diffusée à la télé et par les autres médias, la jeunesse était devenue plus mûre et indépendante, mais c'est faux ! Les jeunes sont toujours très dépendants de leur famille et soumis à l'autorité des aînés. Oui, cela m'a surprise car c'est un frein pour eux, même si cela a des avantages aussi.

Je pensais aussi qu'il n'y avait que peu d'infrastructures, par exemple, une bibliothèque municipale à Bobo Dioulasso. Cette ville en est dotée de 3, et de bien d'autres infrastructures !

A quoi ressemble ton quotidien au Burkina Faso ?

Mon quotidien au Burkina Faso est un mélange des diverses cultures des pays où j'ai vécu et dont je me suis appropriée les côtés positifs. Je peux vivre en ville ou dans le rural avec les moyens de bord, avec la nourriture locale, et c'est un atout pour les relations !

Que fais-tu pendant ton temps libre ? Quels sont les loisirs accessibles aux expatriés ?

C'est bien une question superficielle pour moi. Mes loisirs, tels que ceux pratiqués en France, par exemple, je n'en ai pas. Mon plaisir est de réaliser mes projets de développement rural, d'être utile au plus grand nombre, d'être une personne-ressources sur les réseaux sociaux aussi, pour partager des informations, des idées et des expériences. Tous mes contacts (ou presque) sur mes différentes pages m'ont beaucoup enrichie par leurs questions et leurs partages !

Sinon, j'aime les jeux de plein air que je vais initier au campement, avec le jeu de quilles, de pétanque, de croquet, pour les week-end et les vacances scolaires. J'aime aussi les jeux de société et je compte bien apprendre enfin les règles de l'awalé. Mais il m'arrive de jouer au Mahjong Quest sur mon ordinateur en fin de soirée.

Quelles sont les particularités de la cuisine locale ?

Christine au Burkina Faso

C'est la question qu'il ne fallait pas poser. Après avoir vécu en Côte d'Ivoire, on est très déçu par la pauvreté de la nourriture au Burkina Faso. Il n'y a pas d'imagination, pas d'épices, pas de goût, pas de variété ! Moi qui suis une bonne cuisinière internationale, si j'ouvrais un restaurant ici, je ferai fortune ! Mais je n'en ai plus l'envie et j'ai d'autres projets.

Qu'est-ce qui te plaît le plus au Burkina Faso ?

Tout, malgré tout ! Le climat aussi, mais c'est selon l'endroit où l'on vit. Je préfère le rural aux villes de poussière. J'aime l'humour permanent et le sourire des gens, et plein d'autres choses. J'aime le fait qu'on ne court pas après la montre. On a tout le temps...

Qu'est-ce qui te manque le plus par rapport à la France ?

Les produits laitiers : fromage, yaourts, crème fraîche, beurre salé et mon café moka ! La connexion internet instantanée aussi...

Quel est ton avis sur le coût de la vie au Burkina Faso ?

Tout dépend des habitudes de vie de chacun. Si l'on veut vivre comme en France, il faut avoir de quoi le faire. Moi je vis simplement, comme la population de standing moyen. C'est le plus approprié. Je ne m'isole pas en villa avec tout ce qui va avec comme incidences de toutes sortes (le Blanc a de l'argent).

Je souvent fais mon marché avec une autre femme pour ne pas payer le « prix de Blanc » et pour connaître les bons coins. Le réseau internet est très capricieux. C'est dur d'avoir la connexion et il y a souvent des coupures de réseau ou d'électricité, sans parler les coupures d'eau.

Il n'est pas facile d'avoir un taxi à certains endroits ou pour certaines directions quand on est piéton comme moi. Le mieux est d'avoir des jeunes sous la main, pour se déplacer en moto et leur payer le carburant et leur offrir de l'argent de poche, ou faire le plein suivant le temps et la distance parcourus. Les jeunes sont sympas et tout contents de pouvoir échanger des idées, des infos (je recommande !).

Christine au Burkina Faso

Un événement particulier que tu as vécu au Burkina Faso et que tu voudrais partager ?

Sans hésitation, ma commande de beurre de Karité au campement de Toécé ! J'avais ramené de France, deux barquettes de 1,5 kilos de contenance chacune, style congélation-micro-ondes, pour ramener du karité au retour. Au mini marché du campement, j'en ai vu en boules, bien blanc. Cela m'a enchantée, mais la vendeuse n'en avait plus. Mon amie Sylvie lui a demandé d'en faire pour moi pour le lendemain matin car je repartais sur la capitale vers midi. Et la vendeuse l'a fait, exprès pour moi ! J'étais épatée ! Quel beau karité, couleur de miel. Je n'en avais jamais vu en liquide. Heureusement qu'il a durci pour ne pas se déverser (on ne sait jamais) dans mes valises. J'en ai distribué, au retour, à toute ma famille que j'ai enthousiasmée sur les vertus du karité depuis longtemps !

Des conseils à donner aux personnes qui souhaiteraient s'expatrier au Burkina Faso ?

Être et rester simple, demander gentiment et avec respect un renseignement. Pas de réflexion désobligeante, cela pourrait vous attirer plein de problèmes ! Pas de corruption ! On doit exiger son droit, sans crier, mais en faisant respecter la loi. Les relations (des gens de toutes conditions) comptent plus que l'argent, elles sont d'une valeur inestimable. Sans relations en Afrique, on se sent bien seul et ce n'est pas facile du tout. L'argent ne fait pas tout, mais la gentillesse ouvre bien des portes !

Tes projets d'avenir ?

Créer ma micro-ferme pilote « Tremplin » sur mon terrain (et y vivre), avec extension progressive sur des stages de formations, des animations de groupe (jeunes, femmes, anciens), et autres besoins locaux. Je recherche le financement du projet pour sa réalisation,environ 65 500 euros, couvrant la base pour les trois premières années de démarrage et de production.

Partagez votre expérience d'expatrié !

Si vous souhaitez participer aux interviews, contactez-nous.

Participer